Puputsch et déliquescence
Il n’y a pas de quinquennats faciles, mais en termes de rebondissements dramatiques, celui d’Emmanuel Macron tient pour le moment largement la dragée haute à ceux de ses prédécesseurs, pourtant pas en reste lorsqu’il s’est agi d’enfiler boulettes et bévues, déclencher des vexations et subir les avanies du destin.
Pensez donc : alors que Hollande, le Président des bisous, collectionnait essentiellement quelques âneries typiques ainsi qu’une amusante humidité météorologique pendant sa première année, Macron devait rapidement faire face dans le même temps de mandat à une grogne de plus en plus solide d’une partie du peuple, cette partie qui est d’habitude taiseuse et dure à la tâche et qui aura frôlé « l’incident républicain » ultime aux portes de l’Élysée. En quelques mois, l’ex-futur grand homme de notre République avait plongé le pays dans le chaos par ses judicieuses décisions vexantes et taxatoires.
Depuis, le pauvret, balloté par les événements, enchaîne les doubles saltos périlleux sans parvenir à se réceptionner : confinements ou pas, couvre-feu ou pas, bricolages et improvisations sanitaires, économiques, sociales, tout y passe dans une farandole de ministres aux déclarations toutes plus stupides les unes que les autres.
Le rythme est difficile à suivre, et le feu roulant de l’actualité ne semble pas vouloir laisser souffler le Président débilou qui se retrouve dans un pays qui prend l’eau de toutes parts à y percer des trous en espérant qu’elle repartira par là, auteur inconscient de dissensions internes qui n’y ont pas été aussi fortes depuis deux cents ans à peu près.
Et alors qu’on se dirige droit vers de nouvelles péripéties (faillites, impôts à gogo, terrorisme islamique, dérives judiciaires, j’en passe), voilà que d’enquiquinants pensionnés viennent mettre de l’huile sur le feu : signée par plusieurs généraux à la retraite, une tribune publiée mercredi dans Valeurs Actuelles appelle la classe politique à lutter contre le délitement de la France.
Oui, vous avez bien lu : des (ex-)militaires sortent de leur mutisme pour prévenir solennellement nos dirigeants actuels que la guerre civile menace, et que si, d’aventure, la tendance délétère se poursuivait, une intervention militaire pourrait être nécessaire « dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national. »
Quand on lit ça, on se dit que c’est vraiment l’horreur, quasiment le nazisme et ce d’autant plus que Marine Le Pen semble soutenir ce discours. Les zeures les plus sombres de notre zistoire sont en route à n’en pas douter !
Dans les rangs du gouvernement, passée l’évidente consternation, c’est l’agitation et la condamnation la plus ferme : non, cette odeur de décomposition avancée ne provient pas du pays, mais du compost éco-conscient qu’on est en train de distribuer à tout le monde pour syntoniser le pays avec Gaïa.
Et comme il n’y a pas plus de délitement du pays que de beurre en broche (c’est sûr, c’est l’État qui vous le dit), on va bien vite expliquer que tout ceci n’est qu’une énième tentative de retour ♩ tralali ♪ de la Beuhête Immonheudeux (dont le ventre est fécond, ♫ tralala ♬), circulez, il n’y a plus rien à voir.
Le fait que ces militaires semblent vraiment excédés de constater les problèmes non résolus, cet abandon du régalien quelque part dans un terrain vague entre un échangeur autoroutier et un quartier émotif, tout ça n’est absolument pas un signe de défaillance du pouvoir actuel. Que nenni : c’est au contraire le signe évident qu’il faut lutter contre une société qui sombre dans l’ultra-sécuritaire, pardi, comme l’expose d’ailleurs Agnès Pannier-Runacher avec la finesse de toute une division Panzer en pleine accélération.
Et alors même que les petits staccatos humides de la ministre déléguée n’ont pas fini de rebondir mollement sur les murs du studio de PravdaInfo, on découvre que les jours précédents ont été émaillés de festivités au commissariat de Trappes et au centre de rétention de Plaisir : alors que les politiciens du pouvoir défilent sur les plateaux et devant les gros micros mous de journalistes subventionnés pour expliquer que tout est sous contrôle et qu’il ne faut pas sombrer dans la nauséabondance facile, les attaques au mortier se multiplient dans les banlieues, le terrorisme islamique égorge de-ci de-là, et les incivilités, actes de coutellerie artistique et autres pugilats continuent de plus belle sous l’œil atone de nos médias qui trouvent tout ceci sinon normal au moins explicable sereinement à base de lafotalasociété, et le fascisme, m’ame Ginette, le fascisme, voyez-vous.
Apparemment, la crédibilité de la parole politicienne et médiatique, déjà strictement négative, continue d’explorer les abysses.
Du reste, cette négativité est pratique puisqu’elle permet assez bien d’évaluer la situation réelle : le déni que nos dirigeants déploient montre que le délitement est bien là ; leur volonté de poursuivre les généraux inquiets, de sanctionner leur parole, montre qu’ils ont peur que cette parole porte, en elle, les ferments d’un mouvement d’humeur d’une population dont certains, encore au pouvoir, ont déjà pu tâter de l’agacement il y a quelques mois.
Mieux encore : en choisissant cette voie ridicule d’une levée de bouclier contre l’hydre d’un hideux fascisme fantasmée par toute la gauche, l’extrême-gauche, l’extrême-centre, ce qui passe pour la droite et à peu près tout le reste, cette brochette de guignols au pouvoir choisit (consciemment ou non) de faire l’impasse complète sur les raisons fondamentales de la colère de ces généraux en pantoufles : eh oui, il est bien plus facile de crier au puputsch que de faire quelque chose pour ramener la sécurité là où elle devient maintenant impérieuse et où son absence marque d’une façon cuisante (littéralement) la gangrène mortelle du régalien français.
Et si la situation est pré-insurrectionnelle, ce n’est pas à cause de ces généraux, d’un De Villiers un peu vocal ou d’une Marine Le Pen vaguement réveillée pour l’occasion, mais bien à cause de cet abandon lamentable du régalien depuis des décennies par ces mêmes clowns tristes qui encombrent les ondes et dont les logorrhées insupportables aboutissent à noyer le pays dans les taxes, les lois et les formulaires débiles pour camoufler leur incompétence et leur incurie.
Si cette brochette d’andouilles énarchiques avait un peu de présence d’esprit, elle se saisirait de cette tribune pour enfin régler les problèmes lancinants qui minent la République. Bien évidement, il n’en sera absolument rien, que du contraire même, tant est audible jusqu’ici le bruissement de leurs petits pantalons dans lesquels ils tremblent de peur et de rage impuissante.
Ils ne feront rien et pour cela, ce pays est foutu.
Laisser un commentaire