StopCovid : pourquoi convaincre sera difficile
Tribune : En Allemagne à ce jour, plus de 18 millions de personnes ont téléchargé Corona-Warn, l’application nationale de traçage des cas de coronavirus. En France, un rapport remis au Gouvernement par le Comité de contrôle et de liaison (CCL) de la COVID-19 indique que seuls 2.5 millions de Français ont téléchargé StopCovid (et 700 000 l’auraient déjà désinstallée). Le Premier Ministre Jean Castex l’a admis le 26 août, « StopCovid n’a pas obtenu les résultats que l’on en espérait ».
A l’heure de la réémergence de « zones rouges » en France et de la multiplication tous azimuts des tests, l’échec de l’application StopCovid peut surprendre. Par un simple pari pascalien, ne devrait-on pas tous télécharger l’application ? Au pire, elle ne servirait à rien, au mieux elle nous informerait des risques.
Simple ‘’défaut de communication’’ a suggéré le Premier Ministre, manque de cohérence sur la politique indique le CCL. Pourtant, les causes sont peut-être plus profondes, se nichant non pas seulement dans les convictions de chacun sur les libertés ou dans d’éventuels problèmes techniques, mais au cœur même des processus de décision individuels comme collectifs.
La force de l’habitude et la paresse décisionnelle
La décision de télécharger ou pas StopCovid implique au départ le Système 1 de notre pensée(1), mode de décision rapide, performant en temps normal et intuitif. Le Système 1 suggère continuellement des analyses, pensées et décisions provenant de parallélismes avec des situations connues et plus simples. Ainsi, la comparaison entre la Covid-19 et les virus de rhume ou grippe, pour lesquels n’a jamais existé aucune application d’alerte, influence fortement la décision individuelle de télécharger l’application au cas particulier. Ce système 1 de la pensée se révèle pourtant inefficace dans les cas inédits ou complexes comme celui de l’actuelle pandémie. Pourtant il continue de suggérer une décision simple basée sur l’expérience, cette fameuse force de l’habitude.
Pour passer à un mode de décision moins intuitif et plus ‘rationnel’ ou adaptatif, il est nécessaire d’élaborer une pensée plus étayée, par exemple en formalisant de façon explicite l’ensemble des avantages liés à l’application. Or il semble que la communication sur l’application Stop-Covid ait insisté plutôt sur la ‘sécurisation des données’, considérant sans doute que c’était le frein majeur au téléchargement. Or insister sur un possible aspect négatif, même pour rassurer, ne fait qu’alimenter notre propension naturelle à amplifier le négatif, surtout dans un contexte inédit. Une fois l’attention focalisée et ancrée sur le possible négatif, il devient très difficile de considérer sereinement les éventuels bénéfices.
En situation inédite, une nouvelle norme émerge puis s’impose
Nous aimons croire que nous prenons nos décisions librement et surtout rationnellement, alors même que la psychologie et l’économie comportementale nuançent ces affirmations.
En réalité, l’être humain décide en tenant en compte de ce que font la majorité de ses congénères, par mimétisme, y compris pour le téléchargement ou pas d’une application telle que StopCovid. C’est ainsi que se créent les normes.
En situation inédite, la norme n’existe pas encore mais se dessine rapidement par l’observation des autres. Ainsi, le groupe tend progressivement vers un comportement uniforme. En ce qui concerne l’application StopCovid, la norme est devenue le non-téléchargement. Même si la nouvelle norme n’est peut-être pas très ajustée (ou celle souhaitée), elle n’en reste pas moins la norme qui une fois établie, devient presque impossible à faire bouger. Il est donc très légitime de s’interroger sur la suite à donner à l’outil StopCovid, avec le risque de tomber dans « l’effet de gel», c’est-à-dire de dépenser une énergie et des moyens considérables sur un projet qui visiblement peinera à convaincre. Il convient donc en effet de s’interroger sur l’allocation des ressources prévues sur cet outil et de vérifier si elles ne pourraient pas être mieux utilisées ailleurs.
Favoriser l’appropriation des décisions
L’appropriation, c’est se rendre propriétaire et acteur de la décision. Ce travail est favorisé par plusieurs facteurs.
Si l’enjeu est l’appropriation d’un outil (StopCovid), la démarche usuelle est d’impliquer au plus tôt dans les décisions ceux à qui elle est destinée, c’est-à-dire les usagers eux-mêmes. Solliciter leur contribution active dans les réunions préparatoires, les faire parler de leurs réticences, ouvrir la collaboration sur des points cruciaux comme le stockage des données, permet, même si la décision n’est finalement pas celle qu’ils auraient souhaitée, favorise l’appropriation de la décision. En d’autres termes, c’est en ayant pu tout dire et en ayant été écouté que l’on devient capable de s’approprier une décision, même si cette dernière n’est pas celle attendue.
Pour favoriser l’appropriation, il est également nécessaire d’être actif au quotidien auprès des personnes que l’on souhaite convaincre . Sur GoogleStore, les notes de StopCovid et Corona-Watch-App diffèrent peu (2.9/5 et 3.2/5 respectivement). Ce qui change fondamentalement, c’est que l’Institut Robert Koch en charge de l’application en Allemagne, est actif sur l’application CoronaWarn, répond aux messages, remercie les usagers qui relèvent des manquements, autant de dialogues qui favorisent l’appropriation.
Enfin, comme toujours le choix des mots est important. « StopCovid», c’est littéralement l’ordre d’interrompre, tranchant si l’on compare au choix de noms d’application d’autres pays : Corona-Warn, CovidTracker, CovidSafe, CovidWatch, TraceTogether.
StopCovid demeure pour l’instant couteux à la fois en dépenses directes et en perte de chances pour certains. Pour que StopCovid ne devienne pas, à l’image des portails Ecotaxe, un objet sans usage dans le décor, communiquer sur le sens, l’utilité directe de l’application et ses bénéfices immédiats pour chacun est la clé.
Marine Balansard Co-Auteur de « Décider ça se travaille » aux éditions Eyrolles 2019
(1) Système 1 / système 2 de la pensée du psychologue, Daniel Kahneman, Prix Nobel économie 2002
Source : France Soir
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