Enquêtrice sur les violences intrafamiliales et sur les mineurs, Cécile Peronnet, 45 ans, s’inquiète des violences qui augmentent et alerte sur les enfants particulièrement isolés et vulnérables alors qu’ils n’ont pas école.
« Je travaille à la Brigade de protection de la famille , à Rennes, qui orchestre un réseau de soixante-dix référents dans le département d’Ille-et-Vilaine. Avec le réseau, on traite toutes les violences intrafamiliales, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. J’interviens sur les dossiers les plus sensibles.
La première semaine de confinement a été relativement calme. Mais, entre le 8e et le 10e jour, les interventions ont littéralement explosé. De la folie. Ensuite, ça s’est stabilisé dans cette augmentation. Généralement, le mis en cause est placé en garde à vue. En ce moment, nous en avons tous les jours.
Hier (jeudi 30 avril) , j’ai commencé ma journée à 9 h par l’audition d’un enfant pour lequel il y avait suspicion de violence sexuelle de la part du papa. Ensuite, je les ai orientés, lui et sa maman, vers le rendez-vous médical et le suivi psy. Ils en avaient besoin. J’ai enchaîné par l’audition d’un garçon de 9 ans. Au moment de notre intervention, il y a plusieurs jours, il avait dû être hospitalisé, tellement sa mère le frappait. Il a ensuite été placé en famille d’accueil. C’est un super petit bonhomme. Il a réussi à me relater ce qu’il vivait depuis ses 2 ans avec sa maman. L’après-midi, j’ai enchaîné avec l’audition d’une ado pour un viol qui s’est passé avant le confinement. La jeune fille, forcément, ne va pas bien. On craint les scarifications, les idées suicidaires, et le passage à l’acte.
Au moment où on retire les enfants à leurs foyers, ils sont en état de sidération. Ils minimisent les faits ou sont dans l’évitement le plus total. Leurs parents sont maltraitants mais restent leurs parents. Pour les auditionner, on attend qu’ils soient placés en famille d’accueil, dans un milieu « sécure » et bienveillant. Là, leur discours est beaucoup plus libre.
« Ne pas risquer le pire »
En ce moment, on traite les signalements pour lesquels, en temps ordinaire, on aurait attendu un peu. On préfère soustraire des enfants à leur famille plutôt que de risquer le pire. On travaille avec les services sociaux qui, en cette période de confinement, restent en alerte et font un super boulot pour trouver des familles d’accueil. On sollicite aussi beaucoup la Cellule d’accueil spécialisé pour l’enfance en danger et l’équipe pédopsychiatrique du professeur Sylvie Tordjman, au CHU de Rennes.
Il nous arrive d’intervenir dans des cas de violences conjugales, comme pour cette femme qui nous appelle parce que son mari la frappe. On intervient, elle dépose plainte. Et le lendemain, elle me rappelle pour retirer sa plainte, en disant qu’elle s’est trompée. Qu’en fait, elle a glissé et s’est blessée. Quand le flagrant délit est évident, même si Madame ne veut pas déposer plainte, on peut placer Monsieur en garde à vue. Nous, notre travail, c’est la protection des victimes.
Depuis une semaine, on les appelle pour prendre de leurs nouvelles ainsi que celles de leurs enfants. On essaie de maintenir le lien, c’est particulièrement nécessaire en ce moment.
« L’école, soupape d’oxygène »
Je crains que le confinement multiple les addictions aux écrans, déjà nombreuses en temps ordinaire, et que cela accroisse les violences et les passages à l’acte d’ordre sexuel. Les gamins voient ça sur Internet et certains ont envie de les reproduire sur leur petit frère ou leur petite sœur. Qui, en ce moment, ne peuvent en parler à personne. Quand il y a école, ils le disent parfois aux copains ou aux copines.
L’école est une soupape d’oxygène pour ces enfants. Elle leur permet de sortir de chez eux, de voir autre chose que leur famille. Et pas mal de révélations y sont faites. En ce moment, des enfants vivent l’enfer et on ne le sait pas. Pour ces raisons, je suis très favorable à ce que l’école reprenne au plus vite.
Vous savez, quand j’entends un mineur, j’entends souvent l’inentendable, des choses terribles. Une partie de moi se met en retrait et se dit : mais comment peut-on faire ça à un enfant ? L’autre partie reste en lien avec lui, l’écoute, le sécurise. Ce mécanisme de dissociation, c’est ma façon de me protéger. Quand je sors du travail, je me dis que, sur tous ces enfants qui vivent l’enfer, si j’ai pu en aider quelques-uns, c’est déjà bien. Le Covid ne me fait pas du tout peur. Peut-être que j’ai tort, mais le curseur de mes préoccupations est ailleurs. »
Source : Ouest-France
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