Violence ordinaire : « Il y a un sentiment de toute-puissance qui devient de plus en plus difficile à cadrer »
Marianne : Les faits de très grave violence constatés à l’encontre du chauffeur de bus de Bayonne, le 5 juillet, sont-ils le reflet d’une montée de l’agressivité dans notre société ?
Serge Hefez : Non, je crois que ces agressions existent malheureusement depuis un certain temps. Il y a une sorte d’agressivité inhérente à nos sociétés démocratiques individualisées, qui naît, au fond, d’une rupture de l’égalité et du lien social républicain. Le sentiment que l’on n’est pas tous égaux peut créer de la rivalité et, de fait, susciter beaucoup d’agressivité. Quand on s’attaque à un chauffeur de bus, un pompier ou une caissière, on défie par ailleurs des figures d’autorité au sens large. Cela signifie qu’il y a une rupture de confiance dans le lien social, que l’on n’a plus foi en la société et ses valeurs.
Mais comment les citoyens en viennent-ils à la violence physique et verbale entre eux ?
La violence se déploie très vite, notamment lorsque l’on est dans un rapport symétrique et mimétique à l’autre. Ce rapport-là commence dans la cour de récréation et dure toute la vie s’il n’est pas canalisé. Prenons l’exemple de deux personnes entre lesquelles le ton monte dans un supermarché. Elles s’engueulent de façon mimétique. Si l’une des deux ne garde pas son calme et ne refuse pas la montée de l’hostilité, alors les choses peuvent dégénérer très vite, car l’autre devient une menace. Autre exemple, en ville, le partage de l’espace public entre vélos, voitures et scooters fait que l’on se sent vite menacé par le comportement des autres. On devient alors méfiant, voire agressif.
Est-ce le rapport aux règles des citoyens qui a changé ?
Oui, c’est certain. Il y a un sentiment de toute-puissance lié à cet individualisme forcené qui fait que l’on ne pense plus qu’à son bien-être personnel. Le revers de la médaille de la construction individuelle poussée à son paroxysme dans notre société démocratique, c’est que l’on ne supporte plus les contraintes du groupe. Autrefois, dans les sociétés traditionnelles, l’individu n’existait que par les règles auxquelles il était soumis. Aujourd’hui, notre société veut le contraire, chacun est sommé d’être libre et de s’exprimer comme il l’entend. Accepter ou non les règles du groupe peut alors générer de la violence et de la brutalité entre personnes.
Que traduit de notre société cette violence gratuite ?
Je ne crois pas que cette violence soit gratuite, elle a au contraire beaucoup de sens. C’est l’expression d’un sentiment d’effondrement en la confiance du système dans lequel nous vivons. Néanmoins, il y a une réelle responsabilité individuelle. La perception et la potentialité de violence ne sont pas les mêmes chez tous les individus.
Y a-t-il un profil type de personnes agressives, qui tendent vers la violence ?
Oui, tout le monde n’a pas la même capacité de violence. C’est une question de personnalité et plus largement d’éducation. Les personnes les plus hargneuses sont souvent celles qui ont des tendances à être paranoïaques. Ces gens se sentent facilement menacés par d’autres, et ont une fâcheuse habitude à interpréter le moindre geste comme étant agressif à leur égard.
Y a-t-il une raison culturelle, éducative à tout cela ?
Indéniablement éducative. Nous sommes de plus en plus dans une démarche d’éducation individualisée où les enfants sont poussés à trouver leur originalité, leur particularité… C’est en quelque sorte là que se joue la naissance du sentiment de toute-puissance, qui devient de plus en plus difficile à cadrer. Néanmoins, je ne pense pas que la société française soit plus violente que celles de ses voisins.
Source : Marianne
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