À Bandol, une brigade de gendarmerie est spécialisée dans le recueil de la parole des enfants victimes. On y associe psychologie et procédure pénale pour valider (ou non) des accusations
Alicia, 7 ans, s’installe dans un fauteuil, juste en face d’Arthur, l’énorme ours blanc en peluche qui trône dans la salle d’audition de la brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ) à Bandol. La fillette est environnée de jouets. Devant elle, une petite table, comme à la maternelle, avec des feuilles de papier et des feutres de couleur… si les mots viennent à lui manquer.
Elle est seule avec Gilles. En fait, le maréchal des logis-chef Gilles Mouliets. Et si les parents d’Alicia n’ont pas été autorisés à être présents, c’est parce que la fillette et le gendarme ont des choses à se dire. Des choses douloureuses, sous l’œil discret mais attentif de deux caméras vidéo dissimulées, qui vont enregistrer tout l’entretien.
Auditions filmées
Si Alicia est là, c’est pour raconter comment, quelques jours auparavant dans son village du centre Var, elle a été abordée dans un jardin public par un quinquagénaire. Comment il l’a attirée chez lui pour lui offrir une boisson. Comment il l’a séquestrée pendant deux heures pour la violer.
Dans la pièce d’à côté, derrière une glace sans tain, le gendarme chargé de l’enquête ne perd pas une miette du face à face. Il confronte les éléments dont il dispose déjà avec les propos de l’enfant. Il peut ainsi demander à Gilles de préciser une question. La vidéo, gravée sur CD, sera jointe à la procédure judiciaire et pourra même être visionnée par les jurés de la cour d’assises du Var, lors du procès du violeur. Ces entretiens sont la spécialité de la BPDJ.
Des gendarmes très psychologues
Tous ses membres sont des gendarmes férus de psychologie, qui se sont portés volontaires pour suivre une formation diplômante. Auprès de psychologues et de magistrats, Gilles s’est familiarisé avec les stades de développement de l’enfant.
« On apprend à connaître certains mécanismes pour rassurer l’enfant, le déculpabiliser. Parce qu’il a honte. Parce que pour lui, ce qui lui est arrivé est de sa faute. Parce qu’on lui a fait supporter le poids du secret.
« Dans cette salle, quand on entend un enfant, on va chercher avec lui au fond de ses souvenirs des histoires sordides qu’on lui fait revivre. C’est le plus difficile. L’enfant n’est pas dans un monde d’adulte. Il ne comprend pas ce que l’adulte recherche. Pour lui, le sexe, c’est un appareil pour faire pipi. Rien de plus. »
Des vérités pas faciles à dire
Dans cet exercice, Gilles s’attache à écouter, à informer, à rassurer et à répondre aux questions que l’enfant victime se pose. Il faut prendre son temps. Jamais plus de deux heures, mais pas moins de vingt minutes. Le tout sans perdre de vue l’objectif de l’officier de police judiciaire : « Rechercher les éléments constitutifs de l’infraction. »
Le moment de tension maximum ? « C’est quand on en arrive aux faits. L’enfant le sent, il le sait, il ne veut pas en parler, alors il nous parle de ses vacances. C’est le moment crucial où il faut le rassurer, relancer les questions. « S’il a un doudou, on peut lui faire raconter le crime comme si c’était le doudou qui avait assisté aux faits. »
Comme la plupart des actes d’enquête, ces entretiens se font à charge et à décharge. Et il n’est pas rare d’observer que des enfants ont été instrumentalisés par l’un de leurs parents, dans le cadre d’une séparation.
Les gendarmes de la BPDJ commencent souvent leurs auditions en demandant aux enfants de leur dire la vérité. « Même un tout petit enfant peut comprendre ce que c’est que la vérité, pour peu qu’on le lui explique. Pour les plus jeunes, je montre la petite table rouge, je demande quelle est sa couleur et je précise : si tu me dis qu’elle est bleue, ce n’est pas la vérité. » Élémentaire, mais efficace.
190 enfants victimes entendus l’an dernier
En 2013, les cinq gendarmes (une femme et quatre hommes) de la BPDJ de Bandol ont conduit 190 auditions de mineurs victimes, venant de communes varoises situées en secteur gendarmerie.
Des violences plus ou moins graves avaient été infligées à 35 d’entre eux, et 155 avaient été victimes d’abus sexuels ou de tentatives : 77 viols et 78 agressions sexuelles. Les trois quarts des violences et un tiers des abus sexuels ont été perpétrés dans le cercle familial.
Les abus sexuels ont été perpétrés à 70 % sur des filles et 30 % sur des garçons. Un quart de ces enfants victimes étaient âgés de 2 ans et demi à 7 ans, 38 % avaient entre 8 et 12 ans, 37 % entre 13 et 18 ans.
Les violences ont touché à égalité filles et garçons, à 35 % des enfants de 2 à 7 ans.
Source : Varmatin
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