Syndicats de police : les petits arrangements et le grand malaise de toute l’institution

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© Benoit Tessier Source: Reuters Des policiers affectés en compagnie d’intervention pour le maintien de l’ordre du 1er mai 2019 à Paris (image d’illustration).

A l’heure où Christophe Castaner invite les policiers à l’exemplarité dans leurs opérations quotidiennes, d’anciens patrons de syndicats de police s’en vont dans des conditions favorables. Malaise à la police.
Deux organisations policières, le syndicat ViGi et l’association UPNI, ont récemment fait savoir, dans plusieurs publications, que le secrétaire général du syndicat des cadre de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT) allait bénéficier au mois de juillet 2020 d’une mutation enviable à Tahiti avec une affectation qu’ils jugent contestable.
En l’espèce, l’intéressé Jean-Marc Bailleul, 52 ans, commandant divisionnaire, doit prendre un poste au renseignement territorial à Papeete. Mais selon le secrétaire général de ViGi, Alexandre Langlois, alors qu’une trentaine d’autres policiers postulaient, c’est un secrétaire général de syndicat qui se voit «récompensé pour sa complaisance envers l’administration et le gouvernement». Or, le secrétaire général du SCSI a bien été obligé d’admettre son manque d’expérience en la matière et, ainsi que le relate le magazine Capital, qu’il allait devoir suivre «des formations» pour préparer son arrivée à Papeete.Capture d’écran 2020-01-30 à 22.48.24

Il assure néanmoins : «Je conçois que c’est un beau poste, mais j’ai été soumis aux mêmes règles que les autres candidats.» Jean-Marc Bailleul n’a pas souhaité répondre pour le moment aux sollicitations de RT France [voir mise à jour ci-dessous], mais selon Capital, il se dit «profondément blessé» par ces attaques et déplore une «agressivité totalement disproportionnée», avant de déclarer : «Cette histoire me donne vraiment envie de partir. Qu’ils me laissent enfin tranquille !»

Autre récrimination digne d’intérêt de la part de Jean-Marc Bailleul, cité par le magazine économique : «Ça n’est pas la première fois qu’un représentant syndical obtient une mutation de ce type sans expérience préalable, mais d’habitude, cela ne provoque pas une telle polémique.»

De source policière contactée par RT France, d’autres cas similaires de postes obtenus après une longue carrière syndicale sont effectivement connus : un policier a été affecté au Sénat, un autre à la sécurité des bâtiments de la CFDT, un autre encore, déjà passé par le Conseil économique social et environnemental, a obtenu une place dans l’équipe sécurité des Jeux olympiques 2024 à Paris, ainsi que le relevait La Lettre A, précisant que «les réseaux de Nicolas Sarkozy montent en première ligne sur la sécurité des jeux olympiques». En l’occurrence, il s’agit de l’ancien secrétaire général du syndicat de police Alliance, qui avait cédé sa place en avril 2019.

Cette histoire me donne vraiment envie de partir. Qu’ils me laissent enfin tranquille !

A cet égard, l’Union des policiers nationaux indépendants (UPNI) rappelle dans une publication Facebook datée de ce 28 janvier : «Nous nous interrogions sur le sort qui était réservé au précédent secrétaire général d’Alliance, Jean-Claude Delage, Major RULP [Majors Responsables d’Unité Locale de Police] de son état, porté disparu depuis le printemps dernier. Nous sommes à présent rassurés. […] Ceux qui sont sollicités ou méprisés à longueur d’année apprécieront à leur juste valeur les reclassements divers et variés que consent l’administration police au bénéfice de syndicalistes policiers qui ont toujours eu la colère sélective ou l’indignation médiatique. Incapable de faire autre chose que du mauvais théâtre, ils ont eu en récompense médailles, nominations de confort (et souvent rémunératrices), parachutage politique, ou mutation sous des cieux paradisiaques.»

Et de lâcher, intraitable : «La République est bonne fille à ceux qui ont su ne pas l’agacer, ne pas soulever concrètement les problématiques qui fâchent, et s’accommoder d’un effondrement programmé.»
Mais pour en revenir au cas de Jean-Marc Bailleul, comme le souligne le syndicat ViGi, l’affectation du secrétaire général du SCSI s’assortit d’un coup de pouce supplémentaire : «Félicitons Jean-Marc Bailleul et son épouse pour avoir su mener leur pirogue dans les îles…»

Selon les informations de l’UPNI, le patron du SCSI aurait en effet obtenu que son épouse le suive dans son voyage en Polynésie française : «Il se trouve que ce monsieur est l’heureux époux d’un autre officier également commandant divisionnaire. Craignant probablement une solitude administrative pesante et démoralisante, il a tout simplement obtenu la création pure et simple d’un poste en tant qu’adjoint au chef d’état-major de la circonscription de sécurité publique de Papeete. Sachant que ce poste est déjà occupé, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une affectation en surnuméraire. Les esprits chagrins y verraient presque la création d’un emploi fictif.»
L’association de policiers en colère souligne également le motif de mutation de l’épouse du syndicaliste : «La mutation de l’épouse de ce secrétaire général vient d’être validée ce 20 janvier 2020 par la signature d’un article 25, qui, comme chacun sait, est une mutation dérogatoire justifiée par des conditions ou circonstances exceptionnelles.»
Contacté par RT France, le porte-parole de l’association UPNI, Jean-Pierre Colombies, a, ironiquement, fait savoir qu’il serait curieux de connaître le bilan des travaux réalisés par l’ancien secrétaire général d’Alliance au CESE (le Conseil économique, social et environnemental) et évoque pour ce cas et celui des deux commandants divisionnaires Bailleul (mari et femme) une «République de copains coquins».
Remontant à des affaires datant de 2007, cet ancien commandant de police retraité qui est lui-même passé par le même syndicat que Jean-Marc Bailleul déplore : «Depuis la commission administrative paritaire de 2007, des syndicats comme Synergie, à l’époque, ont vendu le syndicalisme policier contre des médailles et des avancements et autres mutations favorables à leurs adhérents. Le SCSI avait été épargné jusqu’à présent, mais ce n’est manifestement plus le cas, ce syndicat se normalise, malheureusement, avec cette attitude opportuniste.»

Le vent avait d’ailleurs déjà tourné au SCSI à la fin de l’automne 2019, ainsi que l’avait relevé RT France. Un secrétaire national du syndicat en délicatesse pour avoir préfacé l’ouvrage d’un syndicaliste concurrent, avait tenu à faire une petite mise au point le 8 novembre dans un email à tous les adhérents : «Il faut avoir l’honnêteté de l’avouer et la loi de transformation publique votée en juillet 2019 qui supprimera le rôle des syndicats dans les CAP rappellera à quel point nos adhérents nous associaient d’abord à ce rôle incontournable, parfois indu, que nous avions pris dans la gestion des carrières. Je regrette d’ailleurs que notre syndicat comme les autres n’ait pas eu, dans ses organes de direction, ce souci de franchise et transparence sur cette évolution, préférant un déni de réalité opportuniste qui doit là aussi questionner sur la responsabilité syndicale.»

Ils ont vendu le syndicalisme policier contre des médailles, des avancements et des mutations

Les choses étaient dites pudiquement, mais au sein de la police nationale, il était courant de voter pour une famille syndicale majoritaire qui serait la plus à même d’aider le votant au cours de sa carrière dans ces fameuses CAP. Un levier de fonctionnement conséquent a donc été retiré aux grands syndicats dans le plus grand silence en 2019… Etait-il temps de partir sous d’autres cieux pour certains responsables ? L’histoire ne le dit pas.
Les associations et syndicats comme ViGi dénoncent en tout cas un certain malaise dans l’institution de la police nationale. Un tel constat est en tout cas réalisé par les trois signataires socialistes d’une tribune dans le Journal du dimanche, parue le 26 janvier :«La récente démission du directeur général de la Police nationale est un indice révélateur du malaise persistant ressenti par le monde policier. Il s’étend à tous les secteurs de l’institution et affecte les gros bataillons de la sécurité publique comme les équipes spécialisées de la police judiciaire (PJ) ou les brigades, les compagnies et les commissariats.»

Le nouveau DGPN sera-t-il à la hauteur du défi ?

Selon les informations du Point, un nouveau directeur général de la police nationale (DGPN) aurait justement été trouvé ce 28 janvier en la personne de Frédéric Veaux, préfet des Landes. Ce dernier est qualifié par le journaliste Aziz Zemouri d’«ex-grand flic de la PJ, puis du renseignement».
Le signal qui pourrait être adressé par Beauvau à cette occasion serait donc le suivant : les policiers de terrain voulaient un des leurs à la direction, ce serait chose faite, en quelque sorte…
Peut-être ce prochain DGPN saura-t-il mieux que son éphémère prédécesseur se faire entendre de ses effectifs ? Si cette nomination se confirme, le préfet aura probablement comme double mission de réparer les liens distendus entre le ministère de l’Intérieur et les policiers de terrain fatigués, mais également entre les policiers et une part croissante de la population française.
Car, si Christophe Castaner a récemment appelé les forces de sécurité intérieure à faire preuve d’exemplarité, selon les informations du Parisien, il l’aurait fait sur demande du président de la République. Le quotidien francilien précise à ce titre que le gouvernement a dû ménager chèvre et chou après de longs mois de crise sociale et de sur-emploi des forces de l’ordre : «Place Beauvau, on n’avait qu’une hantise : que les policiers, interdits de droit de grève, se fassent porter pâles, en déposant des arrêts maladie.[…] Au ministère de l’Intérieur, on dispose [d’un] baromètre sur la perception de la police par la population, réalisé tous les deux ans. Les résultats sont tombés en décembre. Et ils ne sont pas bons.»
L’exemplarité serait donc exigée pour les policiers de terrain, soumis à des mois de rappels sur week-ends pour assurer le maintien de l’ordre au cours des manifestations de Gilets jaunes, puis des manifestations syndicales interprofessionnelles, alors que des secrétaires généraux de syndicats réformistes bénéficient de sorties de carrière enviables et que le directeur général de la police nationale fait valoir ses droits à la retraite à 62 ans, c’est-à-dire deux années avant l’âge habituel pour un haut fonctionnaire de l’Etat.
Pour le nouveau DGPN, la pilule ne sera peut-être pas si facile à faire passer auprès de ces effectifs soumis à rude épreuve. Il sera surtout attendu à propos de l’épineux sujet du suicide, après l’année noire de 2019 qui a vu 58 policiers nationaux se suicider, selon le décompte sinistre du compte Facebook Citoyen Solidaire.
Mise à jour du 30 janvier :
Après lecture du présent article, Jean-Marc Bailleul a souhaité réagir à notre publication et a fait valoir plusieurs points. Concernant ses compétences, il a tenu à souligner que dans le cadre de ses activités syndicales, il avait organisé des groupes de travail avec des délégués SCSI experts du renseignement lors de la création de la direction générale de la sécurité intérieure et du service central du renseignement territorial afin de faire des propositions sur la doctrine et les moyens technologiques employés.
Par ailleurs, l’intéressé a expliqué que ses détracteurs (nommément le syndicat ViGi et l’association UPNI) étaient, pour certains, en mauvais termes avec lui de longue date et entretenaient des «rancœurs personnelles» à son endroit et vis-à-vis de son syndicat.

D’autre part, Jean-Marc Bailleul a précisé que «bien avant [lui] d’autres secrétaires généraux» de syndicats avaient bénéficié de reclassements «à l’ONU, dans des ambassades, à l’étranger, en outre-mer». Par ailleurs d’autres ont été «nommés préfets, ou sous-préfets, sans que cela ne suscite autant de réactions», a-t-il ajouté avant de concéder que «la retraite aurait sûrement été la meilleure solution pour [lui]», mais qu’il n’avait «pas encore [ses] droits».
Et de conclure : «N’oubliez pas que leurs communications [celles de ses détracteurs] sont très mal perçues par les Tahitiens qui y voient un dénigrement du métier de policier là-bas.»
Antoine Boitel

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