Vérité des chiffres : il faudrait ouvrir une centrale nucléaire par jour dans le monde pour respecter l’objectif d’émissions carbone zéro en 2050
Selon la BBC, il faudrait construire une centrale nucléaire ou installer 1.500 éoliennes par jour dans le monde pour atteindre l’objectif sur les émissions de CO2 d’ici 2050 et pour stopper la production d’électricité par combustion d’énergies fossiles dans les centrales à charbon et à gaz.
Atlantico.fr : Selon les informations recueillies par la BBC, pour atteindre l’objectif d’annihiler complètement les émissions de CO2 d’ici 2050, il faudrait construire une centrale nucléaire, ou installer 1 500 éoliennes par jour dans le monde. Cela permettrait en effet, d’après Roger Pielke Jr, chercheur interdisciplinaire en changement climatique à l’Université du Colorado, de se débarrasser de la principale source de CO2, la production d’électricité par combustion d’énergies fossiles dans les centrales à charbon et à gaz.
Les estimations relayées par la BBC vous paraissent-elles valides ?
Stephan Silvestre : Ces chiffres sont estimatifs résultent de plusieurs hypothèses : tout d’abord de celle du GIEC, qui a avancé la nécessité de baisser les émissions humaines de CO2 de 45% entre 2010 et 2030 pour atteindre l’objectif d’une neutralité carbone (émissions nettes nulles) en 2050 ; Roger Pielke a ensuite croisé ce chiffre avec la prévision d’augmentation de la consommation mondiale l’énergie de BP (le géant édite chaque année un rapport sur la production énergétique mondiale, qui fait autorité depuis des années) : la fourchette de BP étant assez large, il a choisi un scénario moyen de +2,2% par an jusqu’en 2030. Il en résulte un différentiel de 10 000 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole) entre la consommation mondiale projetée par BP et l’objectif ‘zéro émissions’ du GIEC. Cet écart représente l’équivalent de la production énergétique de 10 000 centrales nucléaires, soit effectivement une par jour durant trente ans.
Pour ce qui est de l’équivalent en éoliennes, soit 1 500 par jour, c’est plus discutable : tout d’abord, il s’agirait d’éoliennes d’une puissance de 4 MW, ce qui représente déjà de grosses éoliennes. Si on considère des éoliennes moyennes de 2 MW, il faudrait plutôt compter 3 000 éoliennes par jour, soit un total faramineux de 30 millions de nouvelles machines au bout de 30 ans ! Quant à l’élimination des émissions de CO2, elle ne serait pas atteinte dans cette hypothèse car, les éoliennes ne pouvant pas produire en permanence, elles sont complétées par des centrales thermiques, qui sont, elles, émettrices de CO2…
Enfin, ajoutons à cela que les centrales nucléaires ou éoliennes ne sont utilisées que pour la production d’électricité ; or, la consommation énergétique mondiale inclut aussi le secteur des transports et du chauffage, qui ne peuvent pas être pourvus par l’électricité, ni aujourd’hui, ni en 2030, ni même en 2050.
Il ne faut donc considérer ces chiffres que comme des ordres de grandeurs pour estimer l’ampleur du problème, mais en aucun cas comme une solution technique proposée par cet auteur.
De nombreuses questions sont souvent soulevées concernant nos capacités à satisfaire la production d’électricité par des sources d’énergies renouvelables. L’énergie nucléaire est-elle à l’inverse une solution plus prometteuse et fiable ?
Comme nous venons de l’évoquer, la production électrique éolienne ou solaire ne peut en aucun cas résoudre à elle seule le problème des émissions de CO2. On a pu le voir avec l’expérience allemande qui s’est soldée par une stagnation des émissions depuis plus de dix ans en dépit de l’explosion de la capacité éolienne et solaire installée. Dans le cas de la France, le déploiement massif de ces équipements s’accompagne même d’une légère hausse des émissions (+2% entre 2014 et 2017). Mais il existe d’autres ressources renouvelables qui peuvent contribuer effectivement à la baisse des émissions, comme l’hydroélectricité ou les agrocarburants.
L’électronucléaire constitue certainement l’une des meilleures solutions au problème des émissions de gaz à effet de serre : les centrales sont puissantes, pilotables et faiblement dépendantes au climat. Par ailleurs, en plus de leur neutralité en gaz à effet de serre, elles offrent une faible pression environnementale et raison de leur très faible emprise au sol. Déployées depuis maintenant plus de cinquante ans dans le monde, elles affichent un excellent track record en matière de fiabilité.
Construire une centrale nucléaire par jour paraît très difficile à réaliser. Quel accroissement de la part du nucléaire vous parait pertinent d’ici 2050, et quel mélange de sources d’énergies pensez-vous que les Etats peuvent et doivent mettre en place ?
Comme je l’ai indiqué, il ne s’agit pas de lancer effectivement un tel programme. Il existe actuellement 448 réacteurs nucléaires en opération dans le monde et 58 en construction. On imagine donc mal le lancement de 1 000 réacteurs par an, d’autant plus que la plupart des pays occidentaux ont freiné ou stoppé leurs programmes. Si on exclut un certain nombre de pays à risque, on voit que le marché électronucléaire ne se développera que dans une minorité de pays, essentiellement en Asie. La part du nucléaire devrait donc rester assez faible à l’échelle mondiale (de l’ordre de 5% du mix énergétique mondial), mais les pays émergeants les plus dynamiques devraient s’appuyer davantage sur cette solution pour accroître leur production d’électricité sans augmenter leurs émissions de CO2. Pour que cela soit efficace, une part de 20 à 25% du mix électrique devrait être un minimum. Pour le reste, cela dépend beaucoup des ressources naturelles de chaque pays : certains disposent de réseaux hydrographiques puissants, favorables à l’hydroélectricité, d’autres d’un climat favorable à l’exploitation de la biomasse et d’autres encore d’un important potentiel géothermique. Quant à l’énergie solaire, elle devrait être exploitée en priorité pour les zones isolées des réseaux électriques centralisés (« greenfields ») ou pour le déploiement de chauffe-eau domestiques solaires.
Quelle échéance pour le zéro carbone serait réalisable selon vous, si ce scénario est seulement possible ?
Il faut bien préciser que, lorsque l’on évoque cet objectif ‘zéro carbone’, on parle d’émissions nettes et non brutes. En d’autres termes, l’humanité continuera d’émettre des gaz à effet de serre, mais qu’elle pourra compenser par divers mécanismes d’absorption. Pour le moment, je rejoins l’analyse de Roger Pielke, l’horizon de 2050 est clairement impossible, quelles que soient les incantations politiques. Au-delà, il est difficile de donner une date. Mais il faut garder à l’esprit que le principal facteur des émissions anthropiques de CO2 est avant tout la croissance démographique, couplée au développement économique. Or, la croissance démographique ne devrait se figer qu’au début du XXIIe siècle. D’ici là, il est peu probable que les émissions humaines diminuent.
Source : Atlantico
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