Roland Môntins, tireur d’éthique
PORTRAIT – Il a assemblé des roquettes, fait des milliers de kilomètres en vélo. Puis, devenu gendarme du GIGN, il a arrêté à mains nues des forcenés et des grands gangsters. De quoi devenir un personnage de roman. Mais à Noël 94, coincé entre 172 otages et 4 terroristes, Roland Montins est devenu une légende. Rencontre.
A 3 mètres de moi, un terroriste me tire dessus. Je réponds dans le dixième de seconde. Il me rate. Moi, pas. » Nous sommes le 26 décembre 1994. Il est un peu plus de 17h. Le gendarme d’élite Roland Môntins vient de tuer le premier et dernier homme de sa carrière. Il a déboulé depuis quelques secondes dans l’Airbus stationné sur l’aéroport de Marignane. Là, 172 passagers sont pris en otages par quatre terroristes algériens depuis plus de 50 heures. Allongé sur le dos entre deux rangées de siège il échappe aux rafales de mitraillette, tirées à l’aveugle par les terroristes depuis le cockpit qui lui passent à 40 centimètres du visage. ˝C’est un moment très difficile… Tiens, à la tienne » s’interrompt-il en brandissant sa bière. Avant de reprendre son récit de guerre : « Le commandant Favier me rejoint. On les contient en tirant à travers les cloisons. Ils envoient une grenade, c’est là que je suis blessé à la jambe ». Devant lui, son équipier, Thierry, touché de plusieurs balles, gît dans une mare de sang. « Si j’avais été le chercher, je me serais fait descendre. Cinq gars avaient déjà été blessés en essayant de prendre sa position ».
« Nous avons réalisé un exploit »
Les blessures physiques causent aussi des séquelles morales. « Pendant des années, je ne pouvais pas voir les images sans me mettre à pleurer » lâche cet homme de 60 ans, bâti comme un colosse, dont le regard apaisé tranche avec ses récits. « Inconsciemment tu as un sentiment d’invincibilité qui disparaît. Car entre l’équipement, l’entraînement, les potes autour, tu es convaincu que tu es le plus fort ». « Nous avons réalisé un exploit : libérer la totalité des otages sans aucun blessé, sans mort parmi nous, en neutralisant définitivement les terroristes ». « Neutraliser définitivement ». Roland ne dit jamais « tuer ». Un problème d’éthique. « Quand on intervient, on fait tout pour que la neutralisation ne soit pas définitive. Mais dans ce cas là, on n’avait pas le choix ». Roland Montins vient de vivre le sommet de sa carrière, dix ans après être entré au GIGN.
Un grutier assembleur de roquettes qui n’aime pas l’armée
On rencontre parfois son destin sur les routes qu’on a prises pour l’éviter. Et ce n’est pas Roland Môntins qui dira le contraire, lui qui revient de son service militaire antimilitariste, ou presque. Ce n’est pas tant ce travail de « grutier assembleur de roquettes » qui l’a dérangé. « Défiler, marcher au pas, cela me faisait chier ». Autant dire que quand l’un de ses amis lui propose de l’accompagner pour se renseigner à la brigade de Gendarmerie, Roland n’est pas très chaud : « Les gendarmes c’est des militaires, ils sont aussi cons que les autres » lui dit-il dans son langage fleuri. Et puis finalement, il se laisse entraîner, lassé de son métier de couvreur zingueur qu’il exerce 50 heures par semaine depuis qu’il a 17 ans. C’est pendant son stage de gendarmerie qu’il prend conscience de ses capacités physiques hors normes. « Lors de la marche commando de 8 km (avec casque, fusil et sac lesté de 10 kg, ndlr), j’ai mis 35 minutes. Je ne sentais rien ». Michel L., l’un de ses recruteurs au GIGN qui deviendra son ami raconte l’épreuve de boxe : « On lui met un adversaire, il le descend en moins de 30 secondes, on lui met un deuxième mec, il le descend. Physiquement, c’était une bête ». Il faut dire qu’il est passionné de cyclisme qu’il pratique assidûment dans son Dauphiné natal. « Le vélo, ça a été une école de la souffrance ». Une capacité à supporter la douleur qui lui a servi au GIGN.
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