Procès du repenti de la mafia corse : « En France, un témoignage aussi précis, c’est une première »
Claude Chossat est un ancien membre de la Brise de mer, un groupe criminel corse. – ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Ce lundi 28 octobre s’ouvre le procès du repenti de la mafia corse Claude Chossat. Pour Fabrice Rizzoli, spécialiste de la criminalité organisée et cofondateur de Crim’Halt, qui sera témoin au procès, la France devrait s’inspirer du statut italien des « coopérateurs de justice » pour lutter efficacement contre les bandes criminelles.
Marianne : Ce lundi 28 octobre, à Aix-en-Provence, s’ouvre le procès de Claude Chossat, ancien chauffeur et garde du corps de Francis Mariani, l’un des fondateurs de la Brise de Mer, pour l’assassinat de Richard Casanova, l’autre parrain de cette bande criminelle corse. Quel est l’enjeu de ce procès ?
Fabrice Rizzoli : Claude Chossat est un personnage atypique dans le monde criminel français. Il est l’un des rares anciens criminels à avoir autant coopéré avec la justice, ce qui a permis de faire avancer beaucoup d’affaires. Il a également participé à la manifestation de la vérité en publiant un livre dans lequel il raconte ses deux années passées au sein de la Brise de mer, cette bande criminelle qui contrôlait toute la Haute-Corse. Ça demande un certain courage car ce n’est pas sans risque pour lui. Grâce à lui, la police et la justice ont fait un grand pas dans la connaissance des arcanes de cette bande criminelle. Est-ce qu’il a tout dit ? Peut-être pas. Il a peut-être même commis l’irréparable, je ne sais pas. Ce sera à la justice de le dire. Lui, affirme, en apportant plusieurs éléments, qu’il est accusé à tort. Ce procès, ce sera peut-être la possibilité pour lui de révéler de nouvelles choses sur le camp d’en face… La justice doit passer, c’est une évidence. Ceci dit, à partir du moment où on lui a refusé le statut de coopérateur de justice, on envoie un signal négatif à tous les criminels qui souhaitent rompre avec leur milieu.
Les informations fournies par Claude Chossat aux enquêteurs ont-elles réellement permis de faire avancer des dossiers criminels ?
Si la justice française faisait son travail, je pourrais vous répondre avec certitude ! Ça fait cinq ans que je mandate des stagiaires pour récupérer des décisions de justice. Ils n’y arrivent que rarement car c’est un parcours du combattant. Mais quand je lis le livre de Claude Chossat, quand je le rencontre et que je croise ce qu’il affirme avec des documents en ma possession, des décisions de saisie de biens ou encore le travail d’enquête de journalistes, il y a des preuves tangibles de son apport à la manifestation de la vérité. Comme des découvertes de caches d’armes – il avait été à l’époque chargé de fournir des armes à Francis Mariani. Il y a également eu des saisies importantes d’argent dans l’affaire du cercle Wagram. Pour l’instant, selon moi, il est tout à fait crédible. Il a également permis de révéler comment fonctionnait la Brise de mer en interne, les relations de pouvoir entre les différents membres, leurs ressources financières, leurs relations. Ce qu’il décrit semble conforme au recoupement du travail des policiers et des journalistes. C’est un témoignage prolixe, varié. Je crois qu’en France, un témoignage aussi précis, c’est une première !
La France gagnerait à s’inspirer du modèle italien en réformant l’actuel statut des « coopérateurs de justice », qui est loin d’être suffisamment protecteur.
Il n’y avait jamais eu avant lui de témoignage aussi poussé ?
Jusqu’ici, sur la criminalité en Corse, les policiers ne pouvaient se baser que sur leurs observations grâce aux différents moyens dont ils disposent. À part les confidences de vieux gangsters de la French connexion qui tordent ouvertement la vérité pour éviter d’en dire trop sur leur réelle implication, il y a eu très peu de témoignages de l’intérieur. Quelqu’un qui, comme Chossat, livre une énorme partie de ses deux ans de vie au sein d’une bande criminelle comme la Brise de mer, c’est un cas d’école, presque fortuit. Je ne pense pas en effet qu’il avait les épaules pour être un membre à part entière de la Brise de la mer. Le hasard fait qu’il rencontre Francis Mariani à un moment où celui-ci est affaibli, en cavale, et a besoin d’un garde du corps, d’un chauffeur et d’un homme à tout faire. Ce que va faire Chossat. En temps normal, il n’aurait pas dû avoir accès à autant de secrets de la bande. Mais Mariani a besoin de lui, nuit et jour. Il raconte ainsi cet épisode extraordinaire – si la scène est avérée – où il assiste à une réunion entre les membres de la Brise de mer durant laquelle il comprend qu’ils étaient tous d’accord pour faire assassiner Richard Casanova, l’un des leurs, qui avait eu la mauvaise idée de s’émanciper du groupe. Seulement, les amis de Mariani auraient voulu que Jean-Luc Germani (beau-frère de Richard Casanova, actuellement incarcéré, ndlr) soit tué avant Casanova. Si c’est vrai, c’est extraordinaire.
Claude Chossat a plusieurs fois affirmé sa crainte d’être victime d’une tentative d’assassinat lors de son procès et, dans le cas où il serait condamné, en prison. Est-ce crédible ?
Je suis partagé. Ma petite compétence me ferait dire qu’il ne se fera pas assassiner pendant son procès. Ce serait trop éclatant. Mais je calque peut-être trop le modèle italien, que je connais très bien. En revanche, il y a un mois, il ne savait pas s’il serait protégé lors du procès. Aux dernières nouvelles, il a finalement obtenu une protection policière. C’est peut-être grâce à ses alertes… Mieux vaut prévenir que guérir. En revanche, derrière les barreaux, il y a un véritable risque pour lui. La prison, c’est le Far West ! On peut toujours trouver quelqu’un qui n’a plus rien à perdre ou qui est prêt à se sacrifier. Je comprends tout à fait que Claude Chossat ait des inquiétudes. D’autant que durant son procès, il sera obligé de montrer son visage. Il sera très facilement reconnaissable ensuite. Il y a quelque temps, il avait déjà dû déménager en catastrophe du Jura car il avait surpris des personnes faisant du repérage devant chez lui. Alors même qu’on ne connaissait que son nom.
On parle de Jean-Luc Germani comme l’héritier légitime de Richard Casanova, voire son vengeur. C’est d’ailleurs de l’entourage de Germani que Claude Chossat semble craindre le plus. Le clan Germani est-il une réalité ?
Il me semble quand même, selon les enquêtes de police et des journalistes, que Jean-Luc Germani a tout fait pour reprendre le contrôle des affaires de Richard Casanova après sa mort. Il a notamment été reconnu par la justice comme le principal responsable du coup de force qui avait débarqué, en janvier 2011, l’équipe dirigeante du cercle de jeux parisien du Cercle Wagram dont je possède la décision de justice. Il a également été condamné pour association de malfaiteurs en vue de la préparation du meurtre en bande organisée de Jean-Claude Colonna, l’un de ses rivaux.
En Italie, qui compte un peu plus de 1.000 repentis actuellement, le statut de collaborateur de justice a–t-il réellement permis de faire avancer la lutte contre la mafia ?
Si je devais résumer, je dirais qu’avant nous étions dans le noir ! Ça ne veut pas dire qu’il n’y avait rien. La police et la justice avançaient sur les dossiers criminels mais malheureusement, il n’y avait jamais de témoins prêts à raconter ce qu’ils savaient devant un tribunal. Soit ils étaient amnésiques, soit ils étaient morts… A la suite de la création d’un statut protecteur, la justice italienne a pu faire des avancées énormes dans sa connaissance de la mafia grâce aux paroles d’anciens voyous. Cela a permis également de réduire l’impunité dont bénéficiaient les grands chefs mafieux. Car ces coopérateurs de justice italiens ont permis, dans des affaires de règlement de compte, l’arrestation des assassins mais également des commanditaires ! Ce qui était beaucoup plus rare avant. La France gagnerait à s’inspirer du modèle italien, qui protège en réalité 5.000 personnes si l’on compte les membres de la famille des anciens mafieux, en réformant l’actuel statut des « coopérateurs de justice », qui est loin d’être suffisamment protecteur.
Source : Marianne
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