Pourquoi les vidéos d’hôpitaux vides ne prouvent pas que le coronavirus est un complot
De nombreuses images, publiées avec le hashtag #FilmYourHospital, montrent des couloirs et halls d’hôpitaux vides, en France et à l’étranger. Le but : prouver que les gouvernements exagèrent la crise du coronavirus.
Question posée par Jean-Luc le 10/04/2020
Bonjour,
Vous êtes nombreux à nous saisir au sujet d’une vidéo, initialement publiée sur YouTube, intitulée «Coronavirus : hôpitaux vides». Désormais suspendue par YouTube, elle cumulait ce vendredi, près de quarante-huit heures après sa publication, plus de 200 000 vues. Elle demeure par ailleurs toujours visible sur Twitter et Facebook. Son auteur et propriétaire de la chaîne YouTube, qui compte 14 000 abonnés, publie régulièrement des vidéos pour dénoncer les «incroyables mensonges de la science» à propos de la Lune, des stations spatiales et, depuis peu, du coronavirus.
Dans la première partie de cette vidéo, dont la version originale dure près d’un quart d’heure, le youtubeur filme sa déambulation à l’intérieur de deux hôpitaux, à Toulon : Sainte-Musse d’abord, centre de référence mobilisé sur le Covid-19, puis l’hôpital des instructions des armées de Sainte-Anne. Devant une entrée de Sainte-Musse, il déclare : «On nous dit qu’il y a 500 décès en France en moyenne par jour du coronavirus, ça veut dire plusieurs milliers de personnes qui sont hospitalisées, donc beaucoup de personnels soignants, sans oublier les familles des patients qui sont au chevet, les amis, etc. donc il devrait y avoir beaucoup de monde dans cet hôpital.» Une fois à l’intérieur : «Regardez la salle d’attente il n’y a personne, elle est vide. Voilà, des couloirs vides, regardez. Alors qu’on nous dit que les hôpitaux sont bondés, surchargés.» Il monte ensuite à l’étage. Aux murs, des affiches décrivent : «filière patient couché Covid-19». L’homme reste devant la porte et dit : «Par la fenêtre je vois qu’il y a des lits, il n’y a personne, toujours personne.»
Même procédé à l’hôpital militaire Sainte-Anne. Il entre dans un hall désert, indiquant qu’il se trouve dans la salle des urgences. «C’est vide, personne», dit-il. A la toute fin de la vidéo, l’auteur conclut : «Voilà, on nous ment. Les médias, le gouvernement nous mentent […] Les hôpitaux sont vides, c’est curieux quand même. Cela confirme ce que je vous dis depuis longtemps : le Covid-19 n’est pas plus dangereux qu’une grippe. Nos dirigeants, le gouvernement, sont en train de bloquer le pays, de nous plonger dans un chaos économique et social pour une grippe. Il y a quelque chose qui ne va pas là, moi j’ai l’impression qu’on plonge tout doucement vers un Etat totalitaire, vers une dictature.»
Visites et opérations annulées
Contacté par CheckNews, Nicolas Funel, directeur adjoint de l’hôpital Sainte-Musse, explique que les soignants ont eu vent de cette vidéo et «le vivent mal». Il dit : «L’hôpital vide, c’est celui qu’on voit tous les jours depuis le début de la crise. Les 250 000 consultations par an non urgentes ont été annulées. Les visites des proches sont interdites. Donc oui, le hall est vide, le parking est vide. On n’a pas le flux de personnes habituel. Tenir des propos pareils, c’est révélateur d’une méconnaissance totale du fonctionnement des hôpitaux.» En termes de chiffres, Nicolas Funel détaille : «Sur 134 lits de réanimation [doublé par rapport à la normale, ndlr] dans le département du Var, 30 sont libres. 61 lits sont occupés par des patients Covid.» Par ailleurs, il nous indique que le service juridique se penche actuellement sur la vidéo afin d’évaluer la possibilité de poursuites.
Egalement sollicité, le ministère des Armées n’a pas encore apporté d’éléments concernant l’hôpital militaire de Sainte-Anne. Mais nos confrères de l’AFP Factuel ont pu retrouver un patient atteint du Covid-19, hospitalisé dans cet établissement au début du mois d’avril. Il indique : «On est tous dans des chambres isolées, et seuls, donc encore heureux que les couloirs soient vides. En fait, c’est un peu comme si vous alliez dans les couloirs de radiologie et que vous disiez qu’il n’y a personne alors que tout le monde est en train de passer une radio et que les autres patients attendent leur tour dans des chambres pour ne pas traîner dans les couloirs.»
Accusations de complotisme
Contacté par CheckNews, l’auteur de la vidéo, qui se dit «indépendant», «passionné par la science et l’évolution de l’humanité», explique sa démarche : «Je voulais voir dans quelle situation étaient les hôpitaux en ce moment. Je me suis d’abord rendu à Sainte-Musse pour être dépisté, mais à l’accueil on m’a indiqué qu’ils ne dépistaient que les travailleurs exposés. Je suis donc allé à l’hôpital Sainte-Anne. J’en ai profité pour filmer ce que je voyais.» Il poursuit : «Je dis bien dans ma dernière vidéo qu’il s’agit d’un sentiment. Je ne peux rien prouver. Mais il me semble que les décisions prises par le gouvernement sont déconnectées de la réalité, en totale opposition avec l’avis des meilleurs médecins. […] Est-ce que nos dirigeants font de leur mieux avec la responsabilité énorme qu’ils ont en ce moment, ou est ce qu’ils sont mus par des intérêts cachés au lieu de servir la nation ?» Et de s’interroger sur les accusations de complotisme : «Pourquoi dès qu’on donne une version différente que la version officielle, on est taxé de complotiste ? Des centaines de personnes partout dans le monde montrent que la situation des hôpitaux n’a rien à voir avec ce que décrivent les médias.»
Dans la seconde partie de la vidéo, l’auteur regroupe effectivement plusieurs extraits, montrant des personnes en train de filmer eux aussi des hôpitaux ou des parkings de centres hospitaliers complètement vides. Aux Etats-Unis, plusieurs d’entre elles sont filmées à New York (Brooklyn Hospital Center) ou dans l’Etat de Washington (Trios care center, Auburn hospital). Une autre a été filmée devant l’hôpital Moises Broggi à Barcelone, ou encore devant la clinique Rosemont à Montréal.
Ces extraits correspondent au mouvement #FilmYourHospital. Né sur Twitter, ce hashtag incitant les citoyens à aller filmer les hôpitaux est apparu pour la première fois le 28 mars et a été popularisé le lendemain par DeAnna Lorraine, une candidate républicaine au Congrès de Californie récemment battue. Cette femme politique s’est rendue «dans deux hôpitaux de Los Angeles pour visiter ces « zones de guerre » dont les médias mainstream nous parlent sans cesse». Elle dénonce le fait que les médias «ne disent pas la vérité» puisque les hôpitaux «sont très silencieux et vides» et appelle les internautes à «poster des photos de votre hôpital» sur les réseaux sociaux pour révéler la supposée supercherie.
La plupart des hôpitaux à l’international sollicités par CheckNews n’ont pas donné suite. Mais plusieurs éléments dans la presse permettent, comme en France, de remettre ces images dans leur contexte. Et de connaître le profil de certains auteurs de ces vidéos. Par exemple, l’homme qui assure «qu’il n’y a pas d’épidémie de Covid-19 à Seattle», devant l’hôpital d’Auburn, se nomme Mike Bara. Auteur et personnalité locale, il est connu pour ses positions «sceptiques» sur la Nasa et les premiers pas de l’homme sur la Lune. Selon cet article du Seattle Times, il est également persuadé que des aliens vivent sous la glace, sur la planète Mars.
Mauvais bâtiment
Une autre vidéo postée le 3 avril sur YouTube montre le parking vide du St. Vincent Medical Center de Los Angeles. Rien de surprenant puisque l’hôpital a fermé en janvier après avoir fait faillite. L’Etat de Californie a annoncé le 21 mars qu’il allait rouvrir pour traiter les malades du Covid-19. Selon CBS Los Angeles la réouverture est prévue pour lundi.
Concernant le dernier extrait de la vidéo tournée en Allemagne, nos confrères de la rubrique de fact-checking du site d’investigation allemand Correctiv ont déjà démontré que son auteur, le blogueur influent, Billy Six, considéré comme proche de l’extrême droite, s’est tout simplement trompé de lieu de tournage. Sollicité par Correctiv, l’hôpital berlinois de la Charité confirme que «les enregistrements ont en fait été réalisés à la Clinique du Campus Virchow, mais ce n’est pas le centre d’investigation de la Charité pour les cas suspects de Covid. L’hôpital universitaire de la Charité Berlin prend clairement ses distances par rapport au contenu et aux revendications de la vidéo». Il est donc logique que Billy Six n’y ait croisé aucun malade du Covid-19.
Dans la vidéo de quarante-six minutes, qu’il avait tournée, l’homme s’est également rendu devant un autre centre de soin berlinois, la DRK-Klinik, où selon ses affirmations, aucun patient infecté par le coronavirus n’est traité. Cette information a été démentie par une porte-parole qui indique qu’environ 30 personnes viennent se faire dépister chaque jour et que 8 personnes étaient hospitalisées à cause de la maladie. En Allemagne, l’Association interdisciplinaire allemande pour la médecine intensive et d’urgence (Divi) a mis en ligne un registre et une carte, qui permettent d’observer le nombre de patients en soins intensifs dans 801 hôpitaux du pays.
Comme en France, en respect des consignes de distanciation sociale, les hôpitaux allemands ont suspendu toutes les admissions, opérations et interventions planifiables «dans la mesure où cela est médicalement justifié» afin de «libérer du personnel et d’autres capacités pour le traitement de patients atteints de Covid-19 ou suspectés d’en être atteints». A l’exception des enfants de moins de 16 ans et des personnes gravement malades, les patients n’ont pas le droit aux visites. Les images d’hôpitaux vides ou de parkings déserts devant les centres de santé s’expliquent donc par les mesures mises en place dans le cadre de la crise sanitaire.
Cordialement,
Source : Libération
Laisser un commentaire