Pourquoi un militaire donne-t-il sa vie ?
Il y a tout juste six ans, le père Christian Venard recevait le dernier souffle de deux soldats tués par Mohammed Merah. Dans un texte écrit pour La Vie, il médite sur le sacrifice du lieutenant-colonel Arnaud Beltram, chrétien et serviteur de l’État.
Est-ce parce qu’il était chrétien que le lieutenant-colonel Arnaud Beltram a accepté de sacrifier sa vie, ou parce qu’il était militaire et officier ? Les risques de réduire à son seul engagement catholique l’héroïsme d’Arnaud ont vite été balayés par l’annonce son appartenance à partir de 2008 à la Grande Loge de France – mystère d’une vie chrétienne en marche. Autre risque, non moins réel, celui d’une vision laïciste de son engagement, alors que la vie de foi de notre héros national était évidente – voire rayonnante.
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Soldat chrétien ou gendarme républicain ? Chercher à distinguer, c’est participer d’une représentation artificiellement clivée de l’engagement public, trop fréquente chez certains officiels. « Je suis chrétien, disent-ils, mais cela est du ressort du privé, et dans mes fonctions, je suis capable de prendre des décisions directement contraire à ma foi. » Une des leçons que nous pouvons tirer de l’exemple donné par Arnaud Beltram, c’est qu’un vrai serviteur chrétien de l’État ne saurait vivre dans cette dualité. Bien au contraire, c’est la cohérence entre l’intime et le public qui lui confère sa vraie force.
Les « valeurs » qui animent les « sentinelles de la société » sont bien souvent au antipodes de celles qui meuvent cette même société. L’esprit de sacrifice, inculqué dans les armées dès la formation initiale, se heurte à l’individualisme contemporain. La cohésion du groupe, la force du binôme, la capacité à accepter la souffrance, à se dépasser, à continuer la mission même dans des conditions dégradées… tout cela se heurte au matérialisme ambiant, à l’hédonisme, à l’égoïsme. Enfin, l’idéal même d’une vie consacrée à ce qui la dépasse (le bien commun) est directement contraire à l’horizontalité désespérante d’une laïcité devenue trop souvent laïcisme ou athéisme militant.
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Cette dichotomie entre les « valeurs » de la société et celles exigées des serviteurs de l’État en charge de la sécurité de cette même société provoque bien souvent, chez ces derniers, de véritables implosions morales – décrochage intérieur, burn-out, états de stress dépassé… C’est une urgence professionnelle pour eux, pour leurs institutions, de retrouver les bases philosophiques, éthiques et métaphysiques du sens de leur action. Sur ce chemin, il est évident, que parmi eux, ceux qui ont la chance d’être porteurs de la foi chrétienne par héritage ou par recherche personnelle y sont aidés. En effet, nombre de ces « valeurs » trouvent leur déploiement dans la « morale chrétienne », et la grâce opérante de Dieu en ses sacrements leur est d’un secours précieux.
Mais, en matière civique, l’éthique chrétienne trouve la majeure part de ses sources dans la philosophie grecque, en particulier chez Aristote et Platon. Transmises tout au long du Moyen Âge, cette éthique a irrigué en profondeur notre conscience européenne. On songe en particulier ici au développement de la chevalerie, permettant de christianiser, de civiliser, l’usage de la force au service de ce qui dépasse l’intérêt immédiat, au service du suzerain, dans le respect du faible, de la femme, de l’orphelin, et des droits de Dieu.
Aujourd’hui, retrouver le sens du bien commun, en connaître les fondements philosophique et les exigences dans l’action, est une nécessité vitale pour tous les serviteurs de l’État… et au-delà, dans le cadre de notre lutte contre le terrorisme, pour tous les citoyens. Quelles que soient ses convictions religieuses, philosophiques, politiques – et l’on comprend ici ce que veut dire la neutralité des militaires – le serviteur armé de l’État doit avoir, très tôt dans sa formation, acquis une intime conviction. Celle qui vous anime au moment de la crise : que le sacrifice ultime de sa vie vaut la peine, même si, la société même qu’il défend, a bien du mal à le comprendre. Sur ce chemin ardu, la figure héroïque d’Arnaud Beltram nous offre un témoignage de plus. Que son sacrifice soit porteur de renouveau et de courage pour notre patrie.
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Le père Christian Venard est aumônier militaire depuis vingt ans. Il a accompagné les troupes françaises sur tous les théâtres d’opération et reçu le dernier souffle de deux de ses parachutistes tués par Mohammed Merah le 15 mars 2012 (voir son témoignage dans La Vie du 16 novembre 2015). Il est auteur d’Un prêtre à la guerre (Tallandier, 2014), et co-auteur d’un autre ouvrage qui aborde notamment la question du sens de l’engagement, la Densification de l’être (rééd. 2018, éditions Pippa), livre qui nous a particulièrement intéressés dans le contexte de la mort du lieutenant-colonel Beltram.
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Source : La Vie
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