« On nous demande de ne pas remettre en cause la gestion de la crise » : des fiches pédagogiques alarment des syndicats d’enseignants
Le ministère de l’Education nationale a publié, lundi 4 mai, une série de recommandations pour accompagner les enseignants dans la réouverture des écoles. Si ces documents n’ont pas de valeur réglementaire, certaines formulations font bondir certains syndicats.
réparation de la reprise des cours dans une école élémentaire de Villeurbanne (Rhône), le 11 mai 2020. (JOEL PHILIPPON / MAXPPP)
Beaucoup d’enseignants se seraient bien passés de ces conseils. Sur la plateforme Eduscol, le ministère de l’Education nationale a mis en ligne lundi 4 mai, plusieurs « documents de référence et des recommandations pédagogiques qui ont pour objectif d’accompagner les professionnels dans le processus de reprise des cours ».
Santé des élèves, guide pour expliquer la crise du coronavirus aux plus jeunes… Ces textes, qui couvrent des thématiques variées, « soulignent les points de vigilance à porter à certaines situations et l’importance à accorder à la parole des élèves ».
« On a l’impression que toute forme de critique est interdite »
Sur les réseaux sociaux, ces documents, rédigés par la direction générale de l’enseignement scolaire, ont fait grincer des dents. Cible principale des critiques : une fiche intitulée « Ecouter et favoriser la parole des élèves » (document PDF).
Dans ce texte de trois pages, on peut notamment lire que « des enfants peuvent tenir des propos manifestement inacceptables », sans donner plus de précisions. Le document mentionne ensuite que « la référence à l’autorité de l’Etat pour permettre la protection de chaque citoyen doit alors être évoquée, sans entrer en discussion polémique ». Des recommandations qui inquiètent les syndicats d’enseignants. « On nous demande de ne pas remettre en cause la gestion de la crise », estime Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire, à franceinfo.
« Le problème de ces fiches, c’est qu’elles sont de nature très différentes. Et certaines posent problème idéologiquement », regrette Frédérique Rolet, secrétaire nationale et porte-parole du Snes-FSU, syndicat national des enseignements de second degré, auprès de franceinfo. On a l’impression que toute forme de critique est interdite ».
Francette Popineau souligne par ailleurs que ce document reprend certaines formulations présentes dans une fiche pédagogique parue après les attentats de Charlie Hebdo, en 2015, qui mentionne déjà que « l’autorité de l’Etat pour permettre le ‘vivre ensemble’ doit être évoquée, sans entrer en discussion polémique avec les élèves concernés ». La secrétaire générale du Snuipp-FSU regrette la similarité des termes employés, soulignant les contextes différents dans lesquels ces deux textes ont été publiés : « On ne peut pas comparer la situation sanitaire actuelle avec une situation terroriste. »
On nous dit : ‘Vous êtes là pour rappeler que l’Etat a fait son travail’.Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-FSUà franceinfo
Contacté par franceinfo, le ministère de l’Education nationale, assure que ces documents ont simplement pour objectif « d’accompagner les enseignants, dans cette situation inédite, en leur proposant des tests d’évaluation pour savoir où les élèves en sont et comment les accompagner sur ces deux prochains mois ». Quant au contenu des textes, il ajoute, dans un mail adressé à franceinfo, que les « propos inacceptables » mentionnés dans l’une des fiches peuvent être de « plusieurs natures » comme ceux « manifestant le refus des gestes barrières » ou encore « relayant des théories complotistes ».
Interrogé sur la formulation du paragraphe mentionnant la possibilité d’évoquer « l’autorité de l’Etat (…) sans entrer en discussion polémique », le ministère n’a pas apporté d’éclaircissements.
Des fiches d’accompagnement non contraignantes
La présence d’autres fiches sur les « risques de dérives sectaires« et de « replis communautaires« (documents PDF) interpelle également les syndicats d’enseignants. Dans cette dernière, il est indiqué en introduction que « la crise du Covid-19 peut être utilisée par certains pour démontrer l’incapacité des Etats à protéger la population et tenter de déstabiliser les individus fragilisés. Divers groupes radicaux exploitent cette situation dramatique dans le but de rallier à leur cause de nouveaux membres et de troubler l’ordre public ». Un « amalgame » selon Francette Popineau qui laisserait à penser que « le communautarisme et la façon de comprendre cette crise sanitaire ont un rapport ».
Le ministère de l’Education nationale indique que ces fiches et le choix de ses thèmes sont consitués à partir « des remontées des académies, de réunions avec des associations ». Il cite également le rôle de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui alerte « sur un risque de récupération des peurs par certains individus ou groupes qui prônent des idées en dehors des consensus scientifiques, voire pouvant présenter un danger », sans donner davantage d’indications sur la nature de ces groupes.
Le ministère de l’Education nationale rappelle toutefois que ces fiches sont des recommandations qui n’ont pas de valeur injonctive : « Ce sont des fiches d’accompagnement, des outils. L’idée c’était de ne pas laisser les enseignants seuls. » Contrairement aux circulaires, ces documents n’ont pas de portée réglementaire, comme le confirment les syndicats d’enseignants contactés par franceinfo. « Elles ne peuvent pas contrevenir à la liberté pédagogique des enseignants », rappelle Frédérique Rolet.
Source : France TV Unfo
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