Récit imaginaire
Ah, la pauvre chérie, comme elle souffre…
Tout est arrivé par une chaude après-midi. En effet, depuis que l’urgence climatique avait été promulguée par décret royal, les canicules à répétition dévastaient le territoire et les pauvres gens ne pensaient plus qu’à abuser des rafraîchissements.
Cherchant un peu d’ombre, Fatma entra dans un lieu que l’on devinait frais, car la porte d’entrée était entr’ouverte. Il faut dire que la pauvre vivait un peu d’ambiguïté avec sa nouvelle identité. Il y a quelques jours encore, c’était un rude gaillard portant le doux prénom de Mozamed, mais il avait remarqué que quelque chose n’allait pas dans son « moi » profond et intime. Écoutant son sage conseiller cultuel, il accepta de suivre un stage accéléré de dévirilisation radicale, aussi, en l’espace de quelques heures, il se rendit compte qu’en fait, il était du genre asexué tendance féminine, et que, désormais, il s’appellerait « Fatma ». Le stage s’est très bien déroulé, sans intervention chirurgicale, la conversion s’était bien passée, et les services municipaux avaient dûment enregistré le changement, même le maire était venu en personne le féliciter pour sa prise de conscience et sa décision héroïque d’avoir décidé de mettre un terme à une erreur biologique, alors que certains imbéciles vivent avec cette tare qui empoisonne leur vie. Tant pis pour eux, ils mourront idiots…
C’est donc en sortant d’une réunion destinée à envisager la destruction nocturne d’une centrale nucléaire – car il est urgent de sauver la planète, que la belle se rendit compte que l’air ambiant n’était pas aussi climatisé comme dans la salle d’où elle venait, et que la chaleur étouffante était vraiment insupportable, et assurément, cette porte ouverte sur un intérieur plutôt sombre, invitait concrètement, à une pause salutaire, car elle avait au moins cinq cents mètres à faire à pied, l’arrêt de bus se trouvant un peu plus loin, autant dire, une épreuve à la limite de la torture…
Ah que cet air frais était bon, et même si le lieu semblait vraiment sinistre avec ses vitraux filtrants, avec ces espèces de représentations qui ne voulaient rien dire, avec cette odeur si écœurante d’un parfum suspect qui peut amener à l’évanouissement des âmes sensibles, tant pis, somme toute, il faisait climatiquement bon dans ce lieu, fut-il désespérant de laideur et de médiocrité.
A peine quelques minutes plus tard, un énergumène sorti inopinément d’une ombre improbable, se présenta devant Fatma et lui demanda, le plus respectueusement du monde : « Monsieur, auriez vous la grande gentillesse et l’immense bienveillance de bien vouloir retirer votre casquette ?.. » Car d’après lui, l’endroit n’était tout simplement pas approprié au port de cet uniforme plutôt en vogue dans les cités insensibles du vivre-ensemble. Fatma devint blême et complètement tétanisée. C’est vrai qu’elle n’avait pas pensé à remplacer sa garde-robe, attendu que les hardes de maintenant sont neutres et non genrées, et un pantalon est toujours un pantalon et, peu ou prou, ils ont tous une braguette, parité et égalité font loi.
L’agression avait été imprévisible, brutale, totalement inattendue, et d’une rare violence. D’abord, comment cet abruti – probablement d’extrême-droite radicale, avait osé lui dire « Monsieur » ? Ensuite, de quel droit se permettait-il de juger du costume, de la façon de se vêtir d’une personne normale et parfaitement équilibrée, saine de corps et d’esprit, citoyenne éco-consciente et fière de l’être ? Impensable… Inimaginable dans une démocratie, une atteinte directe à la république, par le fait même qu’un acte pareil eut pu être commis sur le territoire national.
C’est en chancelant que la pauvrette quitta les lieux, marchant comme un automate déprogrammé qui aurait pété trois micro-puces. Fort heureusement, un passant ordinaire – mais courtois, vint à sa rencontre et s’inquiéta d’une attitude révélant clairement un énorme malaise très sérieux. Elle raconta sa mésaventure, et l’homme l’écouta avec grand intérêt, et se proposa de l’aider. En effet, et par un hasard providentiel, ce passant était membre d’une Haute Autorité ayant pignon, façade et combles aménagés sur rue, aussi, il rassura Fatma et lui promit de faire le nécessaire.
Et le nécessaire fut fait, et prestement. A peine une heure plus tard, les premiers pisses-copies du coin débarquèrent en trombe dans le bar où elle s’était réfugiée pour prendre un remontant, et elle pu donner sa première déclaration. Un peu après, c’est l’antenne locale de la télévision officielle du ministère de la vérité qui arrivait à son tour, et après une brève mais efficace séance de maquillage – qui lui donna encore l’air plus abattu, la malheureuse agressée pu faire sa première vidéo de victime innocente, judicieusement entrecoupée d’insupportables sanglots longs et bien synchronisés.
La première vitesse était bien enclenchée, la surmultipliée n’allait pas tarder à tourner plein régime…
Le soir même, la télévision suprême et officielle rapporta l’événement de manière que tout le pays fut dûment informé de l’acte crapuleux.
Le nom de l’agresseur fut révélé, ses coordonnées (adresse, téléphone, mail), ainsi que plusieurs photos récentes passèrent en boucle pendant toute la soirée. La condamnation publique précéda la condamnation pénale qui ne manquerait pas d’arriver rapidement, à tel point qu’un spectateur téléphona à la télé et précisa que cet horrible individu devrait avoir la tête tranchée. Le dernier ministre fut tiré de son dîner d’affaires avec homard et vins fin, et fit une déclaration sans détours : il condamnait l’acte avec la plus grande fermeté et appelait le peuple à la vigilance, et allait prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’une pareille affaire ne se reproduise plus. Cet acte odieux ne pouvait être toléré, toutes les options étaient déjà sorties des placards à sentences et étalées sur la grande table des condamnations. La piste terroriste n’était pas encore retenue, mais excessivement probable. Peut-être même, le criminel était aussi climato-septique, sait-on jamais… D’ores et déjà, il fallait penser à élaborer une loi permettant à tout un chacun de porter une casquette, là où il le souhaitait, sans devoir être inquiété par son légitime couvre-chef. Et ce crime ne devait pas rester et ne resterait pas, impuni.
Le syndicat des fabricants de casquettes envoya un message de soutien depuis l’Asie, et malgré le décalage horaire, l’affaire était suivie là-bas de très près. Naturellement, sa majesté ne put rester silencieuse, mais, réservée, elle se contenta de rappeler que la chose était, certes, regrettable, mais qu’il fallait rester prudent, et surtout, ne pas faire d’amalgame.
Comme on pouvait le redouter, la déclaration monarchique fut prise au pied de la lettre par la confrérie des dentistes qui pensèrent, à juste titre, que leur profession en serait sérieusement affectée, eux qui ont justement la particularité d’utiliser abondamment les amalgames. Ils décidèrent donc manifester leur rage dehors en allant jouer à la roulette sur les marches du palais…
Après avoir été prise en charge par les services spéciaux, Fatma fut conduite dans une cellule psychologique hautement sécurisée pour tenter une thérapie de reconditionnement et essayer de retrouver une vie normale. Hélas, la pauvre était vraiment désespérée, elle pleurait sans cesse, s’arrachant les rares cheveux qui dépassaient encore de la casquette, et n’en finissait pas de se lamenter sur sa vie finie, fichue, à jamais détruite, car, si on peut se remettre de la perte d’un être cher suite à un attentat, c’est autrement plus grave de devoir ôter sa casquette alors qu’on estime avoir le droit légal et moral de la porter.
Cependant, l’affaire se dirigea vers une issue heureuse. Un redresseur de torts a réussi à retrouver l’agresseur fanatique et l’a égorgé pour le punir de son crime odieux. Une marche d’honneur a du reste été organisée dans toutes les villes du pays pour saluer son geste justicier salutaire, et il reçut la grand croix de l’ordre public, avec palmes et félicitations du jury. Fatma a reçu des millions de soutiens, du monde entier, des dons, des soins attentifs, et maintenant, elle va beaucoup mieux. Avec la pension à vie que lui a octroyé sa majesté, elle est aussi à l’abri du besoin…
Elle a même acheté trois casquettes aux dernières soldes…
Enfin, une affaire qui finit bien…
Roger FER
Note à l’attention des associations folkloriques :
Ce récit est purement imaginaire. Toute ressemblance ou similitude ou apparence ou parenté avec des faits existants, ayant existé ou existeront, ne serait qu’une invraisemblable et malheureuse et improbable coïncidence et ne saurait être pris en compte, sous quelque forme que ce soit.
Source : Les Volontaires Pour la France
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