Une infirmière non-vaccinée obtient gain de cause aux prud’hommes
Cette décision va à rebours de la jurisprudence concernant le personnel soignant non-vacciné.
Suspendue en septembre 2021 parce qu’elle ne disposait pas d’un schéma vaccinal complet contre le Covid-19, une infirmière a obtenu sa réintégration dans les équipes de l’Ehpad des Laurentides, à Tourouvre-au-Perche, dans l’Orne. Mardi 1er mars, le conseil de prud’hommes d’Alençon a statué en sa faveur. Cette infirmière attaquait son employeur, l’Association de Bienfaisance de la Pellonnière, un organisme qui officie dans le développement d’œuvres sociales pour les personnes en difficulté physique et psychique et les personnes âgées dépendantes. Elle réclamait l’arrêt de la suspension de son contrat de travail, le versement de l’intégralité des salaires non-payés depuis le début de l’arrêt de son activité ainsi que 3000 euros de dommages et intérêts. Le conseil des prud’hommes a donné raison à la plaignante qui n’avait pas rempli son obligation vaccinale.
En plus de réclamer sa réintégration à l’Ehpad de Tourouvre-au-Perche, géré par l’association, le conseil a accédé à la demande de l’infirmière sur le versement par l’employeur de tous les salaires non-versés, soit un montant total de 13.412 euros. L’Association de Bienfaisance de la Pellonnière devra aussi verser à son employée 1500 euros de dommages et intérêts. De fait, pour une raison indépendante de l’affaire aux prud’hommes, l’infirmière a aujourd’hui déjà réintégré son établissement. Comme l’indique la direction de l’Ehpad, cette professionnelle de santé a effectivement pu reprendre le travail début février après présentation d’un passe vaccinal valide. Pour rappel, un passe vaccinal est valide après deux injections de vaccin et une contamination au Covid-19 ou une injection et deux contaminations. L’injection de trois doses n’est pas strictement nécessaire à la validité du passe.
À rebours de la jurisprudence actuelle
Cette décision va à rebours de la jurisprudence concernant les mises à l’arrêt de personnel soignant non-vacciné. En septembre 2021, deux aides-soignants non-vaccinés du Haut-Rhin avaient déposé un recours devant le tribunal administratif de Strasbourg après avoir été suspendus par l’hôpital de Loewel, à Munster, qui les employait. Or, dans une décision du 27 septembre, le tribunal avait rejeté leur requête, estimant que les arguments justifiant leur suspension «ne sont pas de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales».
Cette fois-ci, le contexte particulier a mené à une décision différente. Comme le rapporte Ouest France, en 2015, cette infirmière était tombée malade d’un cancer dont elle a mis quatre années à se soigner avec de la chimiothérapie. Elle élève par ailleurs seule sa fille de 16 ans qui n’a aucune autre famille. Le conseil des prud’hommes a estimé que, compte-tenu des épreuves de santé traversées et sachant que cette infirmière est le seul soutien familial de sa fille, l’argument qu’elle a avancé, à savoir le refus de prendre un risque de santé en se faisant injecter plusieurs doses d’un vaccin que le conseil considère «en phase d’essai clinique», est un argument de bonne foi. Précisément, sur la qualification du statut du vaccin, cette argument du conseil prud’homal diffère de l’avis du Conseil d’État et d’autres juridictions qui jugent que le vaccin n’est plus en phase d’essai clinique. «On a affaire a une jurisprudence dissidente», explique Delphine Provence, avocate spécialisée dans la défense des professionnels de santé. «Jusqu’à présent, la jurisprudence confirmait l’obligation vaccinale. Toutes les décisions de tribunaux administratifs et du Conseil d’État allaient dans ce sens. Cette fois, il y a une brèche dans la jurisprudence», avance-t-elle.
Cela signifie-t-il pour autant que cette décision a vocation à être reproduite par d’autres juridictions ? «Ça ne présage pas de la suite», prévient Delphine Provence. Comme l’explique la juriste, cette décision des prud’hommes d’Alençon est un référé, c’est-à-dire une procédure rapide, qui doit prévenir un dommage imminent – en l’occurrence, le risque financier couru par cette infirmière du fait de l’absence de salaire. Cette jurisprudence pourrait se trouver remplacée par une future décision prud’homale dite de fond, plus longue mais plus apte à former une nouvelle règle qui s’appliquera généralement.
L’employeur fera appel
«On a pris en considération l’avis des prud’hommes», déclare Yvan Cartel, directeur de l’Ehpad des Laurentides qui emploie cette infirmière, avant d’ajouter : «Nous avons décidé de faire appel et, bien-sûr, nous respecterons la décision prise». L’association a jusqu’au 15 mars pour faire appel. Concernant la mesure de suspension prise par son établissement en septembre 2021, le directeur affirme : «On n’a pas eu d’autre choix que d’appliquer la loi». Le 15 septembre 2021 – jour précédant celui de la suspension de l’infirmière – marquait le début de la mise en œuvre des sanctions prévues par la loi à l’encontre des professionnels refusant de se plier à l’obligation vaccinale. Un flou juridique persistait alors quant à la possibilité pour les établissements de soins de suspendre ou radier, au motif d’un abandon de poste, le personnel refusant la vaccination et ne pouvant donc plus se présenter au travail.
Source : Le Figaro
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