Noam Anouar : « Camélia Jordana arrive comme une opportunité pour permettre au ministre de se réapproprier la défense du corps des gardiens de la paix »
Après les propos de Camélia Jordana dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier, Boulevard Voltaire a recueilli les réactions du policier et essayiste Noam Anouar.
Il faut prendre beaucoup de recul, non pas seulement par rapport aux propos, mais aussi par rapport à la séquence et à tout ce qui se passe autour de cette affaire.
Dès qu’une chanteuse de variétés, issue du monde de la télé-réalité, fait une déclaration des plus banales, un propos que l’on peut retrouver régulièrement sur les réseaux sociaux, tout le monde répond à l’unisson pour se liguer contre la chanteuse et son propos. À commencer par Christophe Castaner et les deux organisations les plus représentatives du corps des gardiens de la paix, LGP Unité et Alliance, puis le syndicat des commissaires.
Tout le monde de la place Beauvau est à l’unisson pour faire bloc contre la petite chanteuse d’origine maghrébine issue de la télé-réalité.
Je vois une anomalie. Je suis policier et je suis en contact avec certains de mes collègues qui ont la chance ou la malchance de pouvoir exercer dans le contexte que vous connaissez. Certains de nos collègues sont décédés, suite à certaines fautes commises par les autorités dans le cadre de la gestion calamiteuse du Covid-19. On avait une institution en totale déconfiture. Les syndicats majoritaires avaient fait semblant d’être mécontents et de se retourner contre les autorités sur la question des masques et de la mobilisation des effectifs. Et aujourd’hui, c’est l’union sacrée contre Camélia Jordana.
On a l’impression que le ministre, ainsi que tous les syndicats représentatifs de la profession, font bloc derrière les petits gardiens de la paix qui ont été mis en cause par la chanteuse. Cela m’interpelle. J’ai donc envie de voir au-delà des apparences.
Camélia Jordana vient de la bourgeoisie toulonnaise. Elle ne rentre pas dans les clichés de la jeunesse qui a pu, à un moment donné, être victime de la police.
Camélia Jordana n’est ni plus ni moins que ce qu’elle est censée représenter sur ce plateau, c’est-à-dire une chanteuse de variétés qui fait la promotion d’un nouvel album. Ses propos s’inscrivent dans un contexte. Nous avons eu des témoignages vidéo très clairs de violences policières et de propos racistes tenus par certains de nos collègues. J’ai toujours été parmi les premiers, de façon très constante, à dénoncer l’inaction des autorités face à ce fléau qu’est le racisme dans la police, et face à certaines formes de violences policières.
Christophe Castaner aurait mieux fait de nous expliquer ce qui s’est passé à l’île Saint-Denis et les propos racistes tenus à Lille par une brigade de nuit, au lieu de se recentrer sur le débat. Camélia Jordana arrive comme une opportunité pour permettre au ministre de se réapproprier la défense du corps des gardiens de la paix, sur un propos qui est certes largement exagéré. Tous les policiers ne sont pas racistes. On le sait très bien. Il n’existe pas de hordes de travailleurs franco-maghrébins ou franco-africains qui se font massacrer à l’entrée des gares au moment où ils vont travailler. Naturellement, c’est surréaliste !
Ces propos tombent-ils sous le coup de la loi ? Je n’en sais rien, mais cela ne vaut même pas le coup de le savoir. C’est davantage une affaire médiatique qu’une affaire judiciaire.
Encore une fois, on esquive les questions de fond et on tente de recréer une cohésion dans les rangs de la police alors que, finalement, les questions de fond qui devraient préoccuper les syndicats de police et les autorités du ministère de l’Intérieur sont beaucoup plus sérieuses.
Que fait-on de tout ce qui s’est passé, ces dernières semaines ? On parle de personnes qui se sont fait molester, qui ont été filmées à leur insu et diffusées sur les réseaux sociaux, les propos racistes tenus et également les morts du Covid-19.
Je suis affecté au service de la police aux frontières, on a vu un mail en interne qui interdisait aux fonctionnaires de police de porter le masque sous peine de sanction disciplinaire. On nous expliquait, à l’époque, que le masque ne servait à rien.
Je veux bien que le ministre nous parle de Camélia Jordana, j’adore sa musique et ce qu’elle fait, mais je suis policier et je veux savoir comment mes collègues vont être protégés des différents dangers qui peuvent les guetter. Je veux savoir, également, comment la police va pouvoir assurer de façon exemplaire et sereine la protection des populations et des libertés fondamentales pour lesquelles elle existe.
Un débat de fond aurait dû avoir lieu. À la place, c’est toute l’institution qui fait bloc contre une petite chanteuse.
Elle dit qu’elle veut rencontrer Christophe Castaner dans le cadre d’un débat. Je ne crois pas qu’il donnera suite. Je ne pense pas qu’elle soit très bien conseillée sur le plan de la communication. Elle a fait son buzz. Je ne sais pas ce que donnerait un tel débat. Très honnêtement, il n’y aurait pas grand-chose à en tirer. On sort d’un moment tristement historique sur le plan de l’histoire de notre pays. La gestion sanitaire du Covid-19 a été calamiteuse. Le confinement a été ponctué de surmenage des effectifs de police, de violences policières, de propos racistes et de tensions en tout genre.
Pendant deux mois, nous étions assis en permanence sur une poudrière. J’attendais la sortie de nos autorités et du ministre pour nous expliquer comment nous allions pouvoir justifier et réparer tout ce qui s’est passé et il me parle de Camélia Jordana… Je ne tombe pas dans ce piège. Ce débat ne m’intéresse absolument pas.
L’émission de M. Ruquier est de grande qualité. Elle permet aux gens de débattre sur des sujets d’actualité, sur la littérature contemporaine et sur les faits de société, mais la police est quelque chose de très sérieux. La police, c’est la lutte contre le terrorisme, la lutte contre les violences urbaines, la lutte contre la délinquance et contre la criminalité. Je n’attends pas que le ministre me parle de Camélia Jordana !
Source : Boulevard Voltaire
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