Police, gendarmerie, justice… Une « révolution » post Bataclan
Il y a un an, un commando massacrait 130 personnes en plein cœur de la capitale. Police, gendarmerie et justice se sont adaptées à la menace. Enquête dans la région
Le patron de l’antenne GIGN d’Orange est clair : « Avant le Bataclan, le contre-terrorisme occupait 20 % de nos entraînements, désormais c’est 80 % ». Mercredi, nous avons pu assister à l’un d’entre eux dans le nord du Vaucluse. Photo Thierry Garro
C’est le plus profond traumatisme qu’ait connu la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 13 novembre 2015, au Stade de France où les Bleus affrontaient l’Allemagne sous les yeux du Président Hollande, au Bataclan où le groupe Eagles of Death Metal jouait « Kiss the Devil » (embrasse le diable) et aux terrasses des 10e et 11e arrondissements où les Parisiens décompressaient de leur semaine en ce vendredi maudit- l’attaque militaire et multisites faisait 130 morts, terrorisait Paris, la France, et l’Europe tout entière. Dans une nation qui n’était absolument pas prête à une telle déclaration de guerre, la réponse se devait d’être à la hauteur.
L’état d’urgence était déclaré -4000 perquisitions administratives, menées en un an, d’individus radicalisés et de lieux de culte musulman « borderline »-, la population découvrait les patrouilles de 10000 soldats dans ses rues, le gouvernement dégainait 100 millions d’euros sur trois ans pour mieux armer et protéger ses policiers et gendarmes, du quotidien et d’élite, car tous désormais, dans le cadre du nouveau schéma national d’intervention, sont susceptibles de se mettre en travers de la route des fanatiques d’un islam dévoyé. La justice, aussi, musclait son arsenal contre la radicalisation avec la loi de réforme pénale du 3juin 2016, qui créait notamment le délit de consultation de sites djihadistes.
Afin de mieux cerner les contours de tous les changements qu’ont entraînés au niveau local ces réformes, nous nous sommes immiscés au cœur de la cellule qui passe au crible les radicalisés des Bouches-du-Rhône -où vivraient 20% des musulmans salafistes de France-, nous avons interrogé le procureur de Marseille, le directeur régional des services pénitentiaires, le commandant des gendarmes en Paca, le directeur de la police des BdR et aussi coordonnateur zonal de la sécurité publique, et enfin les patrons du RAID 13, de l’antenne GIGN d’Orange. Ces forces d’élite ont basculé dans une logique militaire, sur un air de « Kill the Devil »…
La cellule qui traque la menace
Il a fallu batailler ferme pour avoir accès à ce qui est la réunion hebdomadaire la plus sensible du préfet de police des Bouches-du-Rhône Laurent Nuñez. C’est que la douzaine de personnes assise autour de la grande table, et qui constitue le Groupe d’évaluation départemental (GED), estime, sans doute à juste titre, que la discrétion est d’or. La confidentialité de ces cas, potentielles menaces pour la sûreté de l’État, aussi. Alors le préfet, qui mène la danse du passage en revue des individus signalés comme en voie de radicalisation ou ayant déjà passé le Rubicon, mettra, en notre présence, des numéros sur les noms, taira les communes dans lesquelles ils vivent.
Chaque semaine, une bonne vingtaine de signalements sont estimés crédibles, plus ou moins alarmants, pour un quart exprimé par des proches ou des particuliers sur le numéro vert national (0800 005 696), un bon nombre aussi par les différentes institutions du département et l’Éducation nationale… Rien ne peut être laissé au hasard, chaque information ou décision est évoquée à haute voix, répétée. Le moindre oubli, le moindre aspect pris trop à la légère pourrait engendrer le pire dans un département dont, selon nos sources, quelques dizaines d’habitants sont actuellement sur les théâtres de guerre, et dont une bonne dizaine y a trouvé la mort ces dernières années. Sans compter que les BdR sont l’un des huit départements français abritant le plus de profils à surveiller avec 619 individus « à risques » sur les 15000 individus que recense le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Alors autour du préfet Nuñez, on trouve les personnes les mieux renseignées de la zone sur la problématique : cabinet du préfet de Région, cellule Radicalisation de la préfecture de police, Renseignement Intérieur, Renseignement Territorial, Police judiciaire, gendarmerie, Parquet, services pénitentiaires… Chacun d’entre eux a étudié les profils sur la table en ce lundi.
« Bon alors lui, au vu des propos qu’il semble avoir tenus et de sa profession sur des sites sensibles d’Istres et de Fos-sur-Mer, je propose qu’on l’inscrive au fichier (le FSPRT, Ndlr) », lance le préfet. Le patron du Renseignement Territorial (RT) acquiesce du regard, l’homme sera surveillé de près. Suivent deux cas finalement abandonnés, « après enquête, il n’y a pas de radicalisation réelle », conclut le représentant de l’État. « En revanche, le RT il faut que vous creusiez le profil de ce type incarcéré aux Baumettes, pour des braquages en région parisienne (nombre de terroristes sont d’anciens petits ou gros délinquants, Ndlr). Il aurait crié Allah Akbar le soir de l’attentat de Nice, et a tenu d’autres propos de ce type, ça n’est pas forcément inquiétant mais il faut creuser », indique Laurent Nuñez, préférant prévenir que devoir revivre l’horreur d’une attaque, lui qui était aux avant-postes pour « Charlie » et l’Hypercasher, en tant que directeur de cabinet du préfet de police de Paris. « On passe au cas de cet agent de sécurité qui travaillait dans une structure publique et qui a tenu des propos d’apologie du terrorisme. Je lui ai retiré sa carte professionnelle, il a fait un recours, mais je l’ai rejeté. D’autant que lors de son entretien administratif, il n’a pas réellement nié avoir proféré ces paroles, et qu’il a trouvé un autre job ». Un autre profil est lui écarté: « Pas de radicalisation, c’est une conversion classique ». En revanche, le visage du préfet se ferme en évoquant le cas suivant : « Là c’est un individu déjà inscrit au fichier, qui sortira de prison en janvier, et qui a priori devrait retourner vers la Bretagne, puisqu’il n’a que très peu d’attaches ici. Il a l’air dangereux. Il a évoqué la théorie du complot, il a tenu des propos d’apologie du terrorisme, il n’est pas tranquille lui. Faut le pister dès sa sortie, et prévenir l’ARS (Agence Régionale de Santé) pour un suivi psychologique aussi ». Les signalements se suivent, mais aucun ne se ressemble. Il y a cet homme, sans doute parti en Syrie, mais dont le départ reste à confirmer afin d’être « au parfum » de son éventuel retour, cet autre individu qui pourrait être en Irak, « il faut vérifier, il sort de nulle part ce type », cette jeune fille partie du Pays d’Aix vers un pays du Golfe, hébergée d’après le Renseignement Intérieur dans une famille radicalisée et dont on ne sait rien de l’objet de son voyage. « Je veux qu’on la suive », percute le préfet. Et puis le cas « assez inquiétant », d’un enfant de 8 ans qui a répété, à son enseignante de confession juive, les propos antisémites que lui ont dit ses parents, ainsi que celui du jeune fils d’un imam qui « essaye de radicaliser sa classe de collège », mais aussi le parcours de cette adolescente de 15 ans, qui va de fugue en fugue, qui côtoie une mosquée « borderline », assurant « seulement vouloir se marier avec un salafiste et pas une racaille ».
216 perquisitions administratives menées en une année
Recouper les informations, mettre en place une chaîne de suivi, de longs tableaux détaillés, démêler le vrai du faux et tenter aussi et surtout de voir ce qui peut se tramer derrière des mots, des attitudes, des contacts. « On en est où de ce gars qui est déjà au fichier et actuellement écroué?« , lance le préfet. « Il s’était lui-même accusé de fomenter des attentats, il dit qu’il a des révélations à faire, mais d’après nos investigations, il s’est juste forgé un personnage de grand affabulateur dans le banditisme« , répond le représentant de la Police judiciaire de Marseille, « il ne sort plus de sa cellule, mais il a été analysé et il serait débile léger« , conclut celui du renseignement pénitentiaire.
Laurent Nuñez referme son dossier et nous demande de quitter la pièce. Le sort confidentiel de deux mosquées doit être évoqué. Un quart des 130 lieux de culte musulman du département seraient considérés à tendance salafiste selon la préfecture de police. Pour autant, au cours des 8 perquisitions administratives effectuées dans le cadre de l’État d’urgence décrété depuis un an, rien d’inquiétant n’y a été découvert. En revanche, les 208 autres, menées aux domiciles d’individus suivis, ont amené à la saisie de 30 armes, dont 2 armes de guerre et 11 armes de poing, mais aussi au placement en garde à vue de 15 personnes. Au total, depuis le Bataclan, 17 habitants des Bouches-du-Rhône, suivis de près, ont été, plus ou moins longuement, assignés à résidence et 19 autres ont été interdits de quitter le territoire, principalement vers la Syrie et l’Irak, par une décision validée de la main du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. À ce jour, 993 individus du département sont suivis (ce chiffre inclut les 619 inscrits au FSPRT, considérés comme radicalisés à des degrés divers et la centaine de personnes qui bénéficient d’un accompagnement social) par les différents enquêteurs. « Il y a un certain écart entre les chiffres des deux catégories parce qu’on tente d’être le plus intransigeant possible tout en agissant avec discernement, car être inscrit dans ce fichier reste quelque chose d’assez stigmatisant, précise le préfet de police. Tout ceci représente une responsabilité très importante, nous y mettons toute notre énergie, jour et nuit, personnellement je reçois entre 30 et 40 mails par jour concernant seulement cette problématique, qui est actuellement notre priorité absolue« . Une menace plus que réelle puisque, selon nos informations recueillies auprès d’une source policière mais que Laurent Nuñez n’a pas souhaité commenter, le département abriterait 20% des musulmans salafistes de France…
Source : La Provence.com
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