[Réaction] Michel Thooris : « Mes collègues de la PJ se battent pour qu’on puisse avoir encore une police efficace qui combat le crime organisé »
Marc Eynaud. Une fronde anime la police judiciaire à Marseille où on voit la police faire une haie du déshonneur pour saluer à leur manière le patron de la police nationale. Que se passe-t-il à la police judiciaire ?
Michel Thooris. Nos collègues de la police judiciaire essayent de sauver une institution centenaire. C’est le meilleur service du ministère de l’Intérieur, le plus efficace en termes de résultats. Il lutte contre le crime organisé, démonte les trafic de stupéfiants ou d’êtres humains. On a besoin de conserver ce service d’élite et non pas de le dissoudre au sein de la section départementale de la police nationale.
M. E. Que craignez-vous avec la nouvelle organisation ?
M. T. Nous craignons que la police judiciaire perde sa liberté d’action et sa liberté d’enquête. Les directeurs départementaux de la police nationale travaillent au niveau local et subissent des pressions politiques locales. Cela va nuire à la qualité des enquêtes, avec un risque que, sur certaines affaires sensibles, le travail ne soit pas fait de manière aussi efficiente que lorsqu’on a la police judiciaire directement sous le contrôle de la Justice, avec une hiérarchie policière, des commissaires qui appartiennent à la PJ, indépendants et imperméables aux pressions locales.
M. E. Le ministère de l’Intérieur avance que cela simplifie l’administration. Ces arguments sont-ils audibles ?
M. T. Les arguments ne sont pas audibles. Les collègues voient comment les choses vont se profiler à moyen et long terme. Le judiciaire est coupé en deux au sein du ministère de l’Intérieur. D’un côté la police judiciaire et de l’autre le judiciaire traité par la sécurité publique au sein des brigades de sûreté urbaine et de sûreté départementale. Ceux qui font du judiciaire en sécurité publique ont parfois jusqu’à 100 dossiers en portefeuille, c’est ingérable pour eux. Ces dossiers demandent moins d’investigation que les dossiers PJ. Nous pensons qu’à terme, les collègues PJ ne serviront qu’à renforcer le judiciaire au sein de la sécurité publique et que cela permettra une répartition plus équilibrée des dossiers vers les collègues de l’actuelle PJ. Ils vont se retrouver pollués par des dossiers de seconde importance au détriment de dossiers capitaux visant à combattre le crime organisé. Cette restructuration va dans le sens d’une politique du chiffre, où nos dirigeants vont pouvoir annoncer beaucoup plus d’affaires élucidées, mais ce seront des petites affaires avec des suites judiciaires parfois inexistantes, au détriment de la très grande criminalité en col blanc ou autour du trafic de stupéfiants. C’est inadmissible ! Mes collègues de la police judiciaire se battent pour leur institution, pour conserver leur outil de travail et pour qu’on puisse avoir encore une police efficace qui combat le crime organisé sur l’ensemble du territoire national et en outre-mer.
M. E. Pour quelle raison y a-t-il un certain désamour pour la fonction d’officier de police judiciaire ?
M. T. Il y a plusieurs raisons. Il y a quelques années, un officier de police judiciaire était dans la catégorie des officiers de police – lieutenant, capitaine, commandant. Mais aujourd’hui, le niveau de rémunération n’est absolument pas le même que celui qu’on donne aux fonctionnaires issus du corps d’encadrement et d’application issus du corps des gardiens de la paix. Certains collègues se retrouvent avec 400 dossiers en portefeuille et une pression énorme de la part de leur hiérarchie, les directeurs départementaux de la sécurité publique et des préfets qui demandent du chiffre. Il y a également la pression de l’institution judiciaire qui demande un certain nombre d’actes d’investigation. Il y a aujourd’hui une double hiérarchie, à la fois administrative avec les préfets et les directeurs départementaux de la sécurité publique et une hiérarchie judiciaire avec les procureurs ou le juge d’instruction, selon le cadre de l’enquête, quand on est par exemple en commission rogatoire. La pression de nos collègues du judiciaire en sécurité publique est telle qu’il y a un désamour pour cette fonction. La pression est énorme et on a de plus en plus de mal à trouver des fonctionnaires motivés pour la fonction d’OPJ. C’est un vrai problème. La question de la réponse pénale, totalement inadaptée, se pose aussi. Lorsqu’il y a un dossier avec une garde à vue de 48 heures, avec parfois jusqu’à 150 actes de procédure dans le dossier, et qu’au final l’individu est convoqué au tribunal un an plus tard, et qu’on sait que cette convocation n’aboutira pas à une peine de prison ferme, cela donne l’impression de vider l’océan avec une petite cuillère. Mes collègues sont démotivés et on a de plus en plus de mal à trouver des fonctionnaires qui ont envie de faire le travail d’OPJ au sein de la sécurité publique où les conditions de travail sont plus dégradées qu’en PJ où il y a davantage de moyens. Les fonctionnaires ont le temps de travailler sur les affaires car ils n’ont pas de pression et ont des moyens, ce qui n’est pas le cas en sécurité publique.
Source : Boulevard Voltaire
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