« Moi, la police m’a tué »
Cet article de Boulevard Voltaire date du 20 juillet 2015, mais aujourd’hui 4 ans plus tard nous constatons que rien n’a changé. Cela fait des années que de jours en jours nous publions ici les nombreux suicides qui endeuillent les familles des Forces de l’ordre.
Constatez par vous même que les propos de cet article sont encore au gout du jour et que rien n’a changé depuis :
La police française a tué environ 500 personnes ces dix dernières années. Vous me lisez bien. La police a mené, pour être exact, 478 âmes au tombeau entre 2004 et 2014 – non point les âmes de quelques violeurs pédophiles, assassins cruels ou trafiquants de corps féminins, mais celles de 478 fonctionnaires de police, acculés au suicide par une tâche trop ingrate, trop vaine, trop écrasante, ou tout cela à la fois, sans doute.
Il y a deux semaines encore, un policier de la brigade anti-criminalité du Val-de-Marne, père de famille de 40 ans, connu pour sa joie de vivre, a été retrouvé dans les toilettes de l’hôtel de police de Créteil, le cœur percé d’une balle. Son arme de service n’aura peut-être emporté qu’une seule vie de toute sa carrière – la sienne.
Dans la majorité des cas, les policiers qui se donnent la mort le font avec leur arme, comme pour désigner symboliquement la source de leur mal, la frappante congruence de leur mission et de leur désespoir. Quelques minutes avant de commettre le geste fatal, Thierry avait souhaité bonne chance à ses collègues par message radio, ajoutant : “Moi, la police m’a tué.”
Que fait-on pour empêcher de telles tragédies ? Que fait-on pour mettre fin à ce carnage ? Je lis que des « mesures fortes » ont été prises par le ministère de l’Intérieur en 2015, et qu’on s’en félicite dans les plus hautes instances gouvernementales et syndicales. En somme, on a saupoudré l’enfer d’un peu de soutien psychologique, d’écoute et de « sensibilisation ». On criera victoire en janvier 2016, quand le taux de suicide des policiers aura sensiblement décliné de 0, 3 point. Cela ne consolera pas les veuves et les enfants éplorés.
J’avoue ne pas avoir une sympathie spontanée pour les forces de l’ordre ; du moins, je ne les idéalise pas, et je les sais capables de nombreux abus. Mais je me sentirai toujours solidaire d’un homme que sa douleur morale entraîne vers l’abîme et qui, un soir, décide d’abandonner ses amours, ses amis, ses rêves et ses joies parce qu’il est à bout de souffle. Je me sentirai toujours révolté contre l’impéritie et l’aveuglement qui l’ont placé dans cette désolation.
Les policiers ont-ils besoin de davantage de psychologues ? Peut-être, mais ils ont surtout besoin d’une armature institutionnelle qui donnerait tout son sens à leur travail quotidien. Que leur importe qu’on écoute leurs états d’âme si les criminels qu’ils arrêtent un jour sont libérés et les narguent ou les menacent le lendemain sur les lieux mêmes de l’arrestation ? Que leur importe les annonces du gouvernement s’ils se sentent moins protégés par la justice que les délinquants qui les insultent, les caillassent ou abattent leurs collègues sous leurs yeux ?
“Je souhaite bien du courage aux collègues. Moi, la police m’a tué.”
Source : Boulevard Voltaire (du 20 juillet 2015)
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