Récit : ces trois heures pendant lesquelles des collégiens ont accompagné l’assassin de Samuel Paty
Devant le collège de Conflans où enseignait Samuel Paty
© Anne-Christine POUJOULAT / AFP
Plusieurs adolescents ont guetté le passage de Samuel Paty devant le collège du Bois-d’Aulne à Conflans (Yvelines), en compagnie d’Abdoullakh Anzorov, vendredi 16 octobre, moyennant 350 euros. Récit de ces trois heures qui ont préparé l’horreur.
Voilà trois heures que Malik (le prénom a été changé) aurait dû être rentré chez lui, ce vendredi 16 octobre. Pour rassurer son père, l’adolescent de 14 ans a demandé à un copain de l’accompagner devant le pavillon où il réside avec ses parents, sa grande sœur et son petit frère, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Un cours a été programmé in extremis jusqu’à 17 heures, prétexte cet élève de quatrième du collège du Bois-d’Aulne. Le chef de famille n’est pas vraiment convaincu, la fébrilité des deux garçons saute aux yeux. Mais l’ami opine : oui, il y a bien eu un cours imprévu. Un petit mensonge vertigineux, qui révèle l’inconscience des deux collégiens : en réalité, ils viennent d’être mêlés à l’horreur.
Malik a bien fini sa journée de cours à 14 heures, comme prévu. Il fait gris ce vendredi-là, comme depuis le début de la semaine, mais il y a de quoi se réjouir, puisque le week-end va durer quinze jours, le temps des vacances de la Toussaint. D’habitude, l’ado, décrit comme un élève dissipé mais pas insolent, rentre rapidement chez lui, à pied. Son père, salarié d’une cantine d’une grande entreprise, n’aime pas qu’il traîne dans la rue après l’école.
350 euros pour désigner l’enseignant
Tandis qu’il sort de l’établissement, un inconnu l’aborde. Blouson, jean, baskets et sac à dos. À première vue, cet homme aux habits banals pourrait être le grand frère d’un élève. L’individu a 18 ans, seulement quatre de plus que Malik. Il lui parle immédiatement de Samuel Paty. Malik n’est pas dans sa classe, mais au Bois d’Aulne, tout le monde connaît l’enseignant, réputé pour sa bienveillance et son humour. Surtout, depuis le 5 octobre, tout le monde a entendu parler de l’affaire des caricatures, du diaporama du professeur, de la réaction scandalisée de certains parents. La vidéo accusatrice de Brahim Chnina, le père de Z., elle aussi élève de quatrième, a fait le tour du collège.
L’inconnu exhibe une liasse de billets imposante, des coupures de 5 et 10 euros. Il propose à Malik un marché : 350 euros pour lui désigner l’enseignant. La moitié maintenant, la moitié après qu’il a pu identifier le professeur d’histoire-géographie. Malik, appâté par le tas d’argent disposé devant lui, accepte. Il propose à des copains d’attendre avec lui, en vain. Selon les caméras de surveillance positionnées à côté de l’établissement, il se met alors à discuter, debout, pendant plus d’une heure trente avec le jeune adulte. Celui-ci ne fait montre d’aucun signe d’agressivité ou de nervosité et ne mentionne pas les armes qu’il a dans son sac à dos, racontera plus tard le mineur devant les enquêteurs.
Les deux jeunes hommes discutaillent, parlent du blasphème, de la religion. L’ado écoute d’une oreille, obnubilé par la somme d’argent qu’il va toucher, dira-t-il aux policiers. Ses parents, de nationalité franco-marocaine, sont musulmans pratiquants, mais ne font pas partie de ceux qui se sont émus de l’initiative de Samuel Paty. À la maison, le père du collégien insiste souvent sur le respect dû aux professeurs, « qui transmettent le savoir« , selon l’avocat de Malik.
Pourquoi Abdoullakh Anzorov veut-il parler à l’enseignant de 47 ans ? Je veux le filmer, qu’il s’excuse pour ce qu’il a fait, explique le futur terroriste. « Abdoullakh Anzorov leur aurait déclaré avoir l’intention de filmer le professeur, de l’obliger à demander pardon pour la caricature du prophète, de l’humilier, de le frapper« , a indiqué Jean-François Ricard, le procureur national antiterroriste, lors de sa conférence de presse du 21 octobre.
Un peu avant 16 heures, une nouvelle grappe d’élèves arrive devant le collège. Malik les met au parfum, leur tend une partie de l’argent, virevolte à droite, à gauche. L’ado s’amuse manifestement d’être au centre de l’attention. Les billets commencent à circuler de mains en mains. Un collégien décline la proposition. Quatre autres restent sur les lieux. Parmi eux, David (le prénom a été changé), un élève de troisième, âgé de quinze ans, qui entreprend lui aussi de discuter avec Abdoullakh Anzorov. Il sera le second mineur mis en examen pour complicité d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste. Peu après 16 heures, une patrouille de la police municipale passe devant le collège. Les ados se déplacent, pour ne pas attirer l’attention. Plusieurs s’éloignent. Abdoullakh Anzorov, Malik et David restent groupés.
Il va être bientôt 17 heures quand Samuel Paty sort du Bois d’Aulne. Plusieurs élèves le montrent du doigt. C’est lui, signalent-ils. Le contrat est rempli. Anzorov donne à Malik le reste de l’argent. L’ado s’empresse de distribuer la somme auprès des copains restés à ses côtés. Il garde pour lui 50 euros, qu’il confie à un camarade. Pendant ce temps, le réfugié tchétchène s’est lancé à la poursuite de l’enseignant. Le massacre est sur le point d’avoir lieu.
« Qu’est-ce que j’ai fait ?«
Devant l’établissement, chacun devine très rapidement qu’il s’est passé quelque chose de grave. Certains élèves confieront avoir vu du sang. Malik, David et les autres rentrent chez eux, accablés et étourdis par l’atrocité à laquelle ils viennent de prendre part. « Qu’est-ce que j’ai fait ?« , commence à répéter Malik. Il ne parle pas à son père de sa rencontre de l’après-midi. Dès le début de soirée, les images de la tête tranchée de Samuel Paty, diffusée par le terroriste sur Twitter, circulent sur les comptes Snapchat des collégiens. Les chaînes d’infos en continu évoquent déjà la décapitation d’un professeur. Le collège appelle, une cellule psychologique est mise en place. Le début d’une nouvelle épreuve pour les mineurs.
C’est à cette cellule psychologique que Malik va confier dans un premier temps sa participation aux faits. Une garde à vue s’ensuit à partir du dimanche 18 octobre, au commissariat de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). David est également placé en garde à vue, ainsi que trois autres collégiens. Les interrogatoires sont filmés, c’est la règle pour les mineurs. L’élève de quatrième fond rapidement en larmes, s’impute la responsabilité de la mort du professeur, demande pardon. « Qu’est-ce qu’on peut faire ?« , demande-t-il aux enquêteurs. Après 36 heures et 48 heures de garde à vue, David et Malik, les adolescents les plus longtemps en contact avec le tueur, sont transférés au dépôt de la préfecture de police, à Paris, à des fins de mise en examen. Le parquet national antiterroriste a demandé leur placement en détention.
Malik rêvait d’études de médecine
Les deux collégiens échappent finalement à la prison, ce qu’ont salué Mes Mourad Battikh et Dylan Slama, les avocats de David, devant la presse, mercredi 21 octobre : « Nous avons eu affaire à des juges courageux« . Ils sont tout de même mis en examen pour « complicité d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste », un crime passible de 20 ans de prison, la moitié si l’excuse de minorité est retenue par les juges.
Malik a l’interdiction de se rendre dans les Yvelines et le Val-d’Oise. Il a dû déménager, loin de sa fratrie, et doit désormais trouver un nouvel établissement susceptible de l’accueillir. Les deux ados ont en outre défense de communiquer entre eux ou avec toute personne citée dans le dossier, même indirectement. Impossible donc de contacter leurs camarades de classe, il faut couper les ponts. Leurs téléphones ont été saisis. Une confrontation sera ultérieurement organisée entre les deux collégiens.
Pour Malik, qui rêvait d’études de médecine, tout s’écroule à 14 ans. Sa famille est mortifiée par ce qu’il s’est passé. « Mon client et ses parents sont animés d’une compassion réelle pour la victime, ils sont effondrés« , commente Me Jacky Attias, leur avocat. Malik et David sont les plus jeunes mineurs jamais mis en examen pour complicité d’assassinat terroriste.
Source : Marianne
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