Violences, bavures : des policiers racontent

Enquête

Un an après le début du mouvement des gilets jaunes, des membres des forces de l’ordre évoquent leur rapport aux armes, à leurs limites… et plus généralement à la violence. Celle qu’ils subissent comme celle dont ils font usage.

Toulouse-26-janvierde-lacte-11-gilets-jaunes_1_729_460

Sur le procès-verbal d’interpellation, Arthur (1) a écrit que « cinq individus présentant une attitude hostile » s’approchaient de lui. C’est un mensonge. « Un petit mensonge nécessaire », relativise ce policier du Sud-Ouest, de ceux que l’on écrit pour « se bricoler un cadre légal lorsque… eh bien… lorsque ça rentre pas ». Une sorte de chausse-pied, donc. Ce matin-là, personne ne s’approchait d’Arthur. Pas un seul individu présentant une attitude hostile à la ronde. Un jeune d’une quinzaine d’années courait simplement comme un dératé le long d’un trottoir bordé d’arbres.

Arthur et ses collègues n’avaient pas réussi à l’attraper (ils avaient un très sérieux motif pour le faire). « Écoute, je vais pas te mentir. Le type était à 70 mètres, quelque chose comme ça. Alors même si je l’avais touché… Une balle en caoutchouc, dans le dos et à cette distance, ça l’aurait pas arrêté. » Alors pourquoi lui avoir tiré dessus au LBD (lanceur de balles de défense), cette arme noire à gros calibre devenue l’un des symboles des violences policières ?

« Eh bien… Pour lui en mettre une. Qu’il ait bien à l’esprit que l’autorité, c’est nous. Dans les quartiers, tu sais, c’est un rapport dominant-dominé. Une cité calme, dans laquelle une voiture de police peut entrer sans incident, c’est des années de travail. Je devrais pas te dire ça, mais parfois, on doit dépasser la ligne. » En théorie, un tir de LBD doit « dissuader ou neutraliser une personne violente et/ou dangereuse » (instruction du 2 septembre 2014 du ministère de l’intérieur). En pratique, l’arme est donc également employée pour « se faire respecter » (« rien que la sortir, parfois ça suffit »), et ce malgré les risques que l’on connaît.

« Maintenir à distance »

« Une fois, j’ai tiré au LBD dans la gorge d’un mec. C’était un jeune. Après, c’est parti en émeutes dans toute la circo’. Évidemment, pour la hiérarchie c’était de ma faute… » Luc est entré dans la police en 1994, « à une époque où on sortait encore sans gilet pare-balles, avec seulement un six-coups ». C’était un an avant que le directeur général de la police Claude Guéant introduise l’usage du Flash-Ball (une marque de LBD), généralisé quatorze ans plus tard à toutes les unités « intervenant dans les quartiers difficiles » par son successeur Frédéric Péchenard.

« Le jeune, je lui ai évidemment pas visé la gorge. On était deux en patrouille, ce jour-là. On voulait attraper un type qui faisait du scooter sans casque et mon coéquipier s’est un peu trop enfoncé dans la cité. J’étais encore au volant quand je l’ai vu revenir en courant poursuivi par une vingtaine de mecs qui lui balançaient des trucs. Alors je suis sorti de la voiture et j’ai tiré. » Luc juge le LBD nécessaire pour « maintenir à distance » et éviter, dans certains cas, « d’avoir à tirer à balles réelles ». « Cette fois-ci, ça a touché la gorge, bon et alors ? C’est pas téléguidé. Le jeune, il est pas mort non plus. C’est le hasard. C’est pas pour ça qu’il faut retirer l’arme. » Une arme qui est pourtant critiquée depuis des années pour son imprécision.

Sur ordre

« Tu veux savoir ce que j’en pense ? Je pense que vous, les journalistes, vous êtes des hypocrites. » Un policier parisien habilité au port du LBD s’agace. « Ça fait des années qu’on l’utilise en banlieue et tout le monde s’en fout. Quand c’est un petit Noir ou un petit Arabe qui en prend une dans la tronche, ça fait jamais les gros titres. Quand c’est un Blanc par contre… Tu te souviens de la manifestation à Montreuil ? » Le 8 juillet 2009, un réalisateur de 34 ans, Joachim Gatti, est éborgné alors qu’il proteste contre l’évacuation d’une ancienne clinique.

« C’était l’indignation nationale. Le début de la focalisation sur le LBD. Après, bon… L’auteur du tir à Montreuil, c’était un mec de la BAC (brigade anticriminalité, NDLR). C’est souvent pas les plus carrés. » Ces unités intervenant en priorité dans les banlieues ont été créées au niveau national en 1994 – la même année où a été introduit le Flash-Ball. Quotidiennement, elles patrouillent en civil dans des voitures banalisées, le LBD souvent posé au pied du siège passager. Elles ont la réputation « de pas

Lire la suite: La Croix

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *