« Nous ne sommes pas dans le même camp » : pourquoi, en plus des gens, le préfet Lallement méprise les lois
L’aveu du préfet de police de Paris Didier Lallement filmé le 16 novembre a un énorme mérite, révéler la vérité d’un moment politique dans tous ses aspects. Répondant à une dame pacifique lui disant être gilet jaune, il ne va pas hésiter, lui le haut fonctionnaire qui devrait observer une neutralité républicaine, à proférer cette phrase de guerre civile : « Nous ne sommes pas dans le même camp, Madame ». Le tout en déployant une démarche chaloupée dont il doit penser qu’elle pose son homme, alors qu’elle est encore plus ridicule que celle d’Aldo Maccione qui, lui, avait le mérite de vouloir nous faire rire.
Didier Lallement n’est pas là pour nous faire rire, il est là pour réprimer, pour intimider, et empêcher l’usage de la liberté constitutionnelle de manifestation. À ceux qu’Emmanuel Macron lui a désignés comme ennemis : « La foule haineuse ». Une petite visite sur YouTube permet de trouver un florilège de ses différentes interventions où alternent déclarations martiales, coups de menton et rodomontades. Le préfet de police de Paris, dont le prédécesseur débarqué avait été jugé trop respectueux des libertés publiques, y fait preuve d’une certaine franchise : il est là pour cogner. Rejoignant ainsi la cohorte d’aventuriers politiques ou d’aventuriers tout court qui entourent Macron et qui proviennent quasi-systématiquement du PS. Castaner, Ferrand, Belloubet, Le Drian, Griveaux, Benalla, Taché, Kholer, Emelien, Strzoda, Ndiaye, Guillaume, etc… etc… sont maintenant flanqués d’un garde-chiourme sans état d’âme.
Concernant les manifestations parisiennes du 16 novembre, commémorative du premier anniversaire du déclenchement du mouvement social des gilets jaunes, il faut écouter la conférence de presse du préfet de police de Paris donnée le samedi après-midi, pendant le déroulement des événements de la place d’Italie.
On a d’abord un petit aperçu de la façon dont il conçoit le rôle de préfet de la République chargée du maintien de l’ordre. À 5’20’’, où on l’entend répondre de façon provocatrice à un slogan classique des gilets jaunes : « On est là, on est là ! Même si Macron ne le veut pas, nous on est là ! ». « Nous aussi nous sommes là, et nous serons toujours là », lance-t-il, confirmant ainsi sa conviction du nécessaire affrontement avec une partie du peuple français.
Il est nécessaire de revenir un peu en détail sur le scénario de cette journée particulière.
- Didier Lallement autorise une manifestation place d’Italie dont le départ est prévu à 14 heures. On peut déjà s’étonner du choix de cet endroit, qui est notoirement couvert de chantiers et donc garni d’une floraison de matériels utilisables et d’importantes réserves de projectiles à utiliser par les casseurs en cas d’affrontement. Le maire du XIIIe arrondissement s’en était ouvert auprès de la préfecture de police et par conséquent auprès du préfet, en vain. Ensuite, il y a sur cette place un monument commémoratif militaire d’une certaine importance. Dont la profanation était un risque évident.
- Didier Lallement fait entourer cette grande place circulaire d’un important cordon de policiers. Les forces de l’ordre laissent la place se remplir et en particulier, ne prennent aucune mesure pour filtrer l’arrivée de manifestants dont l’allure et la tenue démontrent qu’ils n’ont rien à voir avec les gilets jaunes et qu’il y a tout à craindre de leur volonté de casser. Avant même le départ de la manifestation, la « nasse » est en place. Et arrive ce qui était prévisible (prévu ?) : le déclenchement d’incidents, de violences et de prise à partie par des éléments « incontrôlés ». Le tout, sous le regard gourmand des télévisions à l’affût.
- Didier Lallement ordonne alors l’utilisation des gaz lacrymogènes, des grenades GLI F4, et des LBD. Journalistes et manifestants pacifiques en sont victimes. Panique et confusion s’installent sur la place que les manifestants pacifiques cherchent à quitter, ce qui est rendu particulièrement difficile par la nasse des forces de l’ordre.
- Didier Lallement déclare alors que la manifestation autorisée étant devenue attroupement violent, est en conséquence interdite (!). Cette décision administrative ne peut pas être sérieusement portée à la connaissance des manifestants déjà sur la place. Du fait de l’interdiction soudaine et inconnue, les personnes pacifiques présentes vont se retrouver sans le savoir dans la situation de « participation à une manifestation interdite », contravention punie d’une amende de 135 €. Le préfet de police prétend avoir fait installer par les forces de l’ordre un « canal d’évacuation » pour permettre de quitter la place. Outre que dans la confusion, il était très difficile à trouver, énormément de gens se seront fait verbaliser (!), d’autres interpeller, et une multitude empêcher de sortir. Et naturellement, pendant ce temps, les « casseurs » pouvaient s’en donner à cœur joie sous l’œil des caméras, sans que les forces de l’ordre fassent de gros efforts pour les en empêcher voire les interpeller, comme l’ont constaté de nombreux témoins.
Disqualifier le mouvement ?
Se pose évidemment la question de la composition de ces fameux groupes, dont on nous prétend qu’ils sont incontrôlés parce qu’incontrôlables. Cela ressemble fortement à une plaisanterie, lorsque l’on connaît les moyens de la police et l’utilisation historique des provocateurs dans les mouvements sociaux. Laisser casser pour effrayer le bourgeois et disqualifier un mouvement, c’est une très vieille histoire, qui peut aller jusqu’à faire prendre à des policiers ou des nervis la place des vrais casseurs. J’en ai personnellement fait l’expérience au moment des grandes luttes de la sidérurgie. Se pose alors plus précisément la question de l’utilisation dans les manifestations de policiers appartenant aux Brigades anti-criminalité (BAC), fonctionnaires sans uniforme, dont le maintien de l’ordre n’est pas le métier et qui adoptent systématiquement des comportements suspects. Il n’y a rien de complotiste là-dedans, car n’oublions pas ce que nous a révélé l’épisode Benalla et la présence dans les manifestations de civils armés et présentant les signes extérieurs d’appartenance à la police…
Le scénario du 16 novembre place d’Italie est suffisamment suspect pour envisager la possibilité d’une provocation destinée à disqualifier et criminaliser le mouvement des gilets jaunes. Ce ne serait ni la première fois, ni la dernière. Le comportement habituel du préfet de police et son attitude ce jour-là peuvent nourrir une lourde suspicion. Cela justifierait un travail d’enquête sérieux pour reconstituer exactement ce qui s’est produit. Il n’y a pas grand-chose à attendre des grands médias qui ont relayé la thèse policière, pas plus que du Parlement pour des commissions d’enquête qui seraient justifiées. En revanche, il serait naturel que la justice, dont c’est le devoir, se saisisse des infractions commises et ce d’autant que si ce scénario est établi, on est en présence d’une jolie collection :
« La mise en danger délibérée de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal) » tout d’abord, et qui est relative aux décisions prises par le commandement de la préfecture de police qui ont manifestement exposé manifestants, simples passants et policiers à des risques graves. L’interdiction brutale de la manifestation, au moment où elle devait commencer et sans que les participants puissent le savoir, constitue bien une violation d’une règle de sécurité, tel qu’indiquée dans le texte. L’interdiction d’une manifestation doit obéir à des motivations de sécurité publique, et non pas le contraire comme cela semble avoir été le cas.
« Complicité de dégradations volontaires de biens publics (articles 322-1 du Code pénal) » ensuite. Cela, c’est pour avoir laissé les vrais casseurs, ou les faux, détruire le monument commémoratif de la campagne d’Italie. Cela mériterait un examen attentif, parce que soit le préfet de police a mal dirigé ses troupes et n’a pas été capable de protéger le monument (auquel cas sa démission s’impose), soit c’est délibérément que ces dégradations ont été ou organisées ou favorisées et dans ce cas, c’est de la complicité.
« Violences volontaires par autorités publiques (articles 222-9 à 222-13 du Code pénal) ». Ensuite toujours, compte tenu des blessures subies par des personnes manifestement pacifiques ou des journalistes, et dont la gravité a été manifestement provoquée par un usage totalement disproportionné de la force, il est indispensable de savoir ce qu’il s’est passé. Quels étaient les ordres et qui sont les auteurs de ces exactions. Le fait qu’elles aient été commises par des autorités publiques est une circonstance aggravante.
« Atteinte à la liberté par séquestration arbitraire effectuée par autorité publique (article 432-4 du Code pénal) ». Là, il s’agit de ces interpellations abusives et de ces gardes à vue illégales et sans motif visant à intimider, dissuader et punir tous ceux qui croiraient encore que la République française a toujours une Constitution qui fait du droit de manifester une liberté fondamentale. Pour ces séquestrations, ce que sont ces gardes à vue illégales, le fait qu’elles soient ordonnée par un agent public est là aussi une circonstance aggravante.
À aucun moment les gens verbalisés dans le périmètre et autour de la place d’Italie ne peuvent avoir su qu’ils participaient à une manifestation interdite
« Délit de concussion (article 432-10 du Code pénal) » enfin, une petite gâterie pour compléter le palmarès. Que dit le texte : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. » Résumons : la manifestation était autorisée et les gens qui s’y sont rendus et se sont installés sur la place d’Italie le savaient. La décision d’annulation brutale ne pouvait, dans ces circonstances, être connue ou prévue des participants. À aucun moment les gens verbalisés dans le périmètre et autour de la place d’Italie ne peuvent avoir su qu’ils participaient à une manifestation interdite. Condition indispensable pour qu’ils aient commis l’infraction. Mais il y a plus, on ne sait rien des formes prises pour cette interdiction, ce qui est encore plus grave car pèse ainsi sur elle la suspicion d’un « acte inexistant » privant de base légale tous les procès-verbaux. Didier Lallement devait le savoir parfaitement, mais tout à sa frénésie de répression et son zèle pour plaire au parti de l’ordre, il a probablement passé outre. Et fait percevoir des sommes qu’il savait ne pas être dues. C’est ça, la concussion.
Alors, qui peut enquêter sur ces faits et identifier les responsabilités pénales ou disciplinaires ? Spontanément, on va se tourner vers le parquet de Paris, et son procureur, pour lui demander ce qu’il compte faire face à cette lourde suspicion d’infractions graves commises par des agents publics.
Oh, pardon, désolé. Le titulaire du poste est précisément celui qui, choisi par Macron lui-même, a organisé les fameuses « gardes à vue préventives » des gilets jaunes. Et apporté un soin particulier à la mansuétude judiciaire dont bénéficient les amis du président. Il est possible de nourrir quelques doutes sur sa célérité à faire son devoir d’autorité de poursuite de la République. Serait-il dans le même camp que Didier Lallement ?
En tout cas, celui-ci a eu le mérite de clarifier les choses : nous savons que définitivement nous ne sommes pas dans le même camp que lui.
Source : Marianne
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