Police-gendarmerie : l’éternelle querelle des frères ennemis
Les deux corps sont depuis 2009 sous la tutelle du seul ministère de l’Intérieur. Mais les tensions persistent, entretenues par les politiques.
Un gendarme et un policier participent à une opération commune de contrôle des automobilistes. © Denis Charlet/AFP
La tension entre policiers et gendarmes continue de parcourir les rangs des deux institutions. D’autant que malgré leur réunion sous l’égide du même ministère de l’Intérieur en 2009, et plusieurs tentatives – pas toujours couronnées de succès – de mutualisation, aucun des deux camps ne semble disposé à rendre les armes. « C’est la guerre, c’est une très vieille histoire entre deux corps qui travaillent au même objectif avec des modus operandi bien singuliers », témoigne un parlementaire de l’opposition très au fait des questions de sécurité. « Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le politique a indirectement participé à ce que cette opposition perdure en affichant ouvertement sa préférence pour tel ou tel corps. » Il est vrai que plusieurs anciens présidents de la République ont tour à tour privilégié l’un ou l’autre pour certains missions, notamment lorsqu’il s’agissait de leur propre protection.
« Mitterrand avait placé des gendarmes dans son premier cercle, Chirac a plutôt suivi la même voie avant que Sarkozy fasse clairement état de sa préférence pour les policiers, avec lesquels il avait noué des relations proches dès l’affaire de la maternelle de Neuilly. Et puis Hollande est passé par là en privilégiant – notamment sous l’impulsion de Manuel Valls – la gendarmerie », poursuit l’élu.
Des regroupements avortés
Si, dans le cadre du regroupement des deux corps sous le commandement de la Place Beauvau, policiers et gendarmes ont été réorganisés pour travailler ensemble, à l’image des groupes d’intervention régionaux (GIR) ou de la Direction de la coopération internationale (DCI) notamment, d’autres rapprochements ont connu moins de succès.
Ainsi l’été dernier, le projet de « Task Force » rassemblant policiers et militaires destiné à s’attaquer à la criminalité qui ronge la Corse a été abandonné, à la suite d’une opposition sur le partage des tâches. « Certains policiers, appuyés par la voix des syndicats de la profession, s’inquiétaient de la trop grande place donnée à la gendarmerie dans ce dossier », se remémore un haut magistrat parisien, qui confirme du bout des lèvres que plusieurs de ses collègues en charge de la criminalité insulaire favorisent les enquêtes confiées à la gendarmerie « par peur de connexions parfois douteuses entre certains enquêteurs et le milieu du grand banditisme corse ».
Critiques et peaux de banane
Sur le papier, la police oeuvre principalement dans les grandes agglomérations, tandis que les gendarmes s’activent sur le reste du territoire. « Les pandores sont complexés par leur faible taux d’activité judiciaire, à peu près 20 % de l’ensemble des faits constatés, bien que la recrudescence des cambriolages ait fait monter le pourcentage », explique un policier parisien. « Et en termes d’enquêtes judiciaires, on ne peut pas dire que les récentes affaires aient particulièrement fait une bonne publicité. » L’affaire de la tuerie de Chevaline, confiée à la section de recherches (SR) de la gendarmerie de Chambéry, n’a pas connu le dénouement escompté et demeure non élucidée.
C’est même un véritable fiasco. Beaucoup de policiers critiquent le parti pris des enquêteurs, soucieux de privilégier d’abord leurs investigations en direction de la piste étrangère, ou de celle menant au cycliste abattu lors de cette tuerie. « Facile de critiquer a posteriori », tance un militaire depuis son bureau de la Place Beauvau. « Tout le monde a bien travaillé, avec méthode et rigueur, quoi qu’en disent certains policiers qui souhaitaient en sous-main le dessaisissement de la SR de Chambéry à leur profit. » Chez les militaires non plus, on ne mâche pas ses mots pour critiquer certaines actions des « cousins » policiers. « C’est vrai que lorsque l’on voit l’intervention du Raid contre l’appartement de Mohammed Merah, on ne peut que s’incliner », ironise un ex-membre du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), section d’élite reconnue aux quatre coins du monde. « On ne dévoile pas nos recettes, mais il y avait bien d’autres moyens de réussir cette intervention sans tirer le moindre coup de feu. Et dans les rangs du GIGN comme du Raid, tout le monde le sait. »
Image
Bref, la liste des oppositions est longue. Les gendarmes reprochent leur toute-puissance aux syndicats policiers, eux qui en sont dépourvus ; alors que les policiers – qui accusent les gendarmes de demander sans cesse des budgets plus importants – grognent contre les logements de fonction donnés aux militaires.
Et en termes d’image auprès de la population, qui sort vainqueur de cette confrontation ? Selon un sondage Ifop paru l’an passé pour le magazine L’Essor de la gendarmerie, 84 % des Français interrogés disaient avoir une bonne opinion des quelque 100 000 gendarmes hexagonaux, tandis que 71 % admettaient avoir une bonne image des 120 000 policiers français. Il ne reste plus qu’à resserrer les rangs.
Source : Le Point
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