«Si on ne s’organise pas, le bilan sera plus lourd que le Covid» : des médecins s’inquiètent pour les autres malades
Lors de la première vague de l’épidémie, le manque de prise en charge des patients hors-Covid a eu de lourdes conséquences sur leur santé. Pour éviter que ce scénario se reproduise, des médecins lancent l’alerte dans une tribune que publie en exclusivité le Parisien.
Des médecins veulent éviter que des interventions importantes comme des greffes ne soient à nouveau reportées à cause du Covid. Illustration. PHOTOPQR/LA PROVENCE/Frédéric Speich
Des cancers que l’on n’opère plus, des reins que l’on ne greffe plus, des pathologies que l’on ne diagnostique pas. Ce scénario de la première vague de l’épidémie de Covid-19, lorsqu’il a fallu soigner en priorité la déferlante des malades atteint par le coronavirus, au détriment des autres, les blouses blanches n’en veulent plus. En plein rebond des contaminations, et alors que le gouvernement s’apprête à annoncer jeudi 30 septembre de nouvelles mesures sanitaires, une quinzaine de chirurgiens, hépatologues, oncologues, cardiologues lancent un cri d’alerte dans le Parisien – Aujourd’hui en France : cette fois-ci, plus question de faire de victimes collatérales, comme au printemps.
Des quatre coins de la France, ils appellent ainsi tous les hôpitaux à s’organiser, à conserver coûte que coûte des places en réanimation, à créer des filières non-Covid. « Collègues, préparons-nous », exhorte le Pr François Faitot, spécialiste de la transplantation, à l’origine de la tribune « N’oublions pas nos patients ».
«Un prix à payer de vies perdues dans le cancer»
Le trop lourd tribut de la première vague est encore dans tous les esprits : 28 % de greffes en moins de janvier à août par rapport à 2019, deux fois plus d’arrêts cardiaques en dehors de l’hôpital à Paris, 20 % à 30 % de retards de diagnostics du cancer et même 4 000 à 8 000 morts supplémentaires en France à l’horizon 2025, selon une récente étude de l’Institut de Gustave Roussy. « Il est étonnant de voir que l’on se félicite du faible taux de mortalité de la Covid, en comparaison à d’autres pays, sans se poser la question d’une éventuelle perte de chance pour tous ces autres patients », dénoncent les signataires de la tribune.
Alors, il est temps d’agir, disent les soignants. La situation se dégrade d’une semaine à l’autre, près de 20 % des réas sont désormais occupées par des patients infectés par le virus. Et si la hausse se poursuit, en Ile-de-France, ils représenteront 85 % des capacités totales à la mi-novembre. En région francilienne, à Grenoble, Montpellier, Lyon ou encore La Rochelle, le plan Blanc, mobilisant plus de moyens pour le coronavirus, est à nouveau déclenché. Et pour la première fois depuis le déconfinement, les hôpitaux de Paris ont commencé à déprogrammer des interventions chirurgicales.
« On ne peut être que préoccupé, souffle Axel Kahn, le président de la Ligue contre le cancer. Les séquelles de la précédente crise n’ont pas disparu, les retards s’accumulent entre les nouvelles opérations et celles à rattraper. C’est évident, il y aura un prix à payer de vies perdues dans le cancer ».
«On est en train de décaler des opérations complexes»
Sur le terrain, la peur du Covid-19 refait surface. « Depuis deux semaines, les malades qui ont des suivis cardiovasculaires commencent à nouveau à annuler leurs consultations », soupire la professeure Claire Mounier-Vehier, cardiologue à Lille. A l’autre bout de la France, à Marseille, les places en réanimation se réduisent comme peau de chagrin. A l’hôpital de la Timone, il y a bien un service dédié aux pathologies du foie, du pancréas et des greffés, mais sur 12 places, six sont à l’heure actuelle occupées par des malades du Covid. « On doit faire le point tous les matins avec les réanimateurs pour savoir s’il y a une place. C’est la galère partout, déplore Emilie Grégoire, chirurgienne dans cet hôpital marseillais. On est en train de décaler des opérations complexes du foie et du pancréas, la plupart sont des cancers. Ça, ce n’est plus acceptable! Si on ne s’organise pas, le bilan sera plus lourd que pour le Covid ».
Globalement, « la situation est sous contrôle, même si nous restons très vigilants, car personne ne sait comment l’épidémie va évoluer », explique le professeur François Kerbaul, directeur du prélèvement et de la greffe à l’Agence de la biomédecine, qui vient de livrer ses recommandations pour poursuivre la transplantation à tout prix. « C’est une priorité nationale », insiste-t-il.
Mais du côté des associations, les chiffres galopants laissent dubitatifs. « Dans des conditions pareilles, on se demande comment les greffes vont pouvoir être maintenues », s’interroge Yvanie Caillé, fondatrice de Renaloo, destinée aux malades rénaux. Durant le confinement, 220 reins ont été jetés faute de pouvoir les transplanter.
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