Nord Stream Kaput !
par Dmitry Orlov.
La grande nouvelle du jour est que Biden a fait exploser 3 des 4 pipelines qui ne fournissaient pas de gaz naturel russe à l’Allemagne. Biden a fait exactement ce qu’il avait promis et, à l’heure actuelle, je ne vois aucune raison de le mettre en doute, car il existe de nombreuses preuves indirectes de l’implication des États-Unis dans cet acte : Des navires de l’USN circulant dans la zone, posant probablement des mines sur les tuyaux et repartant juste avant les explosions. Nous devons attendre que la Maison-Blanche rende la Russie responsable de l’incident ; cela constituerait une marque supplémentaire de culpabilité. (C’est toujours le voleur qui crie le plus fort « Attrapez le voleur ! »). Mais je ne suis ni le juge ni le jury dans cette affaire, donc ce n’est ni ici ni ailleurs.
Il y a juste quelques éléments importants à comprendre concernant la disparition prématurée de Nord Stream.
1. La puissance européenne qu’est l’économie allemande est maintenant kaput. L’ensemble du miracle économique allemand reposait sur la disponibilité d’un approvisionnement régulier en gaz naturel bon marché en provenance de Russie ; sans ce gaz, l’industrie allemande ferme ses portes, licencie des centaines de milliers de travailleurs et connaît un niveau de détresse et d’agitation publique jamais vu depuis l’époque de la République de Weimar. L’économie allemande ayant été la locomotive qui a tiré une grande partie du reste de l’Union européenne, la disparition de Nord Stream est également une mauvaise nouvelle spectaculaire pour le reste de l’UE. Les Européens sont maintenant confrontés à une tâche formidable : reprogrammer les cerveaux des uns et des autres pour qu’ils comprennent que l’Amérique n’est pas leur amie mais leur ennemie.
2. L’argument économique selon lequel les États-Unis peuvent devenir le principal fournisseur de gaz naturel de l’Europe en expédiant le gaz naturel liquéfié qu’ils produisent par fracturation est strictement réservé aux idiots. La fracturation aux États-Unis a été fondamentalement rendue possible par l’accès à de l’argent très bon marché, presque gratuit, grâce au Quantitative Easing. La fracturation est une activité à très forte intensité de capital, qui nécessite un investissement constant et massif dans les équipements de forage, les pompes, les explosifs, l’eau, le sable, le fluide de fracturation et le transport. Contrairement aux puits de pétrole et de gaz conventionnels, les puits fracturés ont une durée de vie extrêmement courte, la production d’un puits donné chutant en pourcentage de deux chiffres chaque année. Maintenant que l’inflation aux États-Unis est proche d’un taux à deux chiffres et que l’argent devient cher plutôt que gratuit, le rythme de la fracturation a ralenti. En bref, les États-Unis seront bientôt confrontés à une pénurie plutôt qu’à un excédent de gaz naturel et ne seront pas en mesure de maintenir, et encore moins d’accroître, leurs exportations de GNL. Ajoutez à cela le fait que la fracturation se concentre désormais dans le bassin permien, où l’on trouve encore des puits productifs, une grande partie du reste du territoire de fracturation ayant déjà été exploitée ; il n’y a donc aucune raison de s’attendre à un nouvel essor de la fracturation aux États-Unis, même si l’argent redevenait gratuit. Ajoutez à cela le fait qu’ils n’ont pas la capacité industrielle ou la capacité de transport pour le faire. L’idée que cette attaque terroriste sur les pipelines fait partie d’un effort de concurrence déloyale ne tient tout simplement pas la route.
3. Certains penseurs profonds ont exprimé l’idée que tout cela fait partie d’un plan d’ensemble visant à forcer les capitaux et l’industrie européens à se déplacer vers les États-Unis, où l’énergie est encore quelque peu abondante. Ce plan ne présente qu’une petite poignée de problèmes. Tout d’abord, le capital européen est lié à ce qui est en train de devenir des actifs en faillite : des usines et des équipements à l’arrêt, dont la plupart ne seront jamais remis en marche, des maisons non chauffées souffrant de dommages dus au gel, des chaînes logistiques qui s’arrêtent, et des personnes de plus en plus en détresse et en colère. Deuxièmement, les systèmes financiers des États-Unis et de l’Europe sont très étroitement liés et la destruction de l’un n’est pas du tout de bon augure pour l’autre. Il est plus probable que la contagion financière se propage de l’Europe vers les États-Unis, qui, étant les plus endettés et les plus déficients en termes de finances nationales et de balance commerciale, sont les plus précaires. Si le plan de Biden était de se suicider en ricochant sur l’Europe, alors ce serait brillant ; sinon, il est aussi intelligent que Biden est sénile.
4. Le dernier point est peut-être le plus important : cette attaque terroriste contre les pipelines ne change rien. Nord Stream 1 était déjà fermé à cause des sanctions occidentales : les turbines de fabrication Siemens qui y pompent le gaz ne peuvent plus être entretenues. Nord Stream 2 était prêt à être mis en service une fois terminé, mais les régulateurs allemands, sous la pression des États-Unis, ont refusé de donner leur accord. Depuis lors, la Russie a annoncé qu’elle avait trouvé de meilleures utilisations pour la moitié du gaz qui lui était destiné : elle va fournir un service de gaz par gazoduc à certaines de ses propres régions (Novgorod, Carélie) qui sont actuellement sous-approvisionnées, ce qui permettra aux habitants des petites villes et des villages de passer du chauffage au bois au chauffage au gaz. Ainsi, la moitié de Nord Stream 2 était déjà superflue. Il reste théoriquement du gaz pour l’autre moitié, qui n’a d’ailleurs pas été endommagée par l’attaque.
Il n’y a qu’un seul sens dans lequel cet incident est vraiment important : en tant que franchissement d’une certaine barrière mentale. Il n’y a plus de retour en arrière possible ; le monde que vous connaissiez est désormais bel et bien terminé. La Pax Americana est morte. Elle s’est terminée par un gigantesque panache de gaz qui a jailli du fond de la mer Baltique : un point final géant à la fin d’une longue phrase creuse, pleine d’apparat, mais qui, en fin de compte, ne signifiait rien.
source : Club Orlov
traduction Hervé, relu par Wayan, pour Le Saker Francophone
Source : Anna-Bellas
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