Méditerranée : « Le pays doit retrouver audace et fierté »
Par Entretien réalisé par Emmanuel Razavi avec Ghjilormu Padovani–06 janvier 2019 à 15:54
Le général de gendarmerie Bertrand Soubelet, critiqué et sanctionné en 2013 après ses déclarations sur la lutte contre la délinquance, revient sur la situation française et sa politique méditerranéenne
On se souvient de son audition fracassante de réalisme à l’Assemblée nationale, par la mission parlementaire d’information de « lutte contre l’insécurité », en 2013. Parce que le général de gendarmerie Bertrand Soubelet avait pointé d’importants dysfonctionnements, l’audition lui avait valu d’être muté en Outre-Mer, avant de perdre ses fonctions à la sortie de son livre Tout ce qu’il ne faut pas dire, en 2016. Ayant retrouvé une liberté de parole, il s’exprime sur la situation de la France et sa politique en Méditerranée.
En quoi la classe politique est-elle responsable du délitement de la société française ?
Depuis quarante ans, la classe politique française a laissé se déliter progressivement les principes qui fondent notre démocratie. La devise inscrite au fronton de nos mairies en est l’illustration. Ils ont laissé se transformer la liberté en un concept vide de sens qui laisse croire que chacun peut faire ce qu’il veut en se prévalant de ses droits.
La conséquence directe en est l’affaiblissement de l’autorité et le « laisser faire ». Sous leurs yeux, l’égalité s’est pernicieusement mutée en égalitarisme, cette vision dévoyée de la société qui nivelle tout. Chacun croit qu’il peut, voire qu’il doit, avoir la même chose que son voisin. Quant à la fraternité, elle n’a que peu de place tant notre vie sociale est dégradée.
Des salariés qui n’arrivent pas à finir le mois, une classe moyenne qui supporte une grande partie des efforts, une communautarisation bien avancée et un rejet de notre modèle sont le résultat de la faiblesse et de la lâcheté de nos responsables politiques qui ont préféré acheter la paix sociale plutôt que de traiter les problèmes de fond : l’éducation, la protection du pays et l’immigration, par exemple.
Les élus et les exécutifs successifs de notre pays sont responsables de l’état actuel de la France en ignorant la primauté de l’autorité, du bien commun et de l’exemplarité sur toute autre considération.
Y a-t-il un risque de guerre civile en France ? Si oui, quelle pourrait en être la configuration ?
Je ne sais pas ce que l’on peut qualifier de guerre civile ni sa probabilité mais il me semble que certains ingrédients d’un affrontement entre les Français sont réunis.
Une exaspération dans certaines franges de la population, une incompréhension de nos élites de la réalité quotidienne, un divorce entre l’État et les citoyens auxquels il faut ajouter une crise identitaire majeure avec la présence sur notre territoire d’individus prêts à frapper au nom du fanatisme religieux.
Les enjeux financiers de l’économie souterraine dans certaines zones de notre territoire sont potentiellement un facteur aggravant.
En quoi les réseaux de la drogue sont-ils liés avec les djihadistes ? Quels axes géographiques empruntent-ils en Europe du sud ?
Tous les trafics, de stupéfiants, d’armes et d’êtres humains ont un lien direct ou indirect avec les djihadistes car la déstabilisation d’une société peut s’obtenir par divers moyens.
C’est la fragilisation des circuits économiques et financiers classiques pour leur substituer des circuits parallèles qui impactent le tissu familial et social. C’est une destruction plus lente de notre modèle, mais démontrer à plusieurs générations que « dealer » rapporte plus que travailler honnêtement, laisse des traces durables.
Ces trafics sont aussi un moyen de financer des activités illégales. Les axes des trafics sont en lien avec l’origine des populations qui se livrent à cette activité avec des modes d’action très souples et modernes.
Comment lutter contre l’entrisme islamiste dans les grandes institutions et entreprises françaises ?
C’est le rôle de l’État. Mais là aussi, il ne prend pas ses responsabilités. Il n’a pas toujours la vision stratégique sur certains sujets et celui-là en est un.
Pour l’entreprise, comment expliquer que depuis le 24 juin 2014, un arrêt de la Cour de cassation ait introduit une jurisprudence qui établit explicitement que ni le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution, ni le principe de neutralité consacré par le Conseil constitutionnel ne sont applicables aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public.
Il y a donc deux poids, deux mesures et ce qui est appliqué dans l’espace public et les services publics ne peut pas l’être dans le privé. Bilan : les chefs d’entreprise sont seuls face à cette réalité et là où l’État pourrait leur faciliter la vie, il est absent.
Il est urgent d’initier un projet de loi sur le sujet et de contenir définitivement le fait religieux dans l’espace privé au sens strict du terme. J’espère que le gouvernement annoncera dans les semaines qui viennent des mesures en ce domaine car elles sont urgentes et les Français les souhaitent.
Que pensez-vous de la politique de la France au Proche-Orient ?
Notre politique au Proche et au Moyen-Orient n’apparaît pas très cohérente. Nous avons depuis des années adopté des positions de principe totalement anachroniques et trop souvent éloignées du pragmatisme.
Nos liens historiques avec certains pays de la zone, le Liban et Israël notamment, faussent notre appréciation et parfois des considérations de politique intérieure ou de jeux d’alliances nous conduisent à mal nous positionner.
C’est tout particulièrement le cas avec la Syrie qui est un échec patent de la diplomatie française. La frappe aérienne de 2018 en est une parfaite illustration.
« Que souhaitent les Corses pour leur avenir ? »
Quelle est la place stratégique de la France en Méditerranée ?
La France a une place importante en Méditerranée. Il faut y avoir des ambitions mesurées car nous n’avons plus la capacité d’y jouer un rôle majeur. Le dernier à avoir tenté de positionner la France en Méditerranée fut le président Sarkozy. On a vu le résultat couronné par une intervention en Libye qui a contribué à déstabiliser toute la région. Notre place est importante au même titre que l’Italie et l’Espagne ou la Grèce, en ce sens que nous sommes les points d’entrée en Europe des mouvements migratoires. C’est le point clef.
La Corse est au croisement de nombreuses influences en Méditerranée mais elle est exclue des enjeux.
Son positionnement est stratégique mais allons plus loin. Quel rôle l’île doit-elle jouer dans la Méditerranée d’aujourd’hui et de demain ?
La Corse est en effet au croisement de nombreuses influences mais la question essentielle est de savoir quel rôle la Corse entend jouer dans la zone.
Quelles ambitions la collectivité a-t-elle pour les cinquante prochaines années ? Je n’ai pas d’idée arrêtée sur la question mais j’ai en tête des modes de fonctionnement, des blocages, des tensions extrêmes sur l’île qui pourraient être considérés comme des freins à un projet ambitieux et structuré.
Pour jouer un rôle que la Corse mérite incontestablement, il faut avoir un degré de maturité économique et politique. Je ne suis pas sûr que des modifications de nature institutionnelle pour la collectivité de Corse soient un préalable à une modification du rôle que pourrait jouer l’île dans la zone.
La majorité au pouvoir en Corse souhaite une autonomie de plein exercice, comme toutes les grandes îles de Méditerranée. Qu’en pensez-vous ?
Je suis pour le maintien de la Corse dans la République même si à la marge, des améliorations pourraient être apportées à son statut actuel. La question essentielle est de savoir ce que les Corses souhaitent pour leur avenir car je ne pense pas, à l’instar du Continent, que les responsables politiques, malgré leur légitimité, soient le reflet de la volonté de la population.
Quelle est la responsabilité de la Turquie dans la crise migratoire que connaît l’Europe ?
L’essentiel de la vague migratoire entamée en 2015 est passé. Les flux actuels sont moins inquiétants même s’ils restent significatifs.
La Turquie n’est concernée que par les flux considérables de réfugiés en provenance des deux pays en guerre sur sa frontière sud, l’Irak et la Syrie. À ce stade, je pense que la Turquie joue un rôle plutôt régulateur en termes de migrations vers l’Europe.
Depuis 2016, grâce aux accords entre l’UE et la Turquie et reconduits en début d’année 2018, elle évite l’arrivée en Europe de millions de Syriens réfugiés sur son sol.
Cependant, les compensations financières de plusieurs milliards versées par l’UE ne sont pas une garantie absolue car M. Erdogan essaie d’obtenir d’autres avantages en matière douanière notamment. Il n’hésite pas à menacer l’Europe de laisser passer les migrants vers la mer Égée mais pour l’heure, il n’a pas mis ses menaces à exécution.
Source : Corse Matin
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