Pénurie de réactifs pour les tests PCR : « Nous sommes dans une situation de dépendance à l’égard d’autres pays »
Les tests sont-ils les nouveaux masques ? Une petite musique monte depuis plusieurs semaines : la France ferait face à une pénurie, ou du moins une tension, sur les réactifs – ces produits chimiques nécessaires à l’analyse des tests PCR. Le 8 septembre, le syndicat national des jeunes biologistes médicaux alertait sur la situation par voie de communiqué. « Certains fournisseurs de réactifs n’arrivent pas à suivre et de nombreux laboratoires sont en pénurie de réactifs et donc menacés d’arrêter toutes activités PCR Covid« , écrivaient-ils. Une situation qui expliquerait, entre autres, pourquoi les files d’attente ne dégrossissent pas devant les laboratoires des métropoles, mais aussi pourquoi les résultats tardent souvent à arriver. Plus d’une semaine après, rien n’a changé selon Lionel Barrand, le président du syndicat. Explications.
Marianne : Comment se déroulent les tests en laboratoire en ce moment ?
Lionel Barrand : C’est extrêmement tendu. La situation devient intenable. Aujourd’hui, le gouvernement veut que l’on effectue en priorité des tests sur les personnes symptomatiques. Or, c’est très subjectif. Certains viennent se faire tester alors qu’ils n’ont qu’un rhume. Et à moins de transformer nos secrétaires en médecin pour qu’elles détectent ce qui est de l’ordre des symptômes Covid ou du simple rhume, cette situation n’est plus possible. En plus de cela, nous subissons le comportement de patients vindicatifs tous les jours. C’est épuisant. Il est nécessaire de mettre en place une réelle politique de tests ciblés en direction des personnes contacts et des vrais symptomatiques. Travailler par ordonnance, main dans la main avec les médecins généralistes, serait par exemple une solution.
Concrètement, lorsqu’une personne est testée, que se passe-t-il ensuite ?
Une fois le test réalisé, on transfère l’écouvillon (tige utilisée pour faire le prélèvement, ndlr) vers ce que l’on appelle un plateau technique. C’est-à-dire l’endroit où se trouvent les appareils et dispositifs médicaux concourant au diagnostic. Enfin, un graphique se dessine et nous devons l’analyser pour comprendre, via des courbes, si le résultat est positif ou bien négatif.
Partout en France, des files d’attente sont visibles devant les laboratoires et les résultats d’une PCR se font parfois attendre pendant dix jours. Qu’est-ce qui prend autant de temps ?
Ces situations sont provoquées par le fait que nous sommes en tension sur les réactifs (substance chimique utilisée pour la détection du génome du virus par RT-PCR, ndlr). Depuis plusieurs mois, nos commandes sont soit confrontées à un retard sur les livraisons, soit à une réduction de la quantité demandée. Quand je commande 1.000 réactifs, je n’en reçois que 500, ou bien je les reçois trois semaines plus tard. C’est notre quotidien. De fait, la capacité des laboratoires à analyser les tests ne suit pas la cadence imposée par le gouvernement, qui applique une politique du chiffre avec ces « un million » de tests hebdomadaires.
Le manque de réactifs provoque ainsi un effet domino. Car sans ces produits, nous ne pouvons pas utiliser toutes nos machines. Ce qui fait que les résultats prennent du temps. Parfois même beaucoup trop pour qu’ils ne soient utiles à nos concitoyens. Certains laboratoires, notamment en Ile-de-France, dans les Bouches-du-Rhône ou encore en Occitanie ont même dû arrêter leur activité PCR, faute de réactifs.
On entend parler de cette pénurie de réactifs depuis le mois de mars. D’où vient cette tension ?
C’est très simple, nous sommes dans une situation de dépendance par rapport aux autres puissances. Très peu de réactifs sont fabriqués en France et en Europe. Nous devons ainsi aller nous fournir en Chine, en Corée du Sud et aux Etats-Unis. En période de crise, avec une demande mondiale en constante augmentation, cela met la France dans une position plus qu’inconfortable. D’autant que les Etats-Unis, qui sont parmi nos plus gros fournisseurs, ont une grosse stratégie de préemption, c’est-à-dire qu’ils privilégient les commandes nationales.
Il y a quelques jours, l’entourage d’Olivier Véran a nié en bloc toute pénurie de réactifs auprès de BFMTV, et a davantage pointé un problème d’organisation des laboratoires…
Je me suis étranglé à l’écoute de ces propos. C’est entièrement faux. Je peux vous dire que tous les biologistes de France qui ont entendu ça sont estomaqués. Et je n’imagine même pas le moral de ceux qui restent à faire des heures supplémentaires la nuit pour réduire les délais de tests… Je ne sais pas où le ministre a eu cette information, mais c’est dramatique. Quand on est ministre, il n’est pas possible de ne pas dire la vérité ou de la méconnaître. C’est très grave et je peux vous dire que la société des biologistes est choquée par ces dires.
Auprès de BFMTV, l’équipe d’Olivier Véran a visiblement assuré que « les fabricants de réactifs sont en capacité de fournir nationalement le double de tests par rapport la demande actuelle« .
C’est bien dommage de croire les industriels à majorité étrangère, lorsque l’on représente les intérêts des Français. En un coup de fil, n’importe quel biologiste de France lui aurait dit la même chose, à savoir que nous sommes en pénurie sur les réactifs. Il y a des endroits où la tension est plus forte, mais globalement la situation est la même partout. A tout casser, il doit y avoir un laboratoire en France qui n’est pas en tension sur les réactifs et respecte les délais de résultats.
D’après le président du syndicat des biologistes, François Blanchecotte, seuls 120 laboratoires sur 900 peuvent analyser les tests PCR, issus de la biologie moléculaire. Cela pose-t-il problème dans la réalisation massive de tests ?
Bien entendu. Le problème, c’est qu’en France nous avons du retard sur la biologie moléculaire. Cela n’a jamais été favorisé et mis à l’honneur. Jusqu’ici, c’est une technologie qui était très peu reconnue, notamment parce que très couteuse et souvent non remboursée. De fait, les laboratoires français n’ont jamais été trop tentés de s’en équiper et nous le payons aujourd’hui. En Allemagne, par exemple, c’est tout l’inverse, ce qui fait qu’aujourd’hui ils ont beaucoup moins de mal à gérer l’afflux massif des personnes à tester.
Vendredi soir, le gouvernement a donné son feu vert dans l’utilisation des tests salivaires, cela peut-il désengorger les laboratoires ?
Non, pas vraiment, car la méthode d’analyse des tests par réactif est la même. De plus ces derniers ne sont pas performants sur toute la population, ils ne détectent notamment pas les personnes asymptomatiques. Néanmoins, les tests antigéniques (ces tests rapides d’orientation diagnostic permettent en vingt minutes de savoir si le patient négatif ou positif ; néanmoins, si le patient est positif il doit être confirmé par un test PCR, ndlr) peuvent eux décharger les laboratoires, notamment si on les utilise sur les asymptomatiques qui viennent se faire tester pour une raison particulière (voyage, reprise du travail, réunion de famille, visite en Ehpad). Il faut cependant garder à l’esprit qu’il ne faut pas tester toute la population, car nous n’en avons pas les moyens. Il est nécessaire d’entamer une réelle politique de ciblage et d’arrêter de crier au dépistage massif.
Source : Marianne
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