Nouvelle-Calédonie : Des manifestations tournent à l’émeute
Tension extrême autour d’un dossier explosif.
La journée d’hier a été marquée par d’extrêmes tensions, comme à Païta, et de graves violences, au Mont-Dore. (©LNC)
On aurait espéré ne plus jamais revoir ces images du passé. Et pourtant, de Païta à Bourail, deux camps se sont retrouvés pour un face-à-face où les nerfs ont été mis à rude épreuve. D’un côté le drapeau bleu-blanc-rouge, de l’autre le drapeau du FLNKS. Les tensions autour du dossier ultrasensible du rachat de l’usine du Sud se sont propagées à la quasi-intégralité du pays et, mercredi encore, la journée a été marquée par des incidents, des blocages et, parfois, du dialogue entre les deux blocs. Comme à Païta, où des contre-manifestants, appelés à se mobiliser par Harold Martin et dont certains portaient des gilets tactiques et des armes à feu, se sont, dès les premières lueurs du jour, emparés de la sortie nord du village (lire en page 4), retirant de la route des carcasses de voiture pour rétablir la circulation.
Le barrage du pont d’Ondemia avait certes changé de mains mais les anti-Trafigura se tenaient pas bien loin. Le dialogue s’est ensuite installé avec le maire Willy Gatuhau et les premiers bloqueurs. Conséquence d’une reprise des discussions, les contremanifestants ont tenu leur promesse et se sont retirés des lieux. La gendarmerie a alors pu nettoyer la voie express, vers 16h30, dégageant une dizaine de carcasses. Les barrages au col de la Pirogue et au niveau de la tribu de Bangou devant, eux aussi, cesser avant jeudi midi.
À Saint-Louis, un drone pour épier les gendarmes À quelques kilomètres de là, les fauteurs de troubles qui ont affronté les forces de l’ordre dans les rues de Nouméa, lundi, étaient déférés au palais de justice pour y être jugés, « un traitement judiciaire réactif et adapté », a affirmé le procureur de la République, Yves Dupas.
C’est au Mont-Dore que la tension ne s’est finalement jamais estompée où la RP1 est toujours impraticable devant Saint-Louis. La nuit de mardi à mercredi, émaillée d’affrontements violents entre manifestants et gendarmes, a été difficile à vivre pour les habitants de La Coulée, dont certains, excédés, ont décidé de s’armer. D’autres, sont restés pendus à leurs téléphones pour confier en temps réel, sur les réseaux sociaux, leurs témoignages de ce qu’ils voyaient ou entendaient. La station Mobil a été pillée et incendiée, tout comme l’agence OPT, et un pompier blessé par un projectile : ces nouvelles scènes de guérilla urbaine ont poussé plusieurs dizaines de membres de l’Association citoyen mondorien à ériger un contre-barrage au niveau de Rocheliane et sur la RP3 (direction Yaté) dans la matinée. Les membres de l’Ican et du collectif « Usine pays » ne se sont pas pour autant démobilisés, déroulant des banderoles aux Jardins de Bélep et au col de Mouirange, dont l’accès a été bloqué.
Des échauffourées ont éclaté, à l’embranchement de Plum et de Yaté, entre les deux camps. Sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ce qui semble être un contre-manifestant ouvre le feu, en l’air, à plusieurs reprises avec un fusil, sans que l’on sache si ces tirs ont occasionné des blessures.
En fin de journée, les blindés de la gendarmerie – les fameux VBRG – ont pris position à Thabor. Avant d’y accéder, ils en ont profité pour déblayer les axes autour du rond-point de La Conception et de la voie de dégagement est (VDE). Un axe qui a finalement été de nouveau fermé à la tombée de la nuit. Laissant présager une nouvelle nuit d’affrontements.
La situation semble être en revanche dans l’impasse à la tribu de Saint-Louis. Cailloux contre grenades lacrymogènes. Le vent, qui rabat les fumées vers Saint-Michel, est par moment défavorable aux gendarmes mobiles qui maintiennent leur position coûte que coûte.
Les casseurs utilisent même un drone pour repérer leurs mouvements. La rumeur d’un gendarme blessé par balle enfle durant la matinée. Puis est rapidement étouffée.
La Brousse paralysée
La Brousse a aussi été gagnée par cette ambiance particulière, barrages contre barrages. Ceux, filtrants, de l’Ican et du collectif ont grossi d’heure en heure du côté de Boulouparis, notamment au carrefour avec la transversale vers Thio, à La Foa, où les écoles publiques ont été fermées. C’est seulement à 18h30 que le carrefour de Fonwhary (direction Farino, Sarraméa et Canala) a été entièrement libéré par la centaine de manifestants. Sur la commune de Bourail, les deux blocs se partagent toujours le village.
Au Nord, les anti-Trafigura bloquent par intermittence la circulation (sauf les véhicules d’urgence et les candidats au brevet). De l’autre côté, camions, tractopelles, palettes et roues sur le bord de la route. Les actions paralysent également les sites miniers. Toutes les mines SLN sont bloquées et d’autres compagnies souffrent également des blocages. L’usine de Doniambo, à Nouméa, tourne normalement mais aucun minéralier n’a pu décharger sur zone.
La journée de jeudi s’annonce, à nouveau, sous haute tension. Depuis l’annonce de la signature entre Vale et Prony Resources, l’Ican ne s’est pas exprimé publiquement. Ses prises de position et le mot d’ordre qu’il donnera à ses militants seront décisifs pour la suite de ce dossier explosif.
« Ils arrivaient par vagues » : récit d’une nuit d’insurrection
Les coups de feu, les détonations, les cris et les insultes l’ont sorti de son lit en pleine nuit. Craig, un habitant du Vallon-Dore, a décidé d’« occuper le terrain » dans la nuit de mardi à mercredi, parce qu’il en avait « assez » de « subir » ce que les habitants du Sud vivent depuis plusieurs jours. « Les blocages de la RP1 ? Ça fait partie de la culture des Mondoriens », confie le jeune homme, « exaspéré comme tout le monde ». Quand il arrive au niveau du rond-point de La Coulée, « c’était vraiment l’anarchie ! ». Avant de partir de chez lui, il avait pris le soin de s’armer. Un fusil calibre 16, « avec des petits plombs pour le gibier », « on sait jamais ». La nuit d’affrontements ne faisait alors que commencer.
Les pompiers pris pour cible À quelques dizaines de mètres de lui, de jeunes hommes cagoulés, principalement, viennent de piller, saccager et incendier la station-service Mobil du Casino. Les employés ont dû quitter précipitamment la boutique sous les menaces. Les deux vigiles étaient impuissants. « Ils sont venus en masse, ça arrivait par vagues. Les gendarmes n’ont pas réussi à les bloquer, ils étaient dépassés, il leur manquait des munitions » de grenades lacrymogènes et de Flash-Ball.
Les pompiers sont, eux aussi, pris pour cible, canardés de cailloux dont l’un explosera la vitre du camion pour s’écraser sur un sapeur, qui a été légèrement blessé. « Je ne comprends pas comment un site considéré comme stratégique par le haussariat, dans une zone à problème bien connue, en période de tension croissante depuis des jours, s’est retrouvé gardé par seulement quatre gendarmes qui, malheureusement, ne pouvaient rien faire. Merci à eux et aux pompiers laissés à eux-mêmes », a réagi le responsable de la station sur les réseaux sociaux.
Dans la nuit noire, alors que les coups de feu terrorisent le quartier, Craig est rejoint par plusieurs Mon-doriens, certains armés de pistolets gomme cogne, venus prêter mainforte aux forces de l’ordre.
Les « assaillants », agressifs et déterminés, sont environ une vingtaine, puis, au plus fort de la nuit, une soixantaine. Ils mettent le feu à l’agence OPT et à deux de ses véhicules et utilisent le parking et le parc de La Coulée comme point de repli. Les télécommunications mobiles, fixes, et les transmissions hertziennes sont mises hors service.
Deux pas en avant, un pas en arrière. Les lignes d’opposition bougent. Il est plus d’une heure du matin et entre les opposants à Trafigura, Craig et les Mondoriens, le « face-à-face » est étouffant, crispant. « On a décidé d’avancer vers eux pour les faire reculer. Un pick-up était à notre côté, en marche arrière, au cas où il aurait fallu vite monter dans la benne. Nous étions une quinzaine au début, on s’est retrouvé à deux, à la fin de notre percée. Mais nous avons réussi à les repousser », raconte le témoin.
Ce mécanicien dit qu’il n’aurait « pas hésité à tirer si jamais je m’étais senti en danger. Il ne fallait pas qu’ils fassent un mètre de plus. C’est malheureusement notre seul moyen ».
Craig n’est désormais pas prêt de « lâcher », espérant que davantage de Mondoriens grossissent les rangs des contre-manifestants. « Il faut faire des équipes de dix patrouilleurs et tenir notre barrage. En face, ce sont des jeunes déterminés », témoigne-t-il, persuadé qu’il n’y avait pas que des habitants de Saint-Louis mais aussi « des mecs de Bélep ». Craint-il que la situation, déjà explosive, ne déraille complètement ? « Ça a déjà dérapé. Ils arrivent avec des fusils, ils détruisent tout. Il faut une réponse de l’État, une réponse de la justice. Nous sommes excédés. Et bien sûr que je crains une escalade de la violence ».
À trois heures du matin, Craig rentre chez lui, « les gendarmes ont réussi à prendre le dessus et à les faire reculer de 400 mètres derrière le pont ». Au réveil, les quelques milliers de Mondoriens bloqués ont découvert le spectacle d’un quartier sens dessus dessous après une nuit émaillée de scènes de guérilla urbaine.
À Païta, le pont de la discorde
Les anti-manifestants et les bloqueurs se sont opposés, sans s’affronter, toute la journée à Païta. De l’un et de l’autre côté du pont de la Savexpress, les deux camps ne lâchaient rien. Les premiers sont arrivés dès 4 heures du matin pour « prendre leurs positions », des points de contrôle qu’ils ont patiemment gardés toute la matinée.
La Savexpress a séparé la Nouvelle-Calédonie en deux, mercredi matin. De part et d’autre du pont de Païta, sur la route territoriale, manifestants anti-Trafigura et contre-bloqueurs ont campé derrière leurs barricades. « Il y a des airs d’Événements », soufflaient certains. Les débordements ont commencé dès minuit, les jeunes des tribus du littoral ont incendié des buissons en hauteur. Vers 4 heures, les contre-manifestants, chauffés à blanc la veille par l’ex-maire de Païta Harold Martin à l’Arène du sud, ont « pris position » le long de la Savexpress au niveau de l’échangeur de la commune. Les véhicules en direction du Nord ou de Nouméa étaient filtrés doucement. « Je suis un élu de la République, s’est expliqué Willy Gatuhau, maire de Païta. Je m’assure que la République soit garante des libertés, je m’en fous de Vale. Le mot d’ordre est de se défendre, nous n’avons pas peur. »
Difficile à dire combien ils étaient. Probablement plus d’une centaine. La plupart étaient armés de barre à mine, battes de baseball, bout de bois, haches et pieds-de-biche. N’importe quoi pour signifier qu’ils étaient « prêts à en découdre ». Ils brandissaient haut le drapeau tricolore, symbole fièrement accroché aux rétroviseurs et à chaque point de contrôle du barrage. Certains, bien équipés, portaient des gilets tactiques, leurs visages dissimulés sous des foulards et des casques. D’autres promettaient de « sortir le fusil de la benne » si, en face, ils avançaient. « Ça fait trente ans qu’on se tait, on est ici chez nous », s’est justifié Claude, 58 ans.
Campés sur leurs positions
De l’autre côté de la voie, les anti-Trafigura de la tribu de N’Dé sont restés derrière les barricades de voitures calcinées montées par les contre-bloqueurs. En début de matinée, ils n’étaient qu’une dizaine, des anciens principalement. « On essaie de calmer nos jeunes, on essaie qu’ils ne répondent pas aux provocations », assure André Selefen, du collectif Ican.
Les jeunes, les plus remontés, n’ont rejoint les vieux que plus tard. Des tee-shirts troués en guise de cagoule, les casquettes vissées sur la tête, ils étaient là pour « faire pression et marquer leur présence ». Mères et enfants ont fini par arriver. Le drapeau du FLNKS jamais très loin. Tout au long de la matinée, les deux groupes se sont organisés, ont gonflé, sans s’affronter réellement. Les insultes ont fusé, les intimidations se sont répétées. Entre eux, un no man’s land d’à peine une centaine de mètres recouvert de débris de voiture, branches cramées et autres éléments carbonisés. Inconciliables ? Les deux camps ne semblaient pas prêts à lâcher leurs positions.
Deux fourgons et une vingtaine de gendarmes ont été mobilisés. Incité par les militaires, chacun s’annonçait « ouvert au dialogue », sans vraiment faire le premier pas. Des « pourparlers » ont été organisés à plusieurs reprises pour lever les barrages. Tenu par leurs idées et leurs convictions politiques, personne n’a bougé. « Nous voulons des solutions à court terme, a demandé un éducateur anonyme désigné comme le porte-parole des jeunes des tribus. Je n’ai pas envie que tous les jeunes de Païta cessent de rigoler ensemble, ils se connaissent ! »
Vers midi, l’étau s’est desserré. Des habitants du littoral ont pu rejoindre Païta pour des courses ou des visites médicales. Sous les barnums, chacun grignotait son pique-nique de fortune. La tension n’est pas vraiment descendue, alimentée par les réseaux sociaux et les rumeurs relayées d’un téléphone à un autre. Des deux côtés, il en restait toujours un pour haranguer la foule.
Source : Actu.fr
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