SMSgate : « La Commission européenne s’enfonce dans son déni et son mensonge. » Entretien avec le lobbyiste Frédéric Baldan et Me Diane Protat
Auteur(s) RP, GG, France-Soir. Publié le 12 septembre 2023 – 12:30
Frédéric Baldan : « On ne peut pas laisser les institutions européennes dérailler à ce point. »
F. Froger / Z9, pour France-Soir
ENTRETIEN ESSENTIEL – Nouveaux rebondissements et surprenants enseignements dans l’affaire des SMS échangés entre Ursula Von der Leyen et Albert Bourla. Pour rappel, la présidente de la Commission européenne est soupçonnée d’avoir négocié en catimini avec le PDG de Pfizer, sans mandat à cet effet, un « méga contrat » d’achat de vaccins anti-Covid-19. Afin de mettre à jour cet état de fait présumé, la justice a été saisie par le lobbyiste belge Frédéric Baldan et l’avocate française Me Diane Protat. Plusieurs plaintes ont été déposées en Belgique et au Luxembourg. Et pour saisir toutes les subtilités de ces procédures, comme l’ampleur du SMSgate au sein de l’administration supranationale de Bruxelles, le statut de « lobbyiste » de M. Baldan est tout sauf anodin. En effet, enregistré au registre de transparence de l’Union européenne (UE) comme l’exige son activité (1), il a été récemment suspendu dans de troublantes circonstances. Or, l’on observe que l’industriel pharmaceutique Pfizer, accrédité comme lobbyiste auprès du Parlement européen, ne remplit manifestement pas les critères exigés.Des critères à propos desquels il est en revanche demandé à Frédéric Baldan de s’expliquer. (Lire la suite de l’article en dessous de la vidéo)
Quelques jours avant d’être suspendu de son activité de lobbyiste à Bruxelles, Frédéric Baldan est invité par la parlementaire européenne Michèle Rivasi (Europe Écologie-Les Verts) lors d’une conférence. Celle-ci vise à informer la population des différentes procédures judiciaires entamées dans le cadre du SMSgate. Il expose alors sa première plainte déposée avec Me Diane Protat à l’encontre d’Ursula von der Leyen, enregistrée en avril 2023 auprès du tribunal de Liège, pour prise de corruption et prise illégale d’intérêts. Mais il décrit aussi une deuxième procédure, déposée à Luxembourg et qui se compose de deux volets.
Le premier volet porte sur une violation présumée de la Commission européenne des droits fondamentaux en matière de transparence. Le second volet concerne le non respect d’« un code de conduite qui s’applique aux commissaires européens notamment pour des problèmes de conflits d’intérêt et de corruption ». Selon lui, une démission de la présidente de la Commission européenne est nécessaire afin de prévenir toute interférence avec les affaires judiciaires en cours.
Mesure de rétorsion immédiate ?
Trois heures après avoir soutenu publiquement cette idée, il reçoit un email du Secrétariat du registre de transparence de l’UE. Un courrier électronique qui est envoyé « sans le nom d’un haut fonctionnaire, sans coordonnées de contact ». Son contenu l’informe d’un « contrôle de qualité » de sa déclaration d’activité de lobbyiste.
Ses données de déclarations seraient « soudainement » devenues « incohérentes ». Elles n’ont pourtant posé aucun problème en six ans d’activité.
Le lobbyiste belge vérifie alors les textes. L’accusation n’est « pas clairement définie ». Et de toute façon, elle ne montrerait que la faillite des processus préalables d’encadrement et de contrôle de la pratique du lobbyisme. M. Baldan va donc plus loin. Il essaye de comprendre « qui est en face de lui ». Le secrétariat du registre à la transparence n’a « aucun organigramme » et « pas d’adresse postale ».
Finalement, il identifie – avec l’aide de journalistes – quelques fonctionnaires qui collaborent à cette entité. Le lobbyiste découvre qu’une « n-1 » de Mme von der Leyen en est à la tête. Cette subalterne directe de la présidente impliquée dans le SMSgate dirige par ailleurs l’unité de transparence de la Commission européenne. De facto, lorsque quelqu’un demande l’accès aux SMS de Mme von der Leyen envoyés à M. Albert Bourla (le cœur de l’affaire), il s’adresse directement à la personne qui a suspendu M. Baldan. Lui qui est contraint de recourir à la justice pour obtenir l’accès aux SMS…
« Personne ne remet en cause ma pratique professionnelle », poursuit le lobbyiste belge. Cette suspension a été actée dans l’urgence et sans attendre les propositions d’éclaircissements faites par M. Baldan. Pour autant, un élément particulier est exigé par le Secrétariat du registre à la transparence : suite à sa suspension, M. Baldan doit supprimer de sa déclaration d’activité, qui est publique, la mention à sa plainte portée contre Mme von der Leyen.
Et il doit faire de même à propos de ses rendez-vous avec les députés européens : un contresens complet pour ce bureau chargé en théorie de donner les informations aux citoyens afin de surveiller la pratique des lobbyistes !
Quid de la conformité de l’activité de Pfizer comme lobbyiste ?
M. Baldan a alors une idée simple mais redoutable : aller vérifier les déclarations pour d’autres groupes de lobbys, dont l’industriel Pfizer. Quelle entité juridique inscrite dans le registre de transparente représente le lobbysime ? Pfizer Inc., soit l’entreprise outre-Atlantique, dont est responsable directement son PDG impliqué dans le SMSgate, M. Albert Bourla.
Le géant américain Pfizer remplit-il les conditions pour pratiquer le lobbyisme à Bruxelles ? La question a fait débat il y a quelques mois. M. Baldan se souvient surtout de toutes les condamnations avérées de Pfizer pour corruption.
Mais alors comment la déclaration pour accéder à ce droit d’exercer comme lobbyiste à Bruxelles a-t-elle pu être faite ? « Ils ont fait une fausse déclaration en connaissance de cause », affirme Frédéric Baldan. D’après lui, l’industriel pharmaceutique « ayant été déjà condamné pour corruption à l’étranger », les fonctionnaires du Secrétariat au registre de la transparence « n’auraient jamais dû accepter la déclaration de Pfizer et les accréditer comme lobby ».
« On a visé juste », dit Me Protat car « tout est fait pour mettre des bâtons de les roues » à celui qui est devenu « un lanceur d’alerte ». « On ne peut pas laisser les institutions européennes dérailler à ce point », lance Frédéric Baldan afin d’expliquer son engagement. Il s’agit pour lui de faire toute la lumière sur des agissements de hauts fonctionnaires européens dont la nature fait soupçonner à Me Diane Protat « une collusion » au détriment des citoyens et de la démocratie. « La Commission européenne s’enfonce dans son déni et son mensonge », ajoute M. Baldan.
Une affaire qui n’a pas fini de faire parler d’elle et, pourtant, ni les médias français, ni l’Agence France-Presse ne l’évoquent. Un comportement qui choque M. Baldan : « J’ai contacté de grands journalistes. Ils sont pleinement informés de la situation. Ils refusent de relayer l’information. » Il s’agit bel et bien pourtant d’un « fait journalistique » à propos de contrats menés dans la plus grande opacité et qui ont coûté des dizaines de milliards d’euros aux contribuables européens.
Note :
(1) Le registre de transparence est une base de données qui répertorie l’ensemble des organisations dont le souhait est d’influencer le processus législatif et de mise en œuvre des politiques des institutions européennes. Son but est de mettre en évidence les origines, intentions et budgets des divers lobbyings afin de permettre théoriquement au public de surveiller ces derniers et leurs activités.
Source : France Soir
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