« On peut avoir la double casquette d’avocat et de militant » : les propos du bâtonnier de Paris interpellent la profession
Interrogé sur la position de l’avocat Juan Branco dans l’affaire Griveaux, mercredi matin, le bâtonnier de Paris Olivier Cousi a estimé qu’un « avocat ne peut pas à la fois être militant » et « appuyer les actions de son client ».
Olivier Cousi, bâtonnier de Paris, le 17 février 2020. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
« Je ne vois pas pourquoi on ne peut pas être avocat et militant », assure Muriel Ruef, à franceinfo. L’avocate au barreau de Lille ne « s’explique pas les propos du bâtonnier de Paris ». « Un avocat ne peut pas à la fois être militant sur une cause et appuyer les actions, ou laisser entendre qu’il peut appuyer les actions, de son client, parce que ça ne lui donne pas la distance nécessaire pour pouvoir le défendre », a déclaré Olivier Cousi, au micro de France Inter, mercredi 19 février.
Le bâtonnier s’exprimait sur les liens entre l’avocat Juan Branco et son client Piotr Pavlenski, mis en examen dans l’affaire Griveaux. La veille, Olivier Cousi avait estimé que « l’absence de distance » entre les deux protagonistes ne permettait pas à Juan Branco d’assurer la défense de l’activiste russe. L’avocat avait donc renoncé au rôle de conseil dans ce dossier. Les paroles du bâtonnier on fait réagir de nombreux avocats, notamment sur Twitter.
« On a aussi le droit à la liberté d’expression »
« On peut avoir la double casquette d’avocat et de militant », rappelle Dominique Noguères, ancienne avocate et vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), contactée par franceinfo. « On a tous, à un moment donné, pris des positions sur des dossiers », fait remarquer celle qui s’est toujours présentée comme « avocate militante ». Muriel Ruef le pense aussi : « On a aussi le droit à la liberté d’expression. Dans toutes les branches du droit, il y a des militants. » L’avocate, notamment spécialisée en droit de l’environnement, ne cache pas « avoir orienté [son] activité du côté des défenseurs de la nature et de l’environnement ». « Je défends des gens dont je partage les idées », ajoute-t-elle.
Robert Badinter, Thierry Lévy… De nombreux avocats se sont illustrés par leurs engagements sur des sujets politiques, comme l’abolition de la peine de mort. « Mais ils étaient dans un engagement militant de principe », nuance Jean Castelain, auprès de franceinfo.
On peut être militant, engagé, mais avoir la distance nécessaire pour défendre [son client], sinon on ne peut pas le défendre utilement.Jean Castelainà franceinfo
« Il peut avoir une adhésion à la cause, mais l’avocat ne doit pas prendre part à l’action », précise même Henri Leclerc, ancien président de la Ligue des droits de l’homme, à franceinfo. Pour Jean Castelain, le bâtonnier questionne plus la proximité entre les deux hommes que le militantisme du jeune avocat. « Il dit à Juan Branco : ‘tu n’as pas la distance nécessaire pour assurer les intérêts du client. Donc, l’intérêt du justiciable c’est que tu ne sois pas son conseil' », résume-t-il.
La « nécessaire distance » avec le client
Un avocat ne peut-il pas défendre un client dont il est proche ? Si, assure Muriel Ruef.
Les politiciens se font souvent défendre par des avocats avec qui ils boivent le champagne. Cela ne regarde pas le procureur ou le juge.Muriel Ruefà franceinfo
Pour Dominique Noguères, la question est plus complexe. « Moi, je n’ai jamais voulu défendre des amis, parce qu’on n’est pas très objectif », détaille-t-elle. « Si je suis dans une relation de proximité avec mon client, je ne peux plus le défendre, car quand je prends la parole on ne sait pas si c’est le conseil ou le militant qui parle. C’est un problème déontologique », considère Jean Castelain.
« Notre déontologie doit nous guider »
« Il n’y a pas en l’état de conflit d’intérêts », a reconnu Olivier Cousi, lundi matin. Dès lors que cette limite légale n’est pas franchie, « ce n’est pas au bâtonnier de dire si l’avocat a la distance nécessaire. C’est à l’avocat et au client de le dire », estime Muriel Ruef. « L’avocat est maître de sa relation avec son client, mais il y a un contrôle déontologique », tempère Jean Castelain. Une appréciation dite « in concreto », au cas par cas. « Ici, il a considéré qu’au vu des éléments du dossier, ce n’était pas compatible. C’est son travail de bâtonnier », martèle-t-il. Dans cette situation, « le bâtonnier donne un conseil, Juan Branco n’a pas l’obligation [de le suivre]« , précise Henri Leclerc.
Contacté par franceinfo, le bureau du bâtonnier indique que « les termes ont parfois été mal compris ». Olivier Cousi a tenu à « dissiper toute ambiguïté ». Il concède que « les avocats peuvent évidemment faire preuve d’engagement et doivent pouvoir exprimer leurs convictions en toute liberté ». Ajoutant : « Notre déontologie doit cependant nous guider en toutes circonstances. »
Source : France TV Info
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