Par le général Dominique Delawarde : 3 documents
Bonjour à tous,
Aujourd’hui, je vous propose 3 documents
En P1: vous trouverez une analyse de ma composition en date du 22 novembre sur les élections américaines dont le dépouillement est presque terminé.
Son titre : Élections américaines de mi-mandat 2022 : Bilan et conséquences
En P2 :Un texte argumenté et pertinent de Jean Luc Basle sous le titre : États-Unis : de l’apparente bienveillance à l’hégémonieJean Luc Basle est un fin connaisseur des USA où il a vécu 23 ans et où il a été directeur de City Group New York.
En P3 : Un témoignage ( 1 page) d’Yves Maillard, ancien attaché naval à Moscou que j’ai titré moi même Andreï Vladimirovitch Kozyrev : un traître à son pays.
Bonne lecture et à chacun de se forger son opinion, bien sûr.
Général Dominique Delawarde
Élections américaines de mi-mandat 2022 : Bilan et conséquences (par Dominique Delawarde le 22 novembre 2022)
Les résultats des élections de mi-mandat US ont constitué une surprise pour de nombreux observateurs et pour tous les instituts de sondage US, sans exception. Si les républicains ont bien pris, de peu, le contrôle de la chambre des représentants, ils n’ont pu s’emparer de celui du Sénat.
Les conditions du déroulement de cette élection et une très faible participation expliquent probablement des résultats moins pires que prévus pour les démocrates. Ces résultats ne seront pas sans conséquences sur les politiques étrangères et intérieures conduites par l’administration Biden.
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Les conditions de déroulement de ces élections présentent plusieurs aspects surprenants qui méritent quelques commentaires :
1 – Deux semaines après l’élection du 8 novembre, le dépouillement de l’élection n’est toujours pas terminé dans cinq des 435 circonscriptions pour la chambre des représentants.
Dans aucune autre grande démocratie occidentale le dépouillement ne prend autant de temps. Les résultats sont généralement connus dans les 24 heures dans toutes les élections législatives en Europe.
On me rétorquera qu’aux USA plusieurs élections et référendums locaux sont réalisés simultanément et que cela peut compliquer le dépouillement. C’est vrai, mais tout de même : deux semaines c’est long, très long. Que deviennent les bulletins pendant une aussi longue périodes. Où sont-ils entreposés? QUI est en charge du suivi et du contrôle de ces bulletins pendant une période aussi longue? Le contrôle citoyen bi ou multi partisan de la sincérité du scrutin peut-il être assuré 24h sur 24 et 7 jours sur 7 pendant deux semaines ? Par qui et comment ?
Il est clair qu’une telle durée de dépouillement, ajoutée à l’extension du vote par correspondance, offre des opportunités de fraude. Elle n’est pas digne d’une grande démocratie moderne.
2 – Des transferts de voix très «troublants» sont constatés dans la nuit même du scrutin, et après.
Un exemple ? Dans l’État de New York, 3 candidats sont en concurrence pour le Sénat:
Résultat le 9/11 à 1h41 du matin,
Résultat le 9/11 à 4h41 du matin,
Résultats le 22/11 à 0h00
En 3 heures de temps dans la nuit du 8 au 9 novembre, le score de Diane Sare, candidate indépendante, passe de 50 408 voix à 29 954 (???) Dans les onze jours qui vont suivre, le score de Diane Sare va encore se réduire de plus de 4 000 voix pour passer à 25 794 voix. Où sont donc passées ces voix qui s’évaporent au fil du temps ?
Ce résultat est d’autant plus étrange que la candidate Diane Sare avait réussi à présenter plus de 50 000 signatures de soutien de citoyens New-Yorkais pour être autorisée à concourir dans cette élection.
Cette candidate avait le handicap d’être contre l’OTAN et contre le soutien des USA qui alimente la guerre en Ukraine. Elle n’avait pas eu le moindre temps d’antenne à la télévision et n’avait pas été admise à participer aux débats avec les 2 autres candidats (démocrate et républicain). La grande démocratie US a donc tranché au cours d’une élection parfaitement équitable et transparente… (??)
A ce stade du constat sur la sincérité des élections aux USA, une citation de l’ex-secrétaire d’État et ancien directeur de la CIA Pompéo, néoconservateur et mondialiste, me revient naturellement à l’esprit, encore et toujours : «Nous avons menti, triché, volé, c’est comme si nous avions suivi des stages de formation pour apprendre à le faire.»
3 – Le lecteur sera surpris d’apprendre qu’en Pennsylvanie, le candidat démocrate Tony DeLuca, décédé le 9 Octobre 2022 a été élu à la chambre des représentant par 85% des voix le 8 Novembre 2022.
La grande démocratie américaine n’aurait pas eu assez de 30 jours pour modifier les bulletins de vote et avertir les électeurs. https://www.20minutes.fr/monde/4009455-20221110-etats-unis-elu-local-pennsylvanie-largement-reelu-mois-apres-deces
Cette bizarrerie US d’élire une personne décédée depuis un mois n’est pas une première. En 2018, un cas identique avait été observé au Nevada. Dennis Hof décédé à la mi-Octobre 2018 avait gagné un siège de sénateur le 7 Novembre 2018.
Aux USA, on ne se contente pas de faire voter les morts, on les élit.
4 –Dans l’État très disputé de l’Arizona, 20% des machines à voter sont tombées en panne le jour de l’élection, par une fâcheuse coïncidence, bien sûr. Le comté le plus peuplé, celui de Maricopa dans lequel les pannes de machines ont été les plus nombreuses, était comme en 2020, et par le plus grand des hasards, une fois de plus, l’objet des soupçons de magouille, forcément injustes, des électeurs républicains, forcément complotistes.
En Arizona, le résultat de l’élection au poste de gouverneur a surpris tous les instituts de sondage qui donnaient la républicaine Kari Lake gagnante. C’est la démocrate Katie Hobbs, actuelle Secrétaire d’État de l’Arizona, et à ce titre directement impliquée dans l’organisation des élections de son État, qui l’emporte de moins de 18 000 voix.
Bien sûr, Katie Hobbs a refusé la demande des républicains de prolonger le scrutin pour permettre aux électeurs, empêchés de pouvoir voter du fait des machines en panne) de pouvoir le faire manuellement. De nombreux électeurs excédés par l’attente sont rentrés chez eux sans pouvoir exercer leur droit. Décidément, organiser « au mieux » l’élection à laquelle on participe et des pannes de machine dans des bureaux judicieusement choisis, n’est ce pas une bonne solution pour l’emporter ? Après 2020, et maintenant 2022, le comté de Maricopa s’est donc taillé une solide réputation de champion des USA pour la magouille électorale.
Bien sûr, oser émettre le moindre doute sur la sincérité du scrutin relève du complotisme. Et pourtant, souvenons nous : https://www.letemps.ch/etait-une-1876-plus-grande-fraude-electorale-lhistoire-americaine
Passons aux résultats :
La participation aux élections à la chambre des représentants (équivalent de nos élections législatives) enregistre une baisse historique si l’on compare les votes populaires de 2022 et 2020 pour cette élection particulière qui concerne la totalité du territoire des USA. La même comparaison ne peut être faite pour le Sénat qui ne renouvelait qu’un tiers de ses effectifs, et pas le même qu’en 2020.
En 2022, alors que le dépouillement est quasiment terminé, 102 millions d’électeurs se seraient exprimés pour les deux grands partis (50 234 000 pour les candidats démocrates, 51 905 000 pour les républicains), auxquels on peut rajouter 6 millions d’électeurs ayant voté pour des candidats libertariens ou ayant eu leurs votes invalidés, soit 108 millions sur 242 millions d’électeurs inscrits pour une population US de 337 millions d’habitants.
Le taux de participation a donc été de l’ordre de 45% , à très peu près.
source : Bloomberg https://www.bloomberg.com/graphics/2022-us-election-results/house/
En 2020 les candidats démocrates «auraient» remporté 77 529 619 voix, alors que les républicains en auraient remporté 72 760 036 soit plus de 150 millions de votants pour les deux grands partis sur 239 millions d’électeurs inscrits pour une population US de 331 millions d’habitants. En tenant compte des votes pour les libertariens et des votes invalidés, le taux de participation à l’élection de 2020 pour la chambre des représentants était donc proche de 67,8%: https://en.wikipedia.org/wiki/2020_United_States_House_of_Representatives_elections
L’écart de participation entre 2022 et 2020 pour l’élection à la chambre des représentants est donc de – 22,8%, baisse historique de la participation entre deux scrutins consécutifs.
On me rétorquera que 2020 était aussi l’année des présidentielles et du match aux résultats controversés Trump-Biden, que ce match apparaissait existentiel pour les USA et que les médias US avaient fait très fort pour chauffer à blanc les électeurs contre Trump, d’où la participation record. Les candidats des deux grands partis à la chambre des représentants avaient obtenu un nombre de voix jamais atteint par leur parti respectif. Mais 2022 est aussi une année tout aussi existentielle pour les USA alors que Biden déclarait en octobre « la démocratie menacée » par les vilains patriotes républicains (de Trump), à l’heure où l’inflation à près de 8 % grignote comme jamais depuis longtemps le pouvoir d’achat des ménages US et à l’heure où la possibilité d’une guerre nucléaire USA-Russie est régulièrement évoquée par les politiques et les médias US.
Alors comment expliquer que les démocrates aient perdu plus de 27 millions de voix sur les 77 millions qu’ils « auraient » obtenues en 2020 et que les républicains en aient perdu 20 millions sur les 72 millions qu’ils auraient obtenues en 2020 ? Cette désaffection énormissime pour le vote démocratique concernant la chambre des représentants aux USA, alors même que la situation est grave et ne peut que se détériorer, paraît, pour le moins, très étrange.
Ce taux de participation 2022 à 45 % est-il vraiment plus bas que celui des dernières élections?
Ces taux étaient: en 2020, 67,8%; en 2018, 50,3%; en 2016, 54,7% (source Wikipédia)
Les états-uniens seraient-ils désenchantés par leur personnel politique et fatalistes au point de s’abstenir massivement, alors même que le pays est en difficulté (comme le font aujourd’hui les français si l’on regarde les dernières élections).
Le chiffre de participation record de tous les temps de 2020 était-il vraiment sincère ?
Le lecteur aurait-il entendu les médias mainstream US ou européens s’inquiéter ou même s’interroger sur l’ampleur de la baisse de participation en deux ans seulement et sur sa signification ?
Bloomberg se serait-il trompé en affichant le vote populaire sur son site de suivi en direct de l’élection US ?
S’il est vrai que les états-uniens n’ont jamais été des champions de la participation électorale, l’évolution en deux ans, alors même que la situation des USA peut être qualifiée de grave (dette, inflation, menace contre la démocratie selon Biden, guerre en Ukraine, crise énergétique… etc) est extrêmement surprenante.
Quelles conséquences probables pour les politiques intérieure et étrangère des USA ?
La perte de plus de 27 millions de suffrages démocrates en 2022 représente le tiers du potentiel électoral de 2020, ce qui n’est pas rien et qui est inquiétant pour la prochaine présidentielle de 2024. Le message de l’électorat démocrate est clair : « nous ne pouvons continuer à soutenir une administration qui préfère, avec nos impôts, s’occuper des problèmes des autres plutôt que des difficultés de notre propre pays ».
Il faudra donc, pour les néoconservateurs mondialistes démocrates de l’état profond US, arrêter une hémorragie d’électeurs bien réelle, mettre de l’eau dans leur vin et traiter tout ou partie des problèmes jugés essentiels par les électeurs US : L’inflation, le pouvoir d’achat, les coûts de l’énergie, l’insécurité, l’immigration, la famille …. Bref, ils devront remettre l’accent et l’argent du contribuable (et d’une dette en explosion continue) sur la politique intérieure.
Le soutien inconditionnel et sans limite à l’Ukraine va donc forcément se réduire rapidement et significativement pour finir par s’éteindre car ce n’est pas et n’a jamais été la priorité des électeurs états-uniens et que ceux ci l’ont fait savoir. L’Union européenne se retrouvera donc, tôt ou tard, seule avec le « bâton merdeux » ukrainien abandonné par les USA qui ont provoqué la crise sans être capables de la résoudre eux mêmes.
Que vont faire les vassaux européistes qui ont baissé d’un ton depuis qu’ils s’aperçoivent que, loin de s’affaiblir, la détermination et la puissance de l’action russe en Ukraine montent inexorablement en gamme alors que les difficultés de toute nature commencent à poindre à l’Ouest de l’Europe? Madame von der Leyen, monsieur Borrell, messieurs Macron et Scholtz commencent peut être à réaliser que l’Europe ne pourra éternellement vivre sur ses réserves et sur un endettement sans limite.
La partie d’échec s’achemine donc inexorablement vers sa fin que chacun souhaite la plus rapide et la moins meurtrière possible. Au printemps prochain, peut être plus tard, nous verrons qui aura remporté la mise et qui aura beaucoup perdu et sera durablement affaibli.
Sur un tout autre plan, les soutiens politiques et médiatiques néoconservateurs et mondialistes de Biden ont bien compris que le danger d’un retour de Trump, le patriote souverainiste, reste toujours bien réel. Que vont-ils et que peuvent-ils faire ?
D’abord cette administration Biden, relayée et soutenue par l’énorme majorité des médias, a d’emblée verrouillé les postes clefs lui permettant d’agir. Ils ont placé à ces postes clefs des membres de la diaspora néoconservatrice et mondialiste purs et durs. Aux affaires étrangères, Antony Blinken, à l’économie et au trésor Janet Yellen, à la sécurité intérieure Mayorkas et surtout à la Justice Merrick Garland. Ce dernier a la main sur le FBI, et il a également la main sur les mises en accusation pour tel ou tel délit ou crime, réel ou supposé, dont seraient soupçonnés les adversaires politiques de Biden.
Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, la perquisition du FBI de la résidence de Trump à Mar-a-Lago, le 9 août dernier, faisait évidemment partie de ce jeu pré-électoral des élections de mi-mandat visant à salir Trump, et donc le parti républicains tout entier.
Le résultat des élections ayant permis aux républicains de remporter la chambre des représentants et Trump ayant annoncé sa candidature pour 2024, le département de la Justice et le FBI qui en dépend, vont tout mettre en œuvre pour attaquer, et mettre en examen pour déstabiliser, tout ce qui est républicain, et en particulier Trump, avec la complicité active d’une forte majorité des médias mainstream US (et européens) sous contrôle de la diaspora néoconservatrice et mondialiste. Le but à atteindre, chacun l’aura compris, sera d’interdire tout retour de Trump au pouvoir.
On peut d’ailleurs déjà percevoir l’ingérence des médias mainstream dans les affaires du parti républicain en essayant de faire plonger Trump, responsable selon eux de l’échec de la prise de contrôle du Sénat, et de faire émerger et de promouvoir un challenger susceptible de l’emporter sur Trump dans la prochaine primaire républicaine, De Santis, gouverneur de la Floride.
Le dernier sondage Harvard Harris post élection de mi-mandat (16-17 novembre) sur la prochaine primaire républicaine donne encore et toujours Trump comme favori des électeurs républicains.
Trump: 46 %, De Santis: 28 %, Pence : 7 % et 5 autres candidats se partagent le reste.
Les attaques politiques et médiatiques anti-Trump tous azimuts et tous prétextes vont donc se multiplier dans les mois à venir et seront particulièrement féroces.
Mais de l’autre côté de l’échiquier, le président républicain de la chambre des représentants a clairement indiqué son objectif de faire mettre en examen la famille Biden, à commencer par le fils Hunter Biden, pour activités pouvant compromettre la sécurité nationale.
Les actions partisanes du ministère de la Justice et du FBI (Mar-a-Lago) seront eux aussi attaqués à la chambre des représentants US.
Cette véritable guerre civile qui ne dit pas son nom et qui s’exerce dans le champ politique ne va pas renforcer les USA et leur image dans le monde, bien au contraire. Le monde entier peut observer aujourd’hui les coups bas, les mensonges et les trahisons qui imprègnent désormais la politique intérieure et la politique étrangère des États-Unis d’Amérique.
A bien observer le monde politique US aujourd’hui on pourrait dire que la devise des leaders de ce pays est en train d’évoluer de l’ancienne maxime: «In God we trust» vers une devise beaucoup plus ancienne attribuée à César lui même «Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent» ou alors vers une vérité mise à l’honneur par Pompeo, ex Secrétaire d’État US et ex patron de la CIA, un néoconservateur mondialiste pur et dur: «Nous mentons, nous volons, nous trichons, (nous tuons), c’est comme si nous avions reçu toute une éducation pour apprendre à le faire».
Le problème qui se pose aujourd’hui pour les USA, c’est que la Russie, soutenue par un nombre croissant de pays, refuse de se laisser intimider, refuse la vassalité et se bat aujourd’hui pour la multipolarité contre toute forme d’hégémonie imposée par le clan US-UE-OTAN.
Dominique Delawarde
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États-Unis : de l’apparente bienveillance à l’hégémonie
Jean-Luc Baslé – 21 novembre 2022
L’indifférence de Washington à l’égard des Européens qui souffriront du froid cet hiver en raison du conflit ukrainien et du sabotage d’un gazoduc en mer Baltique, sans parler de la destruction de leur économie1, en a surpris quelques-uns. C’est ignorer la nature des relations internationales qui fait peu de cas du sort des peuples et plus encore l’évolution profonde de la politique américaine ces dernières décennies qui se résume en deux mots : néoconservatisme et néolibéralisme.
Ces néologismes sont entrés dans le vocabulaire courant dans les années 1980/90 sans que leur impact ne soit perçu initialement. Avec le recul du temps, il est plus facile de voir qu’il s’agit d’idéologies à l’origine d’un changement profond de la politique américaine. Le néoconservatisme est l’affirmation d’une hégémonie décomplexée. Le néolibéralisme est un empiétement du marché sur les prérogatives de l’État. Cette mutation de la politique américaine est l’une des clés de compréhension des évènements du monde d’aujourd’hui.
Dès le débarquement, les États-Unis ont donné d’eux-mêmes une image bienveillante, véhiculée par cette image du GI’s distribuant du chocolat aux enfants tout au long de son avancée vers l’Allemagne. Le Plan Marshall d’avril 1948 concrétisa cette image, et rendit les Européens à jamais reconnaissants de cette manne inattendue qui sauvait certains d’entre eux de la famine et ouvrait des perspectives d’avenir inespérées.
De fait, avec une énergie retrouvée, les Européens connurent une ère de croissance aussi imprévue que bienvenue, qualifiée de Trente Glorieuses en France et de Miracle allemand outre-Rhin. Hollywood conforta ce message d’espoir en présentant une Amérique heureuse et sûre d’elle-même à une Europe toujours traumatisée par les guerres passées, et inquiète de la menace soviétique. Le traité de l’Alliance atlantique, signé en avril 1949, la rassura en étendant le parapluie nucléaire américain à l’Europe de l’ouest. Les Européens pouvaient désormais jouir en toute quiétude de leur prospérité retrouvée que le génie technologique américain renforçait.
Encouragés par le grand frère américain, les Européens créèrent la CECA, Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951 – embryon de ce qui allait devenir par étapes successives l’Union européenne, instituée par le Traité de Maastricht de février 1992. Le pathétique effondrement de l’Union soviétique renforça ce sentiment chez les Européens que l’Histoire était de leur côté, et qu’en conséquence s’ouvrait devant eux une ère de prospérité et de bonheur que rien ne pouvait arrêter. C’était méconnaître la nature du grand frère américain. Cette méconnaissance est incompréhensible compte tenu de ses nombreuses actions, interférences et guerres dans le monde depuis 1945, y compris en Europe, dénoncées par de nombreux auteurs.
Les Européens ont oublié que dès avant leur création, les États-Unis s’étaient donnés pour mission de conduire le monde. A preuve le discours de John Winthrop de 1630 dans lequel il déclare « nous sommes la cité sur la colline », celle qui éclaire et guide le monde. Ou encore, cette « destinée manifeste » contenue dans cette affirmation de John Sullivan en 1839 que « l’Amérique a été choisie » pour diriger le monde. Choisie par qui ? Par Dieu, bien entendu. C’est une usurpation du message biblique. Quoiqu’il en soit, cette conviction d’être le peuple choisi traverse les siècles pour venir jusqu’à nous. Henry Luce, fondateur et éditeur de Time Magazine, écrit dans un éditorial de février 1941 que le 20ème siècle est le siècle de l’Amérique.
Mais c’est en février 1992, deux mois seulement après la disparition de l’Union soviétique, que se produit la grande transformation avec la publication d’un document intitulé « Defense Planning Guidance »2 dans lequel il est écrit que les États-Unis ne supporteront pas qu’une autre nation les défie à nouveau comme le fit l’Union soviétique pendant la Guerre froide.
C’est l’affirmation d’une ambition hégémonique que le Projet pour le nouveau siècle américain reprendra sous la plume de Robert Kagan dans un document intitulé : « Reconstruire les défenses de l’Amérique », publié en septembre 2000, dans lequel l’auteur souhaite qu’un nouveau Pearl Harbor donne aux États-Unis l’occasion d’affirmer leur puissance. Certains verront dans le 11 septembre 2001 la réalisation de ce souhait.
La Guerre contre le terrorisme de George W. Bush et son affirmation péremptoire : « vous êtes avec nous ou avec les terroristes », ou la guerre russo-américaine par Ukraine interposée ou encore le conflit sino-américain au sujet de Taïwan doivent s’interpréter à la lumière de cette volonté hégémonique. Le néoconservatisme – nom donné à cette philosophie dominatrice – est le fil conducteur de la politique étrangère américaine depuis la dernière décennie du 20ème siècle.
Son pendant économique est le néolibéralisme. Le capitalisme est consubstantiel à l’Amérique. L’objet premier du capitalisme est l’enrichissement. Dans la Déclaration d’indépendance, Thomas Jefferson écrit que l’homme est doté de droits inaliénables dont « la poursuite du bonheur ». Ce mot – bonheur – est synonyme de richesse. L’un est inconcevable sans l’autre pour les Américains. Il faut être riche pour connaître le bonheur. La conquête de l’Ouest est une course à la richesse, comme en témoignent les ruées vers l’or du 19ème siècle. En secouant l’Amérique dans le tréfonds de son âme, la Grande Dépression de 1929 altère temporairement cette vision du bonheur et contribue à une socialisation du capitalisme américain grâce aux réformes rooseveltiennes, tel que le National Recovery Act2, le Glass-Steagall Act3, le Social Security Act4, la création de la Tennessee Valley Authority5, etc.
Cette vision de la politique économique, baptisée keynésienne du nom de l’économiste John Maynard Keynes, sera théorisée par l’américain Alvin Hansen,2 et diffusée par ses élèves de l’université d’Harvard dont Paul Samuelson et James Tobin. Accusée d’être à l’origine de l’inflation des années 70, elle cédera la place au monétarisme de Milton Friedman, professeur à l’université de Chicago. Paul Volcker en sera l’un des disciples les plus illustres quand, gouverneur de la Réserve fédérale, il mit fin brutalement à la stagflation – combinaison d’inflation et de stagnation – qui minait l’économie américaine en relevant sans préavis le taux d’intérêt au jour le jour pour le porter à 20% le 7 janvier 1981. L’effet fut immédiat. L’inflation s’effondra en quelques mois. Cette politique fut conduite sans égard aux effets qu’elle pouvait avoir sur le reste du monde où elle conduit à la déconfiture du Mexique en août 1982.
Le monétarisme est un élément constitutif du néolibéralisme. Il n’en est pas le fondement. Le marché en est l’assise. Il structure et régit la société. L’État lui est soumis.
Ses fonctions régaliennes ne sont là que pour servir le marché dans sa finalité : l’enrichissement d’une minorité. La concurrence, loin d’être encouragée, comme le veut la mythologie libérale, est contenue par des lois et pratiques qui facilitent l’émergence de monopoles et d’oligopoles, comme celui bien connu des Seven Sisters – les sept plus grandes sociétés pétrolières occidentale – qui contrôlaient, et contrôlent encore pour partie, le marché pétrolier.
Le néolibéralisme est le capitalisme dans sa forme la plus pure. C’est en son nom que fut instituée l’indépendance des banques centrales dans les années 1980, avant que ne s’impose progressivement son complément naturel la liberté de mouvements de capitaux, puis des marchandises et des services avec la création de l’Organisation mondiale du commerce en avril 1994 – complément du système de Bretton Woods d’août 1944.
C’est au nom du néolibéralisme que fut abrogé le Glass-Steagall Act qui séparait le secteur bancaire en banques de dépôts et banques d’investissement. Cette abrogation sera à l’origine de la crise des subprimes de 2008 qui conduit le monde au bord d’un gouffre économique proche de celui de 1929. Tout comme le « Defense Planning Guidance » marque l’entrée des États-Unis dans l’ère néoconservatrice, le Graham-Leach-Bliley Act de décembre 1999 qui abroge et remplace le Glass-Steagall Act, marque l’entrée des États-Unis dans l’ère néolibérale.
Néoconservatisme et néolibéralisme ont imprégné les instances politiques et administratives dans les années 80, puis se sont imposées comme lignes directrices de la politique étrangère américaine dans les années 90. De bienveillante dans les années d’après-guerre, cette politique a désormais un double objectif : la domination et l’enrichissement. Comme le montre les évènements que nous vivons actuellement, nous sommes loin de l’image idyllique du GI de 1944 et de ses barres de chocolat. Cette bienveillance, plus apparente que réelle, qui avait séduit jadis les Européens, a fait place à une hégémonie tous azimuts, tant politique qu’économique. Cette mutation de la politique américaine n’est pas l’effet du hasard mais le fruit d’une pensée structurée. Noam Chomsky, linguiste et intellectuel engagé, la décrit comme une « dérive proto-fasciste capitaliste sauvage ».2
1 Germany’s Position in America’s New World Order, Michael Hudson, Nov. 2, 2022
2 Les Crises, 19 novembre 2022.
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Andreï Vladimirovitch Kozyrev : un traître à son pays
par Yves Maillard, ancien attaché naval à Moscou
A propos d’ Andreï Vladimirovitch Kozyrev, ministre des Affaires Étrangères de 1990 à 1996, dont il est également question dans l’interview de Maria Zakharova. J’étais alors en poste à Moscou.
Pierre Morel, notre ambassadeur, qui le connaissait bien et le voyait souvent, m’avait confié un jour que c’était lui le « préféré » de Boris Eltsine. C’était un apparatchik « pur jus » comme le système soviétique avait su en produire. On disait que c’était lui le dauphin désigné (Je l’ai écrit dans un article de la Revue de la Défense Nationale paru en octobre 1997, sous le pseudo de Claude Monier, commun aux officiers alors en poste à la DRM).
Il a été brutalement écarté du pouvoir, et sans doute pas pour son américanophilie outrancière et même un peu ridicule. A l’époque ce tropisme ne choquait personne en Russie. C’est Evgueni Primakov, l’homme clé des services de sécurité russes (KGB, SVR, FSB…) , un incorruptible, qui est alors allé voir Eltsine pour lui dire qu « il y avait un problème avec Kozyrev ». En fait une grosse casserole qui risquait de faire scandale et le rendait inapte à la poursuite de ses fonctions au gouvernement (Il restera néanmoins député de Mourmansk à la Douma) .
Eltsine était sur sa pente descendante, au bout du rouleau. Il était embarrassé. Il fallait non seulement remplacer Kozyrev en tant que ministre, mais aussi et surtout en tant que dauphin prévu. Il ne faisait pas véritablement confiance à l’ensemble des hommes politiques qui l’entouraient qu’il soupçonnait d’avoir été prêts de le lâcher lors de la tentative de coup d’État menée par le vice-président, le général Routskoi, en octobre 1993. Il commença par nommer Primakov ministre des affaires étrangères, ce que ce dernier n’avait pas vraiment recherché, puis premier ministre.
Celui-ci crut un moment en sa propre destinée d’homme d’État mais, ayant planté les jalons des indispensables réformes politiques dont le pays avait un besoin urgent et qui feront le succès politique du successeur de Eltsine, cela lui valut l’hostilité farouche des oligarques en train de piller le pays et dut renoncer à cette perspective. Sa tâche fut alors de trouver un remplaçant à Eltsine capable de cette nécessaire reprise en main du pays. Il est tout naturellement allé le chercher dans le seul monde qu’il connaissait bien, et non plus dans le monde politique dont il se méfiait, celui des services de sécurité.
Et c’est ainsi qu’ a été sorti du chapeau : Vladimir Poutine ! Plus jeune, plus mordant, jamais compromis, mais tout aussi déterminé.
Poutine, lui aussi, à ses débuts, a été un incorruptible, pur et dur. Il a bâti sa popularité, solide et durable, dans toutes les classes de la société russe, dans toutes les factions de la vie politique, en mettant un terme au pillage du pays par les oligarques et en mettant en prison ceux qui n’avaient pas pu se carapater à temps à l’étranger.
Ceux qui pensent aujourd’hui qu’avec la guerre en Ukraine Poutine va vite être déstabilisé à l’intérieur feraient bien de se souvenir de cela.
Au cours de ses années à la tête du MID (MAE russe) Kozyrev a constamment oscillé entre une ouverture à l’Ouest convaincue, une occidentalisation,et la continuité dans l’affirmation d’une puissance russe de premier plan rigoureusement indépendante, grand écart vite devenu impossible à tenir. Il est actuellement aux Etats-Unis d’où il tire à boulets rouges sur Poutine. Il a finalement choisi son camp. Les Américains à l’issue de cette guerre en Ukraine qu’ils ont provoquée rêvent-ils de faire exploser politiquement la Russie et d’y mettre à la tête un homme à eux ? Comme ils l’ont fait à Kiev ? Il y a des chances que leur homme-lige soit alors Andreï Vladimirovitch Kozyrev. S’ils y arrivent.
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