Policiers brûlés à Viry-Châtillon : les coulisses d’une enquête haletante
Une bande d’une dizaine de jeunes avait attaqué au cocktail molotov deux véhicules de police en octobre 2016. Quatre policiers avaient été blessés, dont deux grièvement. DR
Dans son réquisitoire du 28 mai, le parquet d’Évry réclame un procès aux assises pour 13 suspects. Entre omerta, pressions et dénégations, les investigations ont été difficiles.
L’attaque barbare n’a duré que 5 minutes et 56 secondes. Mais elle a laissé des séquelles dans la chair des victimes et un profond malaise dans le rang des forces de l’ordre. Ce 8 octobre 2016, quatre policiers – Vincent R., Jenny D., Virginie G. et Sébastien P. – sont stationnés à bord d’une Renault Kangoo et d’une Peugeot 307 à Viry-Châtillon (Essonne) pour surveiller le carrefour maudit du Fournil, théâtre de multiples vols à la portière.
Ils n’aperçoivent pas le groupe de 19 assaillants, cagoulés et habillés en noir, qui se faufilent en leur direction depuis la cité sensible de la Grande Borne à Grigny. Coups de poings, jets de pierres puis de cocktails molotov : les fonctionnaires sont grièvement blessés et brûlés. Ils s’extirpent de justesse de leurs voitures transformées en torches pendant que leurs agresseurs s’enfuient.
Après un an et demi d’enquête, le parquet d’Évry a requis, le 28 mai, le renvoi devant la cour d’assises de 13 suspects, dont trois mineurs au moment des faits, pour « tentative d’homicide volontaire sur personnes dépositaires de l’autorité publique ». Dans son réquisitoire de 76 pages que nous avons pu consulter, l’accusation décrit de jeunes hommes âgés de 17 à 22 ans, dont certains ont déjà été condamnés.
Ils appartiennent pour plupart à la bande de la « S », pour rue de la Serpente, lieu de réunion de ces amis d’enfance adeptes de chicha et de football. Omerta dans le quartier, absence de traces ADN et images de vidéosurveillance « médiocres »… La justice n’est pas parvenue à mettre la main sur l’ensemble des auteurs. Même le mobile reste incertain : la thèse retenue est une vengeance de « la S » après l’installation d’une caméra sur le carrefour, jugée gênante pour le trafic de stupéfiants. Retour sur cette enquête haletante.
Réseaux sociaux
L’enquête de la sûreté départementale de l’Essonne démarre… sur Instagram. Un policier relève la présence d’une vidéo montrant les voitures des victimes enflammées avec des commentaires odieux: « Si t’es un keuf ou une poucave (balance), rentre pas dans ma zone grande Borne » et « Oulala ça sent le poulet rôti ».
Interrogé, l’auteur du film évoque des assaillants « fiers d’eux, serrant le poing comme pour fêter une victoire ». Il révèle aux enquêteurs les pseudonymes de plusieurs membres de « la S », dont celle de « Tchambo ». Ce dernier est soupçonné d’être un des « leaders » de la bande. Il a été confondu par son bandage à la main gauche.
Les enquêteurs identifient aussi trois suspects sur des clips de raps amateurs postés sur YouTube. Des photos trouvées sur Facebook et des renseignements recueillis permettent aux policiers de compléter leur liste.
Témoin anonyme
Les investigations basculent avec l’audition sous X d’un habitant du quartier, qui aurait reçu « les confidences » des participants à l’attaque. Celui-ci raconte que « Lookaz », « Kossdar » et « Roro » ont planifié l’agression pour « prouver aux plus jeunes leur efficacité » et qu’ils ont effectué des repérages. L’objectif, poursuit ce témoin, était « d’effrayer les policiers et les faire éloigner ».
Une réunion préparatoire pour confectionner les cocktails Molotov, entreposés dans un caddie, aurait été organisée la veille. Le témoin égrène les rôles de trois membres de la « S » dans les violences : « Roro » a cassé la vitre de la première voiture et jeté un engin incendiaire, « Santos » l’a imité et « Sanay » s’est brûlé à la main en frappant le fonctionnaire qui a pris feu. Les autres assaillants auraient raté leur cible ou pris peur.
Pressions
L’enquête se heurte très vite aux pressions exercées sur les habitants de Grigny pour imposer la loi du silence. Un mineur est ainsi passé à tabac dans les toilettes de son lycée, accusé d’être « une poucave ». « De sa cellule en garde à vue, il fondait en larme et confiait à un enquêteur sa crainte de subir des représailles s’il parlait », résume le parquet.
Une vidéo troublante est aussi découverte par les enquêteurs : on y voit un enfant de 11 ans apeuré, « un serpent autour du cou » et « les mains attachées », se faisant intimider par des individus inconnus. Ce garçon avait été chargé de collecter de l’essence pour la bande.
Même l’un des participants présumés de l’attaque est tabassé en pleine rue pour s’être confié au téléphone avec une amie. Quand ce n’est pas un propre membre de « la S » qui part s’installer au Mali « parce que c’est chaud » depuis ses confidences aux enquêteurs.
En détention provisoire, certains des mis en examen sont parvenus à récupérer des téléphones portables pour s’enquérir des déclarations des uns et des autres ou menacer d’autres membres.
Auditions infructueuses
Malgré de nombreux interrogatoires et confrontations, la plupart des 13 suspects, décrits par les psychologues comme « immatures » ou « impulsifs », contestent toute participation à l’attaque, de jet de cocktail Molotov ou minimisent leur présence sur les lieux. Et livrent parfois des explications jugées « fantaisistes » par la justice.
Le parquet a requis un non-lieu pour cinq mis en examen en l’absence suffisante de charges. L’un des leaders présumés s’est toutefois trahi en prison : alors qu’un ami l’appelait pour féliciter « la S pour l’histoire des keufs brûlés », celui-ci a lâché : « Ah grave, tu sais mon boug, on est là. » Les policier n’en ont pas raté une miette.
Source : Le Parisien
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