Procès de l’attentat contre « Charlie Hebdo » : l’effroi des jeunes policiers face aux « kalach » des frères Kouachi
« Je ne pouvais rien face à ce type d’armes. » Ce matin du 7 janvier 2015, Géraldine S., gardienne de la paix, ne s’attendait pas à tomber nez à nez avec les frères Kouachi. Devant la cour d’assises spéciale de Paris, ce 14 septembre, elle raconte. Il était environ 11h20 quand l’équipage Tango 11 Alpha entend sa radio Acropol grésiller. Il y aurait des coups de feu à quelques centaines de mètres d’eux, rue Nicolas Appert, dans le 11ème arrondissement de la capitale. Les trois policiers à VTT s’y dirigent à toute blinde. Ils ignorent que c’est là que se trouvent les locaux de Charlie Hebdo. Que la rédaction du journal satirique vient d’être décimée.
A la barre, Géraldine S., dit son hébétude lors son arrivée sur place : « La rue était très très calme. J’ai rien constaté. Pas de bruit. Je me suis dit qu’ici, il y a pas de banque, pas de bijouterie, il y a rien… Que c’était peut-être des enfants, des jets de pétards, rien de grave. »
Rien de grave. Jusqu’à ce qu’elle voie un policier une arme à la main. Qu’un autre, juste devant elle, distingue deux silhouettes qui surgissent dans son dos et hurle : « Police, police ! ». Une milliseconde plus tard, Géraldine B. découvre derrière elle les assassins de Charlie. « Je me tourne, je vois deux hommes, en noir, cagoulés, armés… Ils tirent sur nous ! Et c’est des tirs précis, coup par coup. » Cyrille son coéquiper s’est figé. « Il est tétanisé. Il avance pas, narre la policière. Moi, j’entends mon collègue qui me dit : ‘Cours, cours !’ Je jette mon vélo, je cours. J’entends le sifflement les balles. ‘Poum, poum’, des détonations. Je prends mon arme de service. » Elle se cache : « A un moment, je vois plus Dudu — Dudu, c’est Cyrille. »
La voilà retranchée dans un garage Volvo avec un collègue qui a du sang qui coule de la jambe. « Là, encore des détonations, impressionnantes. Et ça tire, et ça tire, et ça tire…, répète-t-elle comme pour insister sur la réalité des coups de feu. Là, dans ma tête, je me suis dit que j’allais mourir. Je comprenais rien. »
Les tirs continuent, puis cessent d’un seul coup. « Je suis sortie du garage. J’ai vu Cyrille marcher, tout blanc. » Hagarde, elle voit le pare-brise d’une voiture sérigraphiée pleine d’impacts de balles. « Mais qu’est-ce que c’est que ça… Qu’est ce qui s’est passé… »
Le vacarme des fusils
Cette voiture, c’est celle que conduisait encore quelques instants plus tôt Ahmed Merabet. Le policier de 39 ans était loin de se douter, lui aussi, que la faucheuse l’attendait au bout d’une kalachnikov d’Al-Qaïda. C’est que ce matin-là, Merabet fêtait sa dernière journée de patrouille. Il venait de décrocher le grade d’officier de police judiciaire (OPJ). C’est lui que l’on voit sur une vidéo devenue virale, exécuté à bout portant par Chérif Kouachi.
« On passait une excellente matinée », se souvient à la barre Vincent B., son coéquipier, un adjoint de sécurité alors âgé de 22 ans. Quand les radiofréquences leur signalent des « détonations » dans le secteur, ils ne s’inquiètent pas avant d’arriver au niveau du boulevard Richard Lenoir. Cette grande artère parisienne, tout près de la rédaction du journal, est étrangement embouteillée. « Toutes les voitures étaient arrêtées. On voyait des gens descendre de leur véhicule en courant… », remet ce grand blond baraqué.
Intrigué, il sort à pied en compagnie d’Ahmed Merabet. Puis le choc de la scène leur fouette la figure. Ils croisent un collègue avec des tâches de sang sur le visage. Entendent de gros coups de feu. Se cachent derrière un buisson sur le terre-plein du boulevard. Puis Ahmed Merabet se lève. Pas lui. « J’étais prêt à faire usage de mon arme. » Le vacarme des fusils de guerre l’en dissuade.
« Appel fantaisiste » pour la BAC
A ce moment-là, des agents d’une brigade anticriminalité (BAC) du 11e arrondissement, échangeaient déjà des coups de feu avec les terroristes.
Elodie S. en était membre. A son arrivée rue Nicolas Appert, régnait une ambiance calme, témoigne-t-elle devant les juges : « Personne parmi nous ne savait que c’était Charlie Hebdo! On arrive à trois. Tout était très calme, il y avait des gens qui déménageaient. On a même cru à un appel fantaisiste... »
Ils se positionnent devant l’immeuble de Charlie. Un homme leur assure qu’un gardien vient d’être blessé par balle. Tout s’accélère. « Tout à coup, les VTT arrivent, et on voit les frères Kouachi sortir », poursuit Elodie S. à la barre. Ils sont à dix, quinze mètres… elle ne sait plus. « Tout de suite, ils tirent. Je pars directement sur la gauche. Quand j’arrive à me mettre à l’angle de la rue, je les vois tirer sur les VTT à plusieurs reprises. Je fais feu à mon tour. » Elle a 25 ans à l’époque, c’est la première fois qu’elle fait usage de son arme en service. Une des cartouches de son pistolet 9 mm atteint le pare-brise de la Citroën noire de Saïd et Chérif Kouachi. Ces derniers rechargent leurs calibres. « Je suis entré dans un état de paranoïa. J’étais persuadé qu’ils me voyaient », rembobine la policière.
Même état de sidération pour Jean-Sébastien B., son chef de bord. Au moment où il aperçoit les deux hommes armés pour la guerre sortir, « j’ai pensé que c’était des collègues d’une unité d’élite », assure-t-il. Personne ne saisit ce qui se passe.
La mort d’Ahmed Merabet
Après les coups de feu et le départ de la Citroën des Kouachi, les protagonistes découvrent Ahmed Merabet gisant à terre. « Je vois ses yeux vitreux, il était blanc, violet, quoi… », dit la policière à VTT.
Vincent B., désorienté à la vue de celui qu’il décrit comme son mentor : « J’ai vu Ahmed dans une mare de sang. Je suis arrivé vers lui, au niveau de son visage, je lui dis ‘Est-ce que tu m’entends ?’ Il me regardait, il bougeait les lèvres… Pas un son ne sortait de sa bouche… Je voulais prendre ma radio. Je connais le boulevard Richard Lenoir par cœur. A ce moment-là, je n’avais aucune idée de là où j’étais. J’ai demandé à ma collègue Cécile : ‘Où est-ce qu’on se trouve, je sais plus ?’ Je lui mettais des claques au niveau des joues pour qu’il reste avec moi, qu’il reste conscient. J’attendais qu’une seule chose, c’est qu’arrivent les pompiers… »
Mais il a un trou rouge sur la nuque. « C’est à ce moment que j’ai compris que c’était fini. »
Guerre asymétrique
Déboussolés, peu formés à la menace terroriste, les équipages de policiers mettent du temps à prendre la mesure de ce qu’ils viennent de vivre. Peu après la fusillade, Géraldine B. erre sur le terre-plein, cherchant son vélo : « J’étais en état de choc. Et là, il y a un homme, les mains en sang, il me dit : ‘Là ! C’est Charlie Hebdo ! C’est leurs locaux, c’est une tuerie là-dedans!’ Et là, j’ai compris l’importance de ce qui s’était vraiment passé. »
Tout comme la policière de la BAC, qui s’approche des secours évacuant les rares survivants du 10, rue Nicolas Appert. « J’ai vu Philippe Lançon [journaliste à Charlie], avec la mâchoire qui arrivait jusqu’en bas… Après, il y a Riss [directeur actuel de Charlie] qui est parti sur un brancard. »
Une canonnade « asymétrique », résume un avocat des parties civiles: « Vous avez des pistolets, eux des fusils d’assaut. » « On peut pas répondre à des Kalach. Faut être spécialisé, formé dans une unité d’élite », confirme Géraldine B. Ecopant de 45 jours d’ITT (interruption totale de travail) pour cause de stress post-traumatique, elle a été mutée plusieurs fois et ne veut plus porter l’uniforme. Quant à Elodie S., qui était parvenue à percuter la voiture du duo terroriste, elle a culpabilisé, persuadée de ne pas en avoir fait assez. « Si j’en avais tué un, peut-être qu’Ahmed serait vivant », dit-elle.
Tous les policiers qui ont fait face aux soldats Kouachi ce jour-là ont longuement souffert de stress post-traumatique. Certains en gardent encore des séquelles.
Source : Marianne
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