Nouveau témoignage dans l’affaire Boulin : « Avant de casser ma pipe, je devais révéler ce que je sais »
Le corps de Robert Boulin a été retrouvé dans un étang de la forêt de Rambouillet le matin du 30 octobre 1979 ©AFP – MICHEL CLEMENT / AFP
Un homme s’est manifesté en 2022 auprès de la justice dans l’affaire Boulin. Il dit avoir assisté à une conversation qui accrédite la thèse du meurtre du ministre, mort en 1979. D’après ses dires, des membres du SAC ont évoqué « un accident ». France Inter a recueilli son témoignage.
« La juge m’a dit que, quand je me suis manifesté, il était minuit moins une, elle allait clore le dossier« . L’homme qui s’exprime ainsi s’est tu pendant plus de 40 ans. Quatre décennies pendant lesquelles il dit avoir gardé pour lui ce qui pourrait être la clé de l’une des énigmes les plus sombres de l’histoire politique française : la mort de Robert Boulin.
Le 30 octobre 1979, le corps du ministre du Travail est retrouvé en partie immergé dans un étang de la forêt de Rambouillet. Ce membre du RPR est, à l’époque, mis en cause dans une affaire qui concerne l’achat d’un terrain à Ramatuelle, dans le Var. Des accusations auxquelles il disait s’apprêter à répondre. L’enquête conclut à un suicide, ce que sa famille conteste depuis 45 ans.
Or, ce témoin apparu en 2022 dit avoir surpris une conversation entre des hommes qu’il pense être membres du SAC, le service d’action civique, police officieuse du RPR, souvent chargé des basses besognes pour une partie des gaullistes, Charles Pasqua, en tête. Selon son récit, ces échanges accréditent la thèse d’une mort violente, bien loin du suicide.
« Il a fait un arrêt cardiaque »
En 1979, celui qui témoigne fréquente une boîte libertine, Le Roy Renée, située à Ville d’Avray, qui se trouve encore à l’époque dans les Yvelines. Ami avec le patron, il y croise « des francs-maçons, les plus grands voyous de Paris, l’état-major de la police parisienne au plus haut niveau« . « Ce club était protégé par le procureur de l’époque [procureur général près la cour d’appel de Versailles, Louis-Bruno Chalret, ndlr] qui a dirigé l’enquête sur l’affaire Boulin (…) Je ne suis pas surpris que l’enquête ait été tronquée dès le départ« , se souvient cet homme, qui affirme que l’on ne s’y rencontrait « pas que pour la bagatelle« .
Lui croise régulièrement au Roy René un homme qu’il identifiera par la suite comme Pierre Debizet, patron du Service d’action civique, avec qui « il sympathise, sans [se] mêler de ses affaires« . Or, « quelques jours après la mort du ministre, il m’a invité à prendre une coupe de champagne à sa table. Etaient présents deux membres du SAC – qui m’ont été présentés comme ça. Ils ont sablé le champagne pour avoir récupéré ‘les dossiers compromettants’ ont-ils dit entre eux. Ça a déplu à Pierre Debizet qui leur a dit ‘oui mais vous l’avez tué, le patron – c’est à dire Pasqua – avait donné l’ordre de lui filer une danse. Le chef du commando a déclaré à Debizet ‘c’était un accident, il a fait un arrêt cardiaque, il est mort dans nos bras, et, dans la panique, on l’a balancé dans l’étang de Montfort-L’amaury. Ils n’ont pas évoqué directement le nom de Boulin, j’ai fait le lien dans les jours qui ont suivi« . Il affirme avoir effectivement vu des documents entre les mains de ses interlocuteurs, sans savoir de quoi il s’agit.
« Stupéfait« , celui qui « ne [s’]attendait pas à être invité à une table où l’on parlerait de meurtre » ne bronche pas. Tout comme un autre témoin, identifié aujourd’hui par le septuagénaire comme « Jean-Pierre Lenoir du Sdece » [Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ancêtre de la DGSE] et un homme plus jeune, dont il pense qu’il s’agit de « celui qui a bourré de coups Boulin« , « le vrai tueur« .
Entendu à plusieurs reprises
En sortant du Roy René, ce témoin retient par cœur le numéro de la « Mercedes 280 SL gris métal à toit noir » conduite par les deux hommes dont il pense qu’ils ont enlevé Robert Boulin. Numéro qu’il dit avoir retenu jusqu’à ce jour.
Si ce témoin semble jouir d’une mémoire affutée, livrant des détails allant des Gitane fumées à la chaîne par Pierre Debizet aux cheveux « poivre et sel » de l’un des autres protagonistes, difficile, des décennies après, d’affirmer avec certitude quelle est la part de vécu réel et ce qu’il a réinterprété par la suite au regard des éléments rendus publics. Toujours est-il que son récit semble assez crédible pour que les investigations soient relancées. Lui-même a été entendu par la juge d’instruction en charge du dossier (rouvert après une nouvelle plainte de Fabienne Boulin, la fille du ministre, en 2015) en juin 2023, ainsi qu’à plusieurs reprises par les gendarmes de la cellule DIANE, chargée des affaires non élucidées anciennes, et par ceux de la Section de recherche de Versailles.
Pour cet homme, quia déjà livré son témoignage à Sud-Ouest, les circonstances de la mort de Robert Boulin sont « un énorme secret de Polichinelle« . Il explique s’être tu pendant aussi longtemps afin de protéger sa famille : « Les gens qui sont capables de tuer un ministre sont capables de me tuer moi encore plus facilement« . Mais, aujourd’hui, alors qu’il se dit « au crépuscule de sa vie« , ce témoin de dernière minute affirme ne plus avoir « peur de rien« . Et être prêt à livrer son récit à une cour d’assises, afin de faire émerger « la vérité judiciaire, même si les protagonistes sont morts« . Notamment pour Fabienne Boulin, la fille du ministre, qui se bat depuis 45 ans. Un combat qui, pour cet homme, « mérite qu’on lui file un coup de main« . « Avant de casser ma pipe, je lui devais de révéler ce que je sais«
Source : Radio France
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