Présidentielle : Macron spamme les directeurs d’école à 48 heures du premier tour
Les équipes de campagne du président-candidat ont procédé, vendredi 8 avril, à un envoi massif de mails ciblant les directeurs d’écoles sur leurs adresses professionnelles pour les appeler à voter Macron. Une manœuvre qui suscite la colère d’une partie du corps enseignant.
À deux jours du premier tour de la présidentielle, toutes les ficelles sont bonnes pour Emmanuel Macron. Ses équipes de campagne ont procédé, vendredi 8 avril, à un envoi massif de mails ciblant les directrices et directeurs d’écoles pour les appeler à voter pour le président sortant. Originalité de la démarche : le mail a été envoyé sur les adresses professionnelles des chef·fes d’établissement, comme Mediapart a pu le vérifier. « Transmettez ce message à vos collègues ! », conclut même le message, comme s’il s’agissait d’une consigne du rectorat.
L’envoi de cette propagande électorale a rendu furieux plusieurs de ses destinataires. Sur Twitter, la section parisienne du SNUipp-FSU (Syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des écoles) a dénoncé les manœuvres d’un président-candidat qui « tente de récupérer les enseignant·es en envoyant un mail de propagande aux directeur·trices qu’il a tant meprisé·es ». « Outre le fait que le contenu n’a pas de sens pour les écoles, qu’en pense l’académie de Paris ? », se demande aussi le syndicat.
Emmanuel Macron dans une école à Marseille, le 2 septembre 2021. © Daniel Cole / AFP
La diffusion ne s’est pas limitée à la seule académie de Paris, selon nos informations. L’envoi massif a été réalisé à partir des bases de données de l’entreprise spécialisée EMB, qui travaille avec plusieurs entreprises du CAC 40 (Renault, PSA, Orange). Contactée, l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron confirme être à l’origine de ce message « dirigé vers un public professionnel du monde de l’éducation ». Elle a fait appel à un sous-traitant pour obtenir des adresses ciblées.
Chez EMB, on explique que la base utilisée correspond à celle d’une opération commerciale en BtoB (entre professionnels), suivant la méthode de l’« opt-out », qui permet d’envoyer des contenus à visée prospective sans le consentement préalable du destinataire. Sur son site internet, la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) « recommande » toutefois, dans le cas de l’utilisation de fichiers commerciaux, que chaque candidat et candidate s’assure que les personnes concernées « aient au préalable consentide manière spécifique à la possible utilisation de leurs données à des fins de communication politique ».
Si plusieurs directeurs et directrices s’étonnent d’avoir ainsi reçu de la propagande électorale, l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron assure que « tout est bien conforme aux règles juridiques en vigueur (Cnil, RGPD) ». Cette confusion entre adresses professionnelles et campagne politique n’est pas sans rappeler le mélange des genres autour de la création d’Avenir lycéen. Pour accompagner la naissance de ce syndicat pro-Blanquer, aujourd’hui visé par une enquête pour « détournement de biens publics » à la suite des révélations de Mediapart sur son fonctionnement, des rectorats n’avaient en effet pas hésité, en 2018, à démarcher eux-mêmes des lycéen·nes.
Rien n’est impossible, vous le savez mieux que personne, vous qui du jour au lendemain pendant le premier confinement avez dû tout réinventer.
Message de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron
Emmanuel Macron connaît pourtant la colère du corps enseignant. Une colère qui est allée croissant tout au long du quinquennat, se cristallisant d’abord sur Jean-Michel Blanquer, avant de rattraper, ces derniers temps, le président-candidat. Son projet de libéralisation de l’école, esquissé à Marseille (Bouches-du-Rhône), puis confirmé sur l’ensemble du territoire, n’est pas franchement de nature à rassurer le personnel de l’Éducation nationale et ses représentants syndicaux, de la CGT Éducation au Snalc.
Outre ce chantier, c’est la question de la rémunération des enseignant·es qui inquiète ou plus exactement la réponse qu’y a apportée Emmanuel Macron, en conférence de presse, le 17 mars. « Ce que je souhaite faire pour les enseignants qui sont en place, c’est leur proposer en quelque sorte un nouveau contrat, où on augmente et on est prêt à augmenter substantiellement la rémunération, s’ils sont prêts à aller vers [de] nouvelles missions, et à changer leur organisation et leurs règles d’engagement », a-t-il dit. À lire aussi Blanquer, l’école à la renverse 8 mai 2019 Bilan Macron. À l’école, des inégalités toujours prégnantes 3 mars 2022
Et d’ajouter : « C’est difficile de dire : on va mieux payer tout le monde, y compris celles et ceux qui ne sont pas prêts à davantage s’engager ou à faire plus d’efforts. Voilà. » Une déclaration qui va à l’encontre du mail de propagande électorale adressé vendredi aux directrices et directeurs, dans lequel le président sortant est présenté comme « petit-fils d’une enseignante à qui il doit tant » et « époux d’enseignante ». À ce titre, « il s’engage à ce que tous [les enseignants soient] mieux reconnus, mieux rémunérés, qu[’ils aient] plus de libertés », poursuit le message, comme si Emmanuel Macron n’avait pas été à l’Élysée ces cinq dernières années.
« Rien n’est impossible », martèle le mail. « Rien n’est impossible, vous le savez mieux que personne vous qui du jour au lendemain pendant le premier confinement avez dû tout réinventer », conclut-il, alors que les enseignant·es n’ont cessé de dénoncer la gestion hasardeuse du pouvoir exécutif tout au long de la crise sanitaire. Ce qui n’avait d’ailleurs pas empêché Jean-Michel Blanquer de se féliciter, dans un livre, d’avoir « sauvé les enfants de France d’un naufrage dramatique par-delà toutes les vicissitudes et tous les manques ».
Dans un entretien accordé récemment au Figaro, Emmanuel Macron a encore franchi un pas supplémentaire en affirmant vouloir « répondre au syndrome de la salle des profs, où celui qui se démène est parfois moqué par celui qui fait le minimum syndical ». Une façon de cliver le corps enseignant, comme il a tenté de le faire sur bon nombre d’autres secteurs professionnels, dès lors qu’il s’agissait de faire passer une réforme socialement contestée – celle de la SNCF ou celle des retraites.
Source : Mediapart
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