Suicides dans la fonction publique: l’organisation du silence et du déni

Policiersuicide

21 févr. 2019 Par Blog : Le blog de ASD-Pro

les risques pour la santé mentale engendrés par les conditions de travail sont connus, et leurs effets sont visibles par l’accroissement constant du nombre de pathologies psychiques et de suicides en lien avérés avec le travail. Or si l’on retient les pathologies psychiques et les suicides « reconnus imputables au service » par l’administration cette réalité semble pourtant contredite. Pourquoi?

« La gestion des risques professionnels est un sujet de gouvernance, d’arbitrage et de stratégie » (Medef)

Quelle est donc en réalité cette « stratégie » dont parle le Medef, et de quelle manière est-elle mise en œuvre aussi dans la fonction publique ?

Notre association, qui agit depuis 10 ans auprès de fonctionnaires et de leurs ayants droits, victimes de ces risques « psychosociaux » et suicides, afin de reconnaître imputables au services ces pathologies et suicides, peut à partir de cette expérience mettre en lumière les stratégies mise en œuvre par les administrations pour organiser le silence et le déni. Nous ne parlerons ici que de la question des suicides (et tentatives de suicide), les pathologies psychiques relèvent des mêmes stratégies mais les processus d’imputabilité se présentent différemment.

Première étape, l’invisibilité:

Pourquoi, alors que les syndicats, les CHSCT, les experts en santé et travail, des médecins du travail, des inspections du travail, les associations, ne cessent d’alerter sur l’accroissement inquiétant du nombre de suicides, leur nombre officiellement reconnu par l’administration ne traduit pas cette évidence ?

Le premier acte d’invisibilité consiste tout simplement à ne pas publier le nombre de suicides, qu’ils soient reconnus imputable ou pas.

Certains pourraient penser que publier le nombre de fonctionnaires qui se suicident ne dirait rien sur les causalités professionnelles. On pourra objecter que ne pas rechercher de liens possibles conduit effectivement à ne rien pouvoir dire.

Connaître le nombre de déclarations (demande d’imputabilité) renseignerait déjà sur la probabilité, car si les ayants droit sollicitent cette imputabilité c’est qu’ils possèdent une conviction, et cette conviction s’appuie sur des faits et non sur des sentiments, notre association peut en témoigner. Mais il est impossible d’en connaître le nombre, pas plus que le nombre de suicides « reconnus ».

Le second acte d’invisibilité consiste à refuser de rechercher tout lien possible avec le travail :

En réalité, depuis l’arrêt du conseil d’Etat du 15 juin 2012 la fonction publique applique désormais le droit de la sécurité sociale concernant les suicides survenus sur le temps et le lieu de travail, en leur accordant la présomption d’imputabilité. On verra plus loin que cela n’empêche pas l’administration, dans le cadre d’une stratégie de déni, de refuser malgré tout d’accorder cette reconnaissance.

De plus, la majorité des suicides liés au travail, se produisent hors du lieu de travail. Cela permet à l’administration d’imputer ces décès à des causes personnelles (comme on le verra aussi plus loin), en refusant systématiquement de se poser la moindre question sur le plan du travail. Et tout aussi systématiquement d’en refuser l’imputabilité lorsque les ayants droits en font la demande.

Cela permet donc de rendre invisible la mortalité liée au travail dans la fonction publique ; en effet, la CNRACL (pour les fonctions publiques territoriales et hospitalière) ne fait toujours pas apparaître le nombre de suicides reconnus imputables au service dans ses statistiques et n’indiquent même pas le nombre d’accidents mortels quelles qu’en soit la cause. Quant à la DGAFP (pour la fonction publique d’Etat) dont la dernière statistique publiée porte sur l’année 2015, elle ne fait apparaître qu’un seul suicide reconnu en AT (dans la police) pour toute la fonction publique d’Etat soit 2.398.031 salariés…

Or, en regroupant les multiples sources disponibles (associatives, médiatiques, syndicales, INVS,) le nombre de suicides rien que dans la fonction publique d’Etat atteindrait des chiffres effarants :

Ils seraient de :

  • 39 pour 100.000 chez les enseignants
  • 25 pour 100.000 au ministère de l’équipement
  • 35 pour 100.000 chez les policiers en 2018 (58 pour 100.000 en 2017, 8 suicides depuis le 1er janvier 2019)
  • 31 pour 100.000 dans la gendarmerie et 58 pour 100.000 tentatives de suicide
  • 60 pour 100.000 chez gardiens de prisons
  • 22 pour 100.00 dans les impôts et les douanes

Sans compter les suicides à France télécom, la poste, aux affaires étrangères …

Rappelons qu’en France, le taux de suicides est de 14,9 pour 100.000 habitants (10,7 pour les 25/54 ans) selon l’observatoire national du suicide. La mortalité routière qui est de 5,18 pour 100.000 habitants est pourtant qualifiée à juste titre de « fléaux national » par ceux là même qui dirigent la fonction publique d’Etat et qui organisent l’omerta sur les suicides en son sein alors que ceux-ci y sont 4 à 12 fois plus nombreux

Ces chiffres ne sont bien sûr qu’un reflet de la réalité, le nombre réel est inconnu et tous ces suicides n’ont pas forcément un lien avec le travail, mais en annonçant un taux de 1 pour 2,4 millions, l’administration n’a vraiment pas peur du ridicule !

Toutefois, il convient de dire ici que ce genre de statistique ne reflète pas toute la réalité du risque au travail. Lorsque qu’un seul suicide se produit à cause du travail, cela montre un problème de travail, et cela signifie que d’autres salariés sont aussi exposés aux mêmes risques pour leur santé psychique. Et donc quand bien même la statistique au sein d’une entreprise serait inférieure à la « moyenne nationale », cela ne signifierait pas que les risques n’existent pas[1].

Le troisième acte d’invisibilité réside dans la persistance à refuser de créer un tableau de maladies professionnelles concernant les pathologies psychiques. En effet ces pathologies conduisent souvent à la mort, notamment par suicide, c’est particulièrement le cas pour les dépressions réactionnelles professionnelles. Le suicide survient alors que le salarié est en arrêt maladie, ou en congé longue durée parfois depuis de longs mois ou années, parfois en retraite. Son décès passe alors totalement inaperçu du point de vue du service.

L’invisibilité n’est donc pas le fruit du hasard ou de l’incompétence, elle relève bien d’une stratégie organisée par les administrations, les pouvoirs publics (conseil départementaux, préfectures), les ministères, et mise en œuvre à tous les échelons de l’administration.

Le suicide lié au travail : un lien direct, mais non nécessairement exclusif

De très nombreuses études portent sur la question du suicide en général et du suicide en lien avec le travail. Toutes concluent au fait que le suicide est toujours le résultat d’une multiplicité de causes.

Notre association ASD-Pro examine pour chaque suicide d’un salarié et pour lequel nous avons été sollicité par ses ayants droit, si il existe un lien avec son travail. Nous recherchons ce lien à partir de la reconstruction de son parcours de santé au travail. Et ceci en dehors de toute autre cause possible dont nous n’ignorons pas qu’elles puissent exister mais qui ne présentent aucun intérêt dans la recherche de ce lien.

En effet, et contrairement à ce que prétendent à l’unisson les employeurs, les commissions de réformes, les DRH et autres responsables administratifs : pour qu’un suicide hors lieu de travail soit reconnu en accident du travail il suffit qu’il soit établi un « lien direct » avec le travail, et non pas un lien « direct et unique » ou exclusif.

Cette nécessité d’exclusivité a été rejetée de multiples fois par les tribunaux administratifs, les cours d’appel administratives et le conseil d’Etat ; et pourtant les commissions de réforme dans leur immense majorité et en dépit de toutes les connaissances scientifiques et de la jurisprudence continuent d’exiger une telle exclusivité du lien. Certaines allant même jusqu’à exiger « un lien unique, direct et certain » rien que ça !!

On peut s’interroger sur cette persistance à vouloir ignorer ces jurisprudences.

Sans doute la multiplicité de ces attitudes qui découle en partie de conditions d’exercice de leurs responsabilités[1] rend-elle les gens incompétents au sein des administrations, mais il s’agit bien avant tout d’une stratégie de déni de droit.

Elle permet aux administrations de s’appuyer sur ces « avis » des commissions de réforme afin de refuser l’imputabilité au service de tout accident survenu en dehors du lieu et temps de service, et particulièrement les suicides.

Sachant de plus, que les recours devant les tribunaux administratif conduisent à des délais hors normes (de 2 à 5ans), pouvant aller jusqu’à 10 ans si l’administration persiste dans son déni en usant de tous les recours jusqu’au conseil d’Etat. L’objectif est alors de décourager les ayants droits.

La volonté de rendre invisible les effets délétères du travail, le refus de publier le nombre de suicides et le nombre de saisines des commissions de réforme. L’obstination à ignorer toutes les jurisprudences refusant de ce fait l’application du droit pour les victimes et leurs ayants droit. Tout cela fait partie d’une stratégie élaborée, mise en œuvre à tous les échelons de la fonction publique : celle du déni.

deuxième étape: L’organisation du déni

En psychologie la « scotomisation » est employée pour qualifier un mécanisme de défense mis en oeuvre par un individu le poussant à nier la réalité de faits survenus. Ce type d’attitude survient généralement dans le cadre d’une névrose et correspond à un véritable mécanisme de déni de la réalité dont le contenu est trop insupportable pour le patient névrotique.

Ce n’est pourtant pas de cette névrose dont souffrent les dirigeants, managers et autres DRH de la fonction publique à propos des suicides en lien avec le travail.

Ici, le déni de la réalité des effets délétères du travail ne relève pas de mécanismes défensifs inconscients mais d’une stratégie politique et managériale consciencieusement mise en oeuvre à tous les niveaux.

Inutile de revenir sur les profondes transformations qui affectent les services publics depuis des années et qui se traduisent dans la fonction publique par de profonds bouleversements dans les organisations du travail et les formes de management.

Pas un seul ministère, hôpital, Service départemental de Secours, conseil départemental, services préfectoraux, services des finances, douanes, police, services municipaux et intercommunaux, etc.. qui n’ai vécu ces dernières années, et vit toujours, les restrictions budgétaires, les mutualisations, la baisse des effectifs, l’arrivée du « Lean management » la sous traitance baptisée « délégation de service public » etc…

Les conséquences en sont désormais connues en terme de dégradation des conditions de travail et d’accroissement des risques professionnels, notamment ce qu’il est convenu d’appeler les « risques psycho-sociaux ».

Face à l’évidence désormais reconnue de l’existence des RPS, les différentes administrations de la fonction publique élaborent des « plans », des « circulaires », des « plans locaux de prévention des RPS »,« Plans d’orientations » … dans un but affiché de prévention (ce que d’ailleurs le code du travail leur impose de faire depuis 2001, art. L4612-16, il s’agit donc d’une obligation réglementaire et non d’une soudaine prise de conscience).

Pour autant, ces plans de prévention des RPS ignorent dans leur quasi totalité la prévention primaire  et ne portent pour l’essentiel que sur des méthodes de « gestion de la souffrance » ou de « repérage des fragilités personnelles». Ils mettent ainsi en place des méthodes de « coaching », de « gestion du stress » de « qualité de vie » etc.. Ou par la création  d’outils  comme les « commissions RPS », les « dispositifs QVT », la formation des cadres au repérages des plus « fragiles » etc.. Qui n’ont rien à voir avec des mesures de prévention telles que définies à l’article 4121-2 du code du travail.

Rien d’étonnant donc à ce que, malgré ces « plans » le nombre de cas de souffrance au travail et suicides ne cesse d’augmenter.

En somme, malgré la quantité impressionnante d’études, de rapports, de « plans », de « guides », etc… l’administration minimise toujours l’existence des risques psychosociaux auxquels les fonctionnaires sont confrontés, préférant reporter ces risques pour la santé mentale à des comportements individuels ou d’hygiène de vie !

Mais le déni du risque n’a jamais empêché que des accidents surviennent et lorsque c’est le cas, soit ils donnent l’occasion de sortir du déni, soit se déploie alors d’autres phases du déni. C’est malheureusement cette seconde voie qu’a choisit l’administration.

Le déni du risque pris, du danger auquel a été confronté un salarié, n’est pas organisé comme méthode de défense, mais comme unique réponse à la double injonction faite à ces administrations : elles se doivent de fonctionner en « mode dégradé » (manque de moyens humains et matériels), et en même temps, assurer la qualité de service et la sécurité des salariés. En cas de « raté », il appartient aux responsables d’éviter coûte que coûte que cette organisation volontairement dégradée ne soit mise en cause.

Il est donc stratégiquement nécessaire pour les directions de nier le rapport au travail lorsqu’un événement (accident du travail, maladie professionnelle) se produit et d’autant plus fermement lorsqu’il relève d’une atteinte psychique.

Reconnaître qu’un suicide est lié au travail, ce serait devoir s’engager dans des mesures qui remettent en cause l’organisation de travail et les décisions politiques qui ont amené à cette organisation. Les seuls événements visibles tolérés seront ceux que l’on pourra attribuer aux « risques du métier » et dont on s’arrangera si possible à en attribuer la responsabilité à « l’erreur humaine », voire la « faute personnelle », on évoquera « les problèmes personnels », « l’hygiène de vie » ou les « fragilités personnelles ». Il est politiquement moins risqué de reconnaître un accident de « plein pied » qu’un accident lié aux RPS surtout si celui-ci met en cause les choix de gestion et/ou organisationnels et/ou managériaux.

Pour que ce déni fonctionne, il doit être soigneusement organisé dans tous les services et à tous les niveaux, il traverse ainsi l’ensemble des rapports sociaux quel que soit le lieu ou le service concerné. Et gare à ceux qui ne s’y plieraient pas !

Le déni s’organise alors en plusieurs moyens menés simultanément:

  • RECHERCHER les causes personnelles, externes au travail :

Tous les salariés, du privé comme du public, peuvent en témoigner : lorsque le suicide d’un collègue se produit, que ce soit sur le lieu de travail ou en dehors ; la réaction immédiate de la direction est : « il avait des problèmes personnels », cette affirmation est lancée avant même de savoir si, effectivement, il en avait. Mais qu’importe, le but est avant tout d’exonérer le travail de toute cause possible et le plus rapidement possible.

Une autre stratégie consiste à tenter d’expliquer le geste fatal par de prétendues attitudes inappropriées, une incompétence caractérisée, un entêtement à refuser tout soutien psychologique, etc… Tout ça dans le but de démontrer qu’il n’y avait « aucun problème lié au travail », et que c’est la victime elle–même qui s’en créait et refusait l’aide proposée. A partir de là, la stratégie de « psychologisation » est lancée.

Cela commence souvent par la mise en place d’une « cellule psychologique » pour aider les collègue à faire le deuil, mais surtout les aider à adhérer à la théorie de la fragilité personnelle. Cette phase de deuil va être mise à profit par les directions pour dire « qu’il est trop tôt » pour avancer des hypothèses et d’accuser ceux qui avanceraient des causes professionnelles de vouloir « exploiter » et « instrumentaliser » ce drame. Tout le monde est invité au recueillement, mais surtout au silence.

Un silence qui sera mis à profit par les directions pour aller rechercher ces fameuses causes personnelles. Si elles en trouve, ce qui dans bien des cas n’est pas surprenant puisque comme nous le disions plus haut, le suicide est toujours multi-causal (qui n’a pas dans sa vie de problèmes personnels ?) alors elles avancerons ces problèmes comme étant la ou les causes uniques de ce drame, en écartant le fait que bien des problèmes personnels (les divorces, la pauvreté, les addictions etc..) sont la conséquence du travail. Si elles n’en trouvent pas, alors elles passeront au 4ème moyen (voir plus bas) en recherchant, post mortem, des éléments relevant du psychisme de la personne.

  • EVITER la présomption d’imputabilité : un déni de Droit.

Si le suicide a eu lieu sur le lieu de travail ET durant les horaires de travail, il bénéficie depuis l’arrêt du conseil d’Etat de 2012, de la présomption d’imputabilité. Ce qui n’empêche pas l’administration de refuser de l’appliquer dans bien des situations. C’est le cas de ce sapeur pompier qui s’est pendu à un arbre situé à la limite de la caserne (ils sont allé jusqu’à consulter le cadastre pour dire que ce n’était pas sur le lieu de travail) et de prétendre aussi que cela n’était pas en lien avec le service car il ne portait pas l’uniforme ! Où le cas de cet agent territorial qui s’est suicidé sur son lieu de travail, dans le bureau de son chef de service, à 7h30 alors qu’il prenait son travail à 8h, cela suffit à l’administration pour refuser la présomption d’imputabilité.

Cela relativise la prétendue compassion qu’ils feignent d’afficher.

Voir en annexe un exemple de ce déni porté par les plus hauts sommets de l’Etat.

 si le suicide s’est produit hors du lieu de travail : ce sera aux ayants droit de demander l’imputabilité. Dans cette situation l’administration doit alors saisir la commission de réforme.

A la différence du régime général où c’est une structure externe à l’entreprise et donc indépendante de l’employeur (la CRAM) qui décide de la reconnaissance, dans la fonction publique c’est l’employeur qui décide de l’imputabilité. Il est en somme juge et partie. Le summum de cette absurdité étant atteint avec France Télécom puis Orange où c’est un PDG non fonctionnaire d’une entreprise désormais privée qui décide et juge pour les fonctionnaires.

Afin d’atténuer ce rôle partisan, cette décision est prise après avoir recueillis l’ avis de la commission de réforme (CR) dans laquelle siègent 2 représentants de l’administration, 2 représentants syndicaux et 2 médecins « agréés » indépendants de l’administration. La CR adopte ses avis à la majorité du vote. Un semblant d’impartialité semble donc assuré !

En fait il n’en est rien, car tout d’abord l’administration n’est pas tenue de suivre l’avis de la CR, et surtout parce qu’à y regarder de plus près ces CR sont loin d’être des instances impartiales.

Jamais les commissions de réforme instruisent la présomption d’imputabilité ; l’administration n’instruit que l’absence de lien.

On peut par ailleurs s’interroger sur le rôle des deux médecins présents : la plupart du temps c’est de leur vote que dépendra la reconnaissance de l’imputabilité : Or ces médecins ne connaissent rien du travail exercé par la victime et ne possèdent aucune compétence en santé et travail, et le médecin du travail, qui peut participer à la CR sans droit de vote, est pratiquement toujours absent de ces réunions (pour de multiples raisons). Ces médecins « agréés » vont donc s’en remettre à l’avis d’un « expert » qui aura été au préalable sollicité et choisit par l’administration.

Or ce genre d’expertise n’a pour but, en réalité, que de renverser la question posée, en cherchant uniquement soit à attribuer directement le suicide au psychisme individuel de la personne, soit à relever dans ce psychisme des éléments favorisant cet acte désespéré, ce qui permettra à l’administration de dire, si jamais il y avait quand même des problèmes de travail, que ces derniers ne sont pas « exclusifs » au mépris de la jurisprudence.

  • Rechercher la faute personnelle
  • Contester le temps et le lieu du suicide
  • Attribuer le suicide à des « causes personnelles »
  • Aller chercher dans le psychisme de la victime des éléments de prédisposition au suicide
  • Ne pas appliquer rigoureusement les textes sur le fonctionnement des commissions de réforme
  • S’appuyer sur l’avis de médecins agréés ne possédant aucune compétence en santé au travail, notamment en matière de risques psychosociaux
  • Persister à ne pas appliquer la jurisprudence en continuant d’exiger l’exclusivité du lien avec le travail

Tout cela fait partie d’une organisation voulue et assumée du déni des risques.

  • TOUT FAIRE POUR EMPECHER DE PARLER DU TRAVAIL ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL

Ecarter le CHSCT par de pseudos groupes de travail, contester les demandes d’expertises ou d’enquêtes administratives, accuser le CHSCT et ses membres de vouloir faire de la « récupération », imposer une « omerta » justifiée par le « respect de la mémoire » de la victime, refuser la transmission de l’enquête de l’inspection du travail lorsqu’une telle enquête a été faite …

  • DECOURAGER LE SYNDICATS ET OBTENIR AINSI LEUR ADHESION IMPLICITE A CE DENI

Il convient de noter toutefois, qu’à notre plus grand regret, notre association a souvent rencontré des syndicats qui, par ignorance ou désintérêt, ne se préoccupent pas de ces procédures de réparation ATMP. Ce désintérêt ne constitue pas une adhésion au déni, mais il y participe car n’étant pas confrontés à ces moyens de déni ici recensés, ils laissent à l’administration les mains libres pour les mettre en oeuvre.

Mais il se trouve aussi que la stratégie d’adhésion à la « fragilité personnelle » peut trouver des échos favorable y compris chez des militants syndicaux qui renoncerons alors à s’engager dans le recherche d’un lien professionnel ; apportant ainsi leur contribution (inconsciente ou volontaire) au déni. Cette adhésion se construit grâce à ces pseudos groupes de travail RPS que nous avons vu précédemment.

Il conviendra de noter, par contre, que lorsque les militants syndicaux s’engagent dans ces processus de reconnaissance en mettent en lumière le lien direct entre le travail et le suicide et en dénonçant les stratégies de déni de l’administration, ils se retrouvent alors face à une campagne de dénigrement, de mise à l’écart allant parfois jusqu’à la discrimination syndicale, où même jusqu’à l’organisation de véritables « cabales » à leur encontre.

Comme nous le disons plus haut : gare à ceux qui s’opposent au déni ! Tout le monde est invité à s’y soumettre, y compris les syndicats.

  • MULTIPLIER TOUS LES RECOURS POSSIBLES POUR DECOURAGER LES AYANTS DROITS

Pour les ayants droits qui se lancent dans ces procédures de reconnaissance, c’est le parcours du combattant. L’administration utilise tous les moyens juridiques possibles pour faire trainer en longueur les procédures et iront jusqu’au dernier recours possible (Conseil d’Etat), portant le temps des procédures à des durées de 8 à 10 ans, voire davantage. Sans compter les frais de procédure à la charge des familles, alors que l’administration utilise les fonds de leur société l’Etat.

  • FAIRE PRESSION SUR LES MEDECINS POUR LES EMPÊCHER DE DELIVRER DES CERTIFICATS

Avec la complicité du Conseil National de l’Ordre des médecins, les employeurs organisent désormais une chasse aux sorcières contre tous les médecins qui auraient l’outrecuidance de délivrer des certificats faisant état du lien santé-travail. Organiser le déni nécessite aussi d’organiser le silence. Et malheureusement de nombreux médecins se plient à cette injonction.

  • DILIGENTER UNE EXPERTISE « POST MORTEM », POUR METTRE L’ACCENT SUR LE PSYCHISME individuel

Le but de ces pseudo expertises est évidemment d’essayer de mettre en évidence un « profil psychologique », des problèmes personnels, ou des antécédents psychiques etc… qui auraient constitué la cause essentielle, voir déterminante, du suicide.

Elle permettra ainsi à la commission de réforme, et donc à l’administration, de s’appuyer sur cette prétendue « expertise scientifique » pour rejeter l’imputabilité.

ASD-Pro s’oppose fermement au recours à de telles expertises qui n’ont aucun fondement scientifique dans le cadre de la recherche d’un lien d’imputabilité d’un suicide avec le travail. Seule une analyse approfondie de l’histoire personnelle en santé au travail, c’est à dire de l’histoire professionnelle ; peut établir ou réfuter un tel lien.

Peu importe le « profil psychologique », les « fragilités personnelles », le « prédispositions suicidaires » ou autres déterminismes psychiques ; l’établissement d’un seul lien professionnel « direct et certain», suffit à imposer l’imputabilité.

Dit autrement, peu importe donc qu’il y ait d’autres causes « personnelles ou psychologiques individuelles », il suffit que le travail en soit une cause nécessaire et avérée.

Ceux qui prétendraient « scientifiquement » ou « médicalement » savoir quelle part a prise chaque cause dans la décision du geste fatal ne peuvent s’appuyer sur aucune démarche scientifique médico-légale.

Personne, pas même un juge, ne peut s’autoriser à de telles spéculations.

L’expertise en ce sens ne présente donc aucun intérêt : elle est inutile, sans fondement scientifique, et moralement dangereuse pour les ayants droits qui n’ont nul besoin d’entendre des supputations sur le psychisme de l’être cher disparu et qui n’ont comme but que d’écarter la présomption d’imputabilité.

Pour ces raisons, ASD-Pro estime que les experts sollicités en ce sens par les administrations, devraient déontologiquement se désister.

 

EN SAVOIR PLUS SUR NOTRE ASSOCIATION


ANNEXE :

Un exemple de déni porté par les plus hauts sommets de l’Etat.

CAA de BORDEAUX , 3 janvier 2017
N° 15BX00150    

  1. E…A…B…a demandé, le 24 mars 2014, au tribunal administratif de Poitiers d’annuler la décision du 10 janvier 2014 par laquelle la directrice interrégionale de l’administration pénitentiaire Est-Strasbourg a refusé de reconnaître comme imputable au service sa tentative de suicide survenue le 10 décembre 2012,
    Par un jugement n° 1400881 du 30 octobre 2014, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 10 janvier 2014 de la directrice interrégionale de l’administration pénitentiaire Est-Strasbourg et a enjoint à cette administration de rétablir les rémunérations à plein traitement de M. A…B…à compter du 23 avril 2013.

Le Déni porté par la ministre de la justice :

Par un recours, enregistré le 13 janvier 2015 sous le n° 15BX00150, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 30 octobre 2014 ;
Elle soutient que :
– c’est à tort que les premiers juges ont considéré que le geste suicidaire de M. A…B…était imputable au service, dès lors qu’il ne saurait être regardé comme étant survenu sur le lieu et dans le temps du service, compte tenu du fait qu’il a été découvert dans les toilettes des vestiaires, lieu distinct du lieu de travail, qu’il est survenu vers 6 heures 45 alors que son service ne commençait qu’à 7 heures 45 ; il n’était pas en tenue réglementaire

– les premiers juges se sont livrés à une appréciation erronée des circonstances de l’espèce, dès lors qu’elle établit l’existence de circonstances particulières de nature à détacher le geste suicidaire de l’agent du service ; le médecin psychiatre agréé, dans son rapport d’expertise du 6 juillet 2012, décrit une personnalité de type obsessionnelle sensitif ; selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, l’existence d’un état dépressif préexistant fait obstacle à la qualification d’accident de service du suicide trouvant son origine dans la personnalité pathologique de l’agent ;
– M. A…B…souffre d’un état dépressif antérieur et n’a pas été victime de harcèlement de la part de sa hiérarchie

Le Jugement

Il ressort des pièces du dossier que M. A…B…a tenté de mettre fin à ses jours, le 10 décembre 2012, en se pendant dans les toilettes des vestiaires du personnel du centre pénitentiaire de Metz, où il a été découvert inconscient vers 6 heures 45, alors qu’il devait prendre son service aux parloirs à 7 heures 45, après une période d’arrêt pour maladie depuis le 17 avril 2012, et après avoir déposé une affiche sur le panneau syndical dénonçant le harcèlement dont il s’estimait victime de la part de l’administration. Les seules circonstances que M. A…B…ait été découvert dans les toilettes des vestiaires de l’établissement et non pas sur les lieux mêmes où il devait prendre son service, et à 6 heures 45, alors qu’il devait s’y présenter à 7 heures 45, ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à faire regarder le geste suicidaire de M. A… B…comme étant survenu en dehors du lieu et du temps du service. 

5. La garde des sceaux, ministre de la justice soutient que l’intéressé souffrait de troubles dépressifs antérieurs dépourvus de lien avec le service et que sa tentative de suicide s’inscrit dans le cadre de relations professionnelles difficiles, alimentées par la personnalité et l’agressivité pathologique de M. A…B…et produit, à ce titre, un certificat d’expertise rédigé le 6 juillet 2013 par le DrC…, médecin psychiatre agréé par l’administration pénitentiaire dans le cadre de la procédure préalable à l’avis du comité médical.

il ne ressort nullement des circonstances ainsi décrites ni de l’ensemble des pièces du dossier que la tentative de suicide, survenue sur le lieu et dans le temps du travail, trouverait son origine exclusive dans la personnalité de l’intéressé ou résulterait d’une pathologie antérieure dépourvue de tout lien avec le service. Par suite, la tentative de suicide de M. A…B…doit être regardée comme imputable au service.

6. Il résulte de ce qui précède que la garde de sceaux, ministre de la justice n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 10 janvier 2014 par laquelle la directrice interrégionale de l’administration pénitentiaire a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de la tentative d’autolyse de M. A…B….


[1] A titre d’exemple : la surcharge du nombre dossiers à traiter, l’absence de formation, la non communication des pièces pour le CR. Le summum étant atteint avec la suppression des commissions de réformes départementales à France télécom et la création d’une seul CR nationale… juste au moment de la vague de suicides !

[1] Il s’agit bien ici de risques pour la santé mentale liés aux organisations du travail, et non pas du seul risque « suicidaire » lequel n’en constitue qu’une partie. La grande majorité de ces risques conduisent à des pathologies psychiques telles que la dépression réactionnelle, l’anxiété généralisée, le stress post traumatique, le choc émotionnel, l’effondrement psychique ou à des syndromes comme le « burn out » qui préfigure à ces pathologies.

Source : Médiapart

 

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