Une fiche invitant à signaler les « propos inacceptables » des élèves sur le Covid agace les profs
« On a l’impression que toute forme de critique est interdite », s’inquiète Frédérique Rolet, secrétaire nationale et porte-parole du Snes-FSU, auprès de Franceinfo.
Les enseignants sont invités à rapporter des propos « inacceptables » aux parents et aux autorités de l’école. (Photo d’illustration.) (XAVIER LEOTY/AFP)
Des représentants de syndicats d’enseignants se sont agacés de la publication de documents lundi 4 mai sur la plateforme Eduscol par le ministère de l’Education nationale. Parmi ces « documents de référence et recommandations pédagogiques qui ont pour objectif d’accompagner les professionnels dans le processus de reprise des cours » après le confinement, celui intitulé « Ecouter et favoriser la parole des élèves en retour de confinement Covid-19 » [PDF] a particulièrement fait grincer des dents.
Initialement présenté sur les réseaux sociaux comme une circulaire, ce document est en fait décrit comme une « fiche » par le ministère. Un paragraphe a notamment retenu l’attention : « Des enfants peuvent tenir des propos manifestement inacceptables », peut-on lire dans ce texte de trois pages.
« La référence à l’autorité de l’Etat pour permettre la protection de chaque citoyen doit alors être évoquée, sans entrer en discussion polémique. Les parents seront alertés et reçus par l’enseignant, le cas échéant accompagné d’un collègue, et la situation rapportée aux autorités de l’école. »
« On nous demande de ne pas remettre en cause la gestion de la crise »
Une recommandation qui agace autant qu’elle inquiète. Sur les réseaux sociaux, de nombreux professeurs craignent une volonté de faire taire les critiques contre le gouvernement.
« On nous demande de ne pas remettre en cause la gestion de la crise », affirme Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire, auprès de Franceinfo.
Comme d’autres sur Twitter, elle souligne que cette formulation ressemble à celle déjà utilisée dans une fiche pédagogique publiée après les attentats de « Charlie Hebdo », de l’Hyper Cacher et de Montrouge en 2015. Déjà, les professeurs étaient invités à évoquer « l’autorité de l’Etat pour permettre le “vivre ensemble” ». « On ne peut pas comparer la situation sanitaire actuelle avec une situation terroriste », poursuit Francette Popineau, qui regrette l’utilisation de termes similaires dans des contextes bien différents.
Pour Frédérique Rolet, secrétaire nationale et porte-parole du Snes-FSU, syndicat national des enseignements de second degré, certaines de ces fiches « posent problème idéologiquement ». « On a l’impression que toute forme de critique est interdite », estime-t-elle auprès de Franceinfo.
« Propos haineux » ou « théories complotistes »
Contacté par « l’Obs » au sujet de la fiche « Ecouter la parole des élèves », le ministère de l’Education nationale précise que les « propos inacceptables » évoqués englobent « des propos haineux en direction d’une personne ou d’un groupe », « manifestant le refus des gestes barrières et le souhait de s’en affranchir », « exprimant une indifférence à la situation, un mépris des deuils », ou encore « relayant des théories complotistes ».
Le ministère précise par ailleurs que la plateforme Eduscol est « destinée aux professeurs et propose des moyens de répondre en tant qu’enseignant » face à certaines dérives.
D’autres fiches présentes sur Eduscol avaient attiré l’attention des enseignants, comme celles sur le « risque de dérive sectaire » [PDF] ou le « repli communautaire ». Cette dernière explique dans son introduction que « la crise du Covid-19 peut être utilisée par certains pour démontrer l’incapacité des Etats à protéger la population et tenter de déstabiliser les individus fragilisés. Divers groupes radicaux exploitent cette situation dramatique dans le but de rallier à leur cause de nouveaux membres et de troubler l’ordre public ».
La secrétaire générale du Snuipp-FSU Francette Popineau regrette là aussi, auprès de Franceinfo, un « amalgame » laissant penser que « le communautarisme et la façon de comprendre cette crise sanitaire ont un rapport ».
Là encore, le ministère de l’Education nationale tente de se justifier, assurant que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) l’avait alerté « chaque semaine pendant le confinement » sur « un risque de récupération des peurs par certains individus ou groupes qui prônent des idées (par exemple sur l’alimentation) en dehors des consensus scientifiques, voire pouvant présenter un danger ».
Contrairement à des circulaires, ces fiches pédagogiques n’ont pas de valeur réglementaire. Elles sont destinées à « [souligner] les points de vigilance à porter à certaines situations et l’importance à accorder à la parole des élèves », est-il précisé sur Eduscol. « Elles ne peuvent pas contrevenir à la liberté pédagogique des enseignants », rappelle Frédérique Rolet.
Source : L’Obs
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