Steve : La police a-t-elle «chargé» à Nantes dans la nuit du 21 au 22 juin sur les quais de la Loire ?
La nuit du 21 au 22 juin, quai du président-Wilson à Nantes. Documents amateurs / Libération
L’interprétation des enquêteurs de l’IGPN est qu’il n’y a pas eu de «charge». Mais les images de l’intervention montrent des policiers équipés et casqués, marcher en ligne en direction des personnes présentes au bord du fleuve pour les disperser.
Question posée le 31/07/2019
«Aucun élément ne permettait d’établir que les forces de police avaient procédé à un quelconque bond offensif ou une manœuvre s’assimilant à une charge qui aurait eu pour conséquence de repousser les participants à la fête vers la Loire.» C’est l’une des conclusions de la synthèse du rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) rendue publique lundi. Ce document conclut aussi et surtout à l’absence d’éléments permettant d’établir un lien entre l’intervention policière pour faire cesser la Fête de la musique dans la nuit du 21 au 22 juin et la disparition de Steve Caniço, dont le corps a été retrouvé plus d’un mois plus tard dans la Loire.
Qu’est-ce qu’une charge ? Il s’agit d’une manœuvre policière au cours de laquelle la force est employée. Lors de la rédaction d’un rapport parlementaire daté de 2015 consacré aux «missions et modalités du maintien de l’ordre» et réalisé après la mort de Rémi Fraisse en octobre 2014 (tué par l’explosion d’une grenade lancée par un gendarme lors d’affrontements sur la ZAD de Sivens), les députés avaient accédé à de nombreux documents techniques des forces de l’ordre. Ce rapport définit la «charge» comme une «manœuvre à caractère offensif visant à obliger par la force une foule hostile à dégager les lieux qu’elle refuse d’évacuer». Cela correspond-il à ce qu’il s’est passé à Nantes, le 22 juin ?
Dans son analyse, l’IGPN note que le commissaire qui dirigeait l’opération sur place a voulu «éteindre le système produisant une musique» et qui avait refusé de couper le son. «Sentant une tension s’installer», le responsable policier «ordonnait le repli de ses effectifs puis leur équipement en moyens de protection». Les agents expliquent alors avoir reçu des projectiles. La police des polices considère, comme les agents présents ce soir-là, que c’est uniquement en réponse à ces projectiles que la force a été utilisée : notamment 33 grenades lacrymogènes, 12 tirs de LBD et 10 grenades de désencerclement, «en plusieurs salves pour disperser les assaillants fortement alcoolisés ou simplement les tenir à distance et se protéger», écrit l’IGPN.
«Aucune charge n’était mise en évidence à l’occasion de ce visionnage», estime l’IGPN qui commente les images diffusées par Libération, arguant que la police est intervenue pour éteindre la musique, puis dans le cadre de l’article L211-9 du code de la sécurité intérieure lorsqu’ils ont reçu des projectiles. Pourtant, les vidéos de la scène obtenues par Libération montrent, selon notre analyse, une charge qui débute à 4h32.
A ce moment-là, les policiers sont rassemblés à l’écart du sound system pour s’équiper. Ils retournent en ligne au contact de la foule, et font usage de la force pour disperser les fêtards. Selon l’IGPN, couper la musique était «l’objectif premier» de l’intervention des policiers et c’est pour cela qu’ils retournent au contact, et non pour disperser. Pourtant, la musique est déjà éteinte quand les policiers commencent à avancer à 4h32. Mais le rapport ne semble pas relever cette incohérence. On voit effectivement sur les images des jets de projectile à d’autres moments, et au moins un au moment où les policiers avancent parallèlement à la Loire. Par ailleurs, lors de leur avancée, les agents ont pour seul message «rentrez chez vous», soit un ordre de dégager les lieux.
Dès ce moment, des fêtards crient qu’il «y a de l’eau derrière», sans que les policiers n’arrêtent leur progression jusqu’au sound system éteint. Deux minutes plus tard, on entend les personnes présentes crier «y a des mecs à l’eau» et «y a des mecs dans la Loire».
En résumé : des policiers avançant en ligne, en tenue antiémeute, avec en main des armes du maintien de l’ordre (et un chien) ordonnent à la foule de quitter les lieux, et utilisent la force, ce qui correspond à une charge.
Ismaël Halissat , Fabien Leboucq
Source : Libération
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