Pourquoi BlackRock apparaît comme le « grand méchant loup » de la réforme des retraites
Les détracteurs de la réforme accusent la société américaine d’organiser avec le gouvernement la retraite par capitalisation.
POLITIQUE – C’est l’histoire d’une société américaine parfaitement inconnue du grand public qui est devenue en quelques mois la bête noire des détracteurs de la réforme des retraites. Noire jusque dans son nom: BlackRock. Le 1er janvier, la présence du patron de sa branche française, Jean-Francois Cirelli, dans la promotion de la Légion d’honneur a provoqué un véritable tollé.
En cause, l’influence attribuée à cette entreprise spécialisée dans la gestion d’actifs sur le projet du gouvernement, lequel aurait pour objectif caché d’ouvrir la voie à la retraite par capitalisation en France. Il faut dire que BlackRock est depuis le début du quinquennat régulièrement consulté par l’exécutif.
En octobre 2017, les huiles de l’entreprise new-yorkaise étaient reçues en grande pompe à l’Élysée et, fait rare, dans le salon Murat, où se tiennent les conseils des ministres. Non inscrite à l’agenda des membres du gouvernement conviés, cette réunion nourrit le soupçon, comme une autre (publique cette fois-ci) organisée en juillet 2019 dans les murs de la présidence.
Une note publique publiée sur le site de la société exposant les “recommandations” du groupe américain au gouvernement achève de convaincre certains détracteurs de la réforme de l’existence d’une collusion entre le pouvoir et ce qui est présenté dans la presse comme un “fonds de pension”.
Dans les cortèges des manifestations contre la réforme des retraites, le nom de l’entreprise apparaît alors sur de nombreuses pancartes accusant le gouvernement de céder le magot des retraites au capitalisme le plus vorace venu d’outre-Atlantique. La polémique Jean-Francois Cirelli est ensuite érigée en preuve de cette complicité par de nombreux responsables politiques, du PS au RN en passant par LR et la France insoumise. Mais dans les milieux économiques, on fustige volontiers cette “mauvaise théorie du complot”.
“Fantasmes”
Jérôme Dedeyan, associé fondateur de la société de conseil et de gestion Eres, ne cache pas son exaspération. “C’est une lamentable polémique qui se nourrit de mensonges”, enrage cet expert en épargne salariale. “Le premier, c’est de faire croire qu’il s’agit d’un fonds de pension. Or BlackRock est un gestionnaire d’actifs, cela n’a rien à voir. C’est comme si on confondait un fournisseur et un client. Ce n’est pas le grand méchant loup du capitalisme”, déplore-t-il, regrettant que des responsables politiques, censés saisir la nuance, “entretiennent la confusion”. Une confusion en partie due au fait que deux tiers des actifs gérés par BlackRock sont liés aux solutions d’épargne-retraite.
Un cadre travaillant pour le compte d’une banque d’investissement, et qui préfère garder l’anonymat, abonde: “La plupart des Français ne comprennent pas ce qu’est la gestion d’actif. Mais les volumes cités, les fameux 7000 milliards en gestion, créent des fantasmes. Pourtant, on n’est très loin de la mauvaise finance”, assure ce conseiller au HuffPost. Ces “fantasmes” conduisent les opposants à la réforme à conclure que c’est BlackRock qui raflera la mise une fois le système à points adopté.
De quoi, encore, faire bondir les professionnels du secteur. ”Le marché qui va se dégager sur les très hauts revenus va profiter à toutes les entreprises du secteur comme AXA, BNP Paribas ou Amundi, et sûrement moins à une entreprise américaine dont la marque est peu connue (et maintenant mal perçue)”, souligne Jérôme Dedeyan. “Le marché français est insignifiant pour BlackRock et les grands groupes français spécialisés dans la gestion d’actifs sont parmi les meilleurs du secteur”, note également notre source qui officie pour une banque d’investissement, pointant une polémique “complètement irrationnelle”.
Lobbying
Reste que la consultation de ce géant américain de la finance par l’Élysée soulève de nombreuses interrogations, que l’entreprise elle-même a tenté de déminer. “En aucune manière, nous n’avons cherché à exercer une influence sur la réforme du système de retraite par répartition en cours auprès des pouvoirs publics ou de tout autre acteur du secteur”, a fait savoir sa filiale française dans un communiqué.
Pour Jérôme Dedeyan, les contacts réguliers entre l’exécutif et le gestionnaire d’actifs “n’ont rien de scandaleux” dans ce contexte. “Dès qu’il y a une réforme qui concerne un secteur industriel, ses principaux acteurs sont reçus, pas uniquement BlackRock. Et Dieu merci! Heureusement que l’exécutif, les ministres et même l’Assemblée nationale consultent les représentants d’un secteur économique qui va être modifié”, estime l’entrepreneur, lui-même reçu à Bercy en amont de la loi Pacte.
Courant décembre, Le Monde relativisait l’influence du groupe américain sur l’Élysée, en soulignant que ses concurrents français (bien implantés et disposant de réseaux bien plus solides) “font le même lobbying auprès du gouvernement depuis des décennies”. Sans pour autant avoir obtenu le scalp du système par répartition. Pourquoi alors l’attention est-elle focalisée sur BlackRock? Pour notre source banquière, l’origine du groupe n’y serait pas pour rien: “c’est un groupe américain méconnu et qui est arrivé en France en 2006. Dans l’imaginaire, c’est sans doute associé à Wall Street, à Goldman Sachs… Sauf que, contrairement à cette dernière, BlackRock n’a pas grand-chose à se reprocher”. Une hypothèse que formule autrement Jérôme Dedeyan: “si Macron n’avait pas travaillé chez Rothschild, mais à la Banque populaire, et qu’il n’avait pas reçu BlackRock, mais la Matmut, la polémique aurait-elle était la même?”.
Source : Le Huffpost
Laisser un commentaire