USAGE DES ARMES PAR LES GENDARMES – ABSOLUE NECESSITE

L’un de nos camarades retraité, prénommé Michel et demeurant dans le Finistère nous fait parvenir ce texte concernant l’usage des armes en Gendarmerie. Les actualités récentes et le soutien nécessaire à l’un de nos camarades font que ce sujet doit intéresser nombre d’entre nous.

Profession-Gendarme remercie vivement « Michel » pour ses nombreuses contributions à l’information de nos camarades de l’Arme, tant actifs que retraités.

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USAGE DES ARMES PAR LES GENDARMES – ABSOLUE NÉCESSITE

Par un arrêt en date du 12 mars 2013, la Cour de Cassation retient enfin l’absolue nécessité au profit d’un gendarme ayant utilisé mortellement son arme de service

ARRET DE LA COUR DE CASSATION

du 12 mars 2013

N° de pourvoi: 12-82683

Le 12 mars 2013, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a rendu un arrêt particulièrement intéressant, s’agissant de la possibilité pour les gendarmes d’ouvrir le feu dans le cadre des dispositions de l’article L.2338-3 du Code de la défense.

Afin de comprendre la portée de cet arrêt, il convient de rappeler que les gendarmes disposaient depuis le décret organique du 20 mai 1903 de cas privilégiés de déploiement de la force armée, repris par l’article L.2338-3 du Code de la défense qui dispose :

« Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :
1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;
2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de  » Halte gendarmerie  » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.
Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que herses, hérissons, câbles, pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s’arrêtent pas à leurs sommations.

Grâce à ces dispositions, les militaires de la gendarmerie bénéficiaient d’une possibilité accrue de recourir aux armes par rapport aux fonctionnaires de la police nationale, particulièrement lorsqu’il s’agissait de contraindre les véhicules automobiles à s’arrêter.

Les militaires de la gendarmerie ont toujours fait de ces dispositions favorables une application très mesurée.

Pourtant, à l’occasion d’une ouverture de feu mortelle, le 1er mai 1996, par un motard de la gendarmerie sur un automobiliste qui tentait de le renverser, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a rendu un premier arrêt le 18 février 2003 qui a fixé une limite stricte à l’autorisation d’usage de la force prévue par les dispositions de l’article 2338-3 du Code de la défense.

En effet, alors que la Chambre de l’instruction avait fait application de ces dispositions pour confirmer une ordonnance de non lieu au profit du gendarme, la Cour de Cassation avait cassé cette décision en faisant référence à l’article 2.2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui stipule que la mort n’est pas considérée comme infligée de manière illégitime dans le cas où elle résulte d’un recours à la force rendu absolument nécessaire pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ou pour effectuer une arrestation régulière ou encore pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue, ou pour réprimer une émeute ou une insurrection.

Dans son arrêt du 18 février 2003, la Chambre Criminelle avait estimé que l’article 174 du décret du 20 mai 1903, devenu aujourd’hui l’article 2338-3 du Code de la défense, était compatible avec les dispositions de l’article 2.2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, mais qu’il appartenait à la Chambre de l’instruction, conformément aux dispositions du texte européen, de rechercher si l’usage de son arme par le gendarme avait été rendue « absolument nécessaire » par les faits de l’espèce.

Depuis la décision du 18 février 2003, la jurisprudence concernant l’usage des armes par les militaires de la gendarmerie avait toujours été extrêmement restrictive des droits des gendarmes.

Ainsi, dans l’affaire de 1996 qui avait donné lieu à l’arrêt de 2003, la Cour d’Appel de ROUEN, par un arrêt du 17 mars 2004, avait estimé que le gendarme était responsable de la mort de l’automobiliste pour avoir fait usage de son arme alors que les circonstances de l’espèce ne le rendait pas absolument nécessaire.

Cet arrêt de la Cour d’Appel de ROUEN avait été confirmé par un arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 14 juin 2005.

La Chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de NIMES, par un arrêt du 26 novembre 2007, avait renvoyé devant la Cour d’Assises du Gard un militaire de la gendarmerie qui avait fait usage de son arme sur des individus en train de s’enfuir, relevant que les dispositions du décret du 20 mai 1903 devaient s’analyser au regard de celles de l’article 2, paragraphe 2, de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et imposaient, pour parvenir à un équilibre entre le but et les moyens, un usage des armes avec mesure et discernement par le cadre d’une nécessité absolue.

Cet arrêt avait été confirmé par un arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 27 février 2008.

Les militaires de la gendarmerie se trouvaient donc tenus, dans l’hypothèse d’un usage des armes létales, de justifier de l’absolue nécessité dans laquelle ils s’étaient trouvés d’y procéder, alors même que la jurisprudence, très restrictive, ne donnait pas de définition de l’absolue nécessité, se contentant de considérer qu’elle n’était pas démontrée dans les faits qui lui étaient soumis.

L’espèce soumise à la Cour de Cassation en mars 2013 va donner lieu à une appréciation beaucoup plus favorable aux militaires de la gendarmerie, sans toutefois que la Chambre Criminelle ne donne la définition tant attendue de l’absolue nécessité.

Dans le cas d’espèce, un automobiliste avait franchi un barrage de gendarmerie et heurté volontairement l’un des militaires qui tentait de l’interpeler, le traînant sur plusieurs centaines de mètres à grande vitesse.

Les effectifs de gendarmerie étaient informés du comportement de cet automobiliste et de la description du véhicule.

 

Par ailleurs, ils recevaient une information concernant le conducteur du véhicule, qui était défavorablement connu des services de la gendarmerie et réputé dangereux

Le véhicule repéré par une patrouille avait été pris en charge et avait pris la fuite. Un dispositif d’interpellation était positionné sur sa trajectoire.

Quatre militaires étaient en position au moment de l’arrivée du véhicule. L’un d’eux avait mis en joue le véhicule avec son fusil à pompe, ce qui avait eu pour effet de faire ralentir considérablement l’automobiliste à l’approche du barrage.

Alors que le gendarme armé du fusil abaissait son arme et se rapprochait du côté du conducteur pour procéder à son interpellation, le véhicule reprenait brutalement de la vitesse et tentait de forcer le barrage.

Le gendarme armé du fusil devait faire un pas de côté et heurtait de la crosse de son arme le pare-brise du véhicule.

A cette occasion, un coup de feu était tiré avec le fusil à pompe, résultant certainement d’une décharge accidentelle.

Le conducteur du véhicule accélérait brutalement dans la direction de l’un des militaires qui se trouvait face au véhicule. Le gendarme tirait à deux reprises, une première fois dans le capot de la voiture, et moins d’une seconde plus tard dans la portière du conducteur alors que la voiture passait à sa hauteur.

Le gendarme blessait mortellement le conducteur du véhicule à l’occasion du second tir.

La Chambre de l’instruction de la Cour d’Appel d’ORLEANS, le 9 mars 2012, confirmait l’ordonnance de non lieu rendue par le Juge d’instruction.

La Chambre de l’instruction relevait qu’il était établi que si le gendarme était resté sans réaction et ne s’était pas jeté sur le côté gauche de la chaussée afin de rejoindre le trottoir, il aurait été heurté par le véhicule en fuite.

Les juges estimaient que le gendarme était dès lors en état de légitime défense, son intégrité physique étant directement et immédiatement menacée comme pouvait l’être celle de ses collègues se trouvant sur le trottoir aussitôt derrière lui.

Elle ajoutait qu’il est constant que l’appréciation de la légitime défense doit se faire au regard de la réalité du danger et de sa perception, de telle sorte que le gendarme pouvait raisonnablement croire, au moment des deux actions de tir, que son intégrité physique était en danger et que seule la décision de tirer volontairement sur le véhicule en mouvement pour arrêter ou contrer sa progression, était susceptible de le protéger.

La Cour ajoutait que l’information avait permis d’établir que le second tir était intervenu immédiatement après le premier « conformément aux règles d’usage des armes enseignées dans les écoles de gendarmerie lors d’un tir de riposte » et qu’il était ainsi, au regard des circonstances de temps et de lieu, exclusif d’une volonté d’atteindre le ou les passagers du véhicule, l’action du second tir étant décidée au moment du premier tir et avant que le véhicule ne passe à hauteur du gendarme.

Les magistrats considéraient que le gendarme, sentant son intégrité physique directement menacée alors que le véhicule forçait le barrage, avait effectué les deux tirs en les limitant à la nécessité de sa défense et à celle de ses collègues, alors que son arme contenait plusieurs autres cartouches, son acte qui visait principalement sa défense et l’immobilisation du véhicule, n’apparaissant ainsi nullement disproportionné face au péril imminent auquel il avait dû faire face.

La Chambre de l’instruction confirmait donc le non lieu au visa des dispositions de l’article L.122-5 du Code Pénal, c’est-à-dire par application du fait justificatif de légitime défense, mais également au visa de l’article L.2338-3 du Code de la défense, en vertu duquel « l’usage de l’arme et les tirs effectués par le gendarme dans le cas d’espèce étaient autorisés » selon la Chambre de l’instruction.

La partie civile contestait devant la Cour de Cassation cette appréciation avec des moyens qui n’étaient pas dénués de fondement.

Parmi ces moyens, on en relèvera surtout quatre :

-La partie civile faisait valoir que, dans la mesure où le second tir a été réalisé, selon la Chambre de l’instruction, sans volonté d’atteindre le ou les passagers du véhicule, on doit en déduire que le coup mortel a été porté sans maîtrise et que le gendarme n’avait pas eu la volonté d’atteindre le conducteur du véhicule dans son intégrité physique, mais avait tiré le coup fatal par automatisme au regard des règles de tir qui lui avaient enseignées

En conséquence, la qualification de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, qui suppose nécessairement l’intention de l’auteur de porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui, était erronée.

-La partie civile faisait valoir également que la légitime défense ne peut être reconnue que si la riposte est strictement nécessaire

La Chambre de l’instruction ne pouvait pas, sans contradiction manifeste, affirmer que les tirs ayant entraîné le décès du conducteur étaient nécessaires aux fins d’esquiver le véhicule, et constater dans le même temps qu’il était établi que si le gendarme ne s’était pas jeté sur le côté gauche de la chaussée afin de rejoindre finalement le trottoir, il aurait été heurté par le véhicule. Ces termes révélaient en effet que c’était le mouvement du gendarme sur le côté qui lui avait permis d’éviter le véhicule et non les tirs portés en direction du conducteur.

-La partie civile faisait également valoir qu’à supposer que le premier tir effectué par le gendarme pouvait être considéré comme justifié au regard de sa perception du danger et de la nécessité d’y échapper, tel n’était pas le cas du second tir qui était intervenu alors que le gendarme avait rejoint le trottoir.

Les constatations et les énonciations de l’arrêt rendu par la Chambre de l’instruction contredisaient manifestement le caractère nécessaire du second tir. La partie civile relevait à cet égard que l’argument tenant à la prétendue conformité de ce second tir avec les règles d’usage des armes enseignées dans les écoles de gendarmerie était parfaitement inopérant.

-Enfin, la partie civile rappelait la jurisprudence constante de la Cour de Cassation qui exigeait que l’usage de la force armée, même si elle intervient dans un des cas limitativement énumérés par l’article 2338-3 du Code de la défense, devait être absolument nécessaire, ce qui n’était pas constitué dans le cas d’espèce.

Alors que jusqu’à présent la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation avait démontré une approche très restrictive des droits des gendarmes à recourir à la force armée, l’arrêt rendu le 12 mars 2013 semble opérer un véritable revirement de jurisprudence.

La Chambre Criminelle a répondu aux moyens soulevés par la partie civile par une motivation succincte.

La Cour a en effet estimé que le gendarme devait bénéficier de la cause d’irresponsabilité pénale prévue à l’article 122-4 alinéa 1 du Code Pénal, (il ne s’agit pas de la légitime défense, mais du fait justificatif relatif à l’autorisation de la loi) résultant de l’application de l’article L.2338-3 du Code de la défense, dès lors qu’il a été établi, « qu’en raison des circonstances de l’espèce, l’usage de son arme de service par le gendarme était absolument nécessaire pour contraindre le conducteur du véhicule, qui avait commis des infractions graves et refusé à plusieurs reprises d’obtempérer aux ordres d’arrêt des gendarmes, dans des circonstances dangereuses pour leur sécurité ».

Cet arrêt apparaît particulièrement favorable dans l’approche qui est faite de l’usage des armes par les gendarmes car le cas d’espèce qui était soumis à la Cour et les moyens qui étaient développés par la partie civile permettaient de douter du caractère justifiable du second tir effectué par le gendarme, alors qu’il avait réussi à se soustraire au danger.

Pour statuer ainsi qu’elle l’a fait, la Cour de Cassation a reconnu l’absolue nécessité en la motivant par les infractions graves précédemment commises par le conducteur et son refus réitéré d’obtempérer aux ordres d’arrêt des gendarmes dans des circonstances dangereuses pour leur sécurité.

Il faut examiner cette motivation avec attention.

En se plaçant sur le terrain de l’absolue nécessité et de l’article L.2338-3 du Code de la défense, la Cour de Cassation écarte le fait justificatif de légitime défense qui figurait dans la décision de la Chambre de l’instruction, et donne donc pleine force aux dispositions du Code de la défense permettant aux gendarmes d’avoir recours à la force armée, par application des dispositions de l’article L.122-4, 1er, du Code Pénal.

Cet article dispose :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires.

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation dans cette espèce replace donc l’action de tir du gendarme dans son juste cadre juridique, qui n’était pas la légitime défense en l’espèce, mais l’autorisation spécifique donnée par une disposition légale dans des circonstances particulières.

S’agissant de ces circonstances, la Cour de cassation a pris soin de rappeler qu’il s’agissait d’un refus d’obtempérer plaçant les gendarmes en situation dangereuse, ce qui renvoie au 4° de l’article L.2338-3 du code de la défense, en y ajoutant néanmoins une condition.

L’article précité autorise en effet le déploiement de la force armée en cas de refus d’obtempérer et dans le but de stopper les véhicules. Il ne pose pas comme condition la dangerosité de la situation pour les gendarmes intervenants. Si la Cour a évoqué cette situation particulière, ce n’est pas par hasard. Cela signifie qu’elle estime que le refus d’obtempérer visé à l’article L.2338-3 doit présenter un caractère dangereux pour permettre le recours légitime aux armes.

La Chambre Criminelle a aussi visé dans sa décision les infractions commises précédemment par le conducteur du véhicule. Ces infractions semblent, dans la décision, constituer un critère de l’absolue nécessité. Si tel était le cas la situation juridique des gendarmes serait rendue assez incertaine face à un même type d’évènement. Si un conducteur de véhicule refuse d’obtempérer et met en danger les gendarmes, mais qu’il n’a pas commis d’actes délictuels précédemment, les gendarmes doivent pouvoir user de leurs armes néanmoins, pour mettre un terme à cette situation objectivement dangereuse. Le rappel des infractions antérieures devrait donc être considéré comme de pure forme, mais l’incertitude demeure.

C’est d’ailleurs là le principal reproche que l’on peut faire à cet arrêt. Rompant avec la jurisprudence antérieure qui refusait systématiquement de reconnaître l’absolue nécessité lorsque les gendarmes ouvraient le feu, la Cour de Cassation aurait dû profiter de l’opportunité qui lui était donnée pour définir les contours de la notion d’absolue nécessité et offrir ainsi aux militaires de la gendarmerie une vraie sécurité juridique, indispensable à l’accomplissement serein des missions qui leur sont confiées.

Les critères de l’absolue nécessité au sens des dispositions de la CEDH n’ont été définis ni par la jurisprudence nationale ni par la jurisprudence européenne, ce qui laisse une incertitude pesante pour les gendarmes, que cette heureuse décision ne lève pas.

Laurent-Franck LIENARD

 Avocat à la Cour de Paris

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Source : avocat if liénard

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