Mazamet. Ils veulent rendre justice au gendarme résistant

Josèphe Rabaudy, veuve d’André Rabaudy avec ses souvenirs, entourée par sa petite-fille Marie-Pierre Granier et ses arrière-petits-fils./Photo A.-M.D.

En juin 1944, André Rabaudy a quitté la gendarmerie de Mazamet pour intégrer le Corps franc de la Montagne noire avec armes et collègues. Un acte de résistance jamais reconnu. Sa famille à Albi et les anciens combattants se mobilisent pour lui.

Alors que la France commémorera jeudi l’Armistice du 8 mai 1945 qui a mis fin à la Seconde guerre mondiale, Bernard Augé-Campo, président des anciens combattants d’Albi, repart au combat. Un combat pour l’honneur, celui d’André Rabaudy. Il y aura bientôt 70 ans, le 14 juin 1944, cet Albigeois de Carlus, gendarme à la brigade de Mazamet, glisse son arme de service sous son ceinturon. C’est le signal convenu avec trois de ses camarades. Au lieu de rallier Toulouse comme ils en ont l’ordre, André Rabaudy, Paul Omella, Ernest Roucoule et Ovide Hanot rejoignent le Corps franc de la Montagne noire. «Ils sont passés à la Résistance, emportant avec eux tout le matériel de la brigade, armes, huit pistolets, véhicules (voiture Peugeot 202, motos-solo Terrot et side-car Indian), 8 blousons de cuir et même 200 litres d’essence!», détaille Bernard Augé-Campo.

«Considéré comme déserteur»

André Rabaudy participe à quatre combats avec les maquisards, contribuant grandement à la Libération. «Le 20 juillet 1944, à la Galaube dans l’Aude, les Allemands les ont bombardés. Sa voiture a explosé. André en a réchappé, mais a failli y perdre la vie», en frémit rétrospectivement son épouse, Josèphe Rabaudy. C’est elle, chef de bureau à la chambre des métiers du Tarn, qui avait mis en relation un de ses collègues, Joseph Pescaïre de Marssac, membre du Corps franc, avec son mari. Le résistant avait dit au gendarme : «Si tu veux, je t’embarque!», se souvient Josèphe Rabaudy, qui portait elle des courriers pour la Résistance… «sans savoir ce qu’il y avait à l’intérieur»!

«Lui donner la Légion d’honneur posthume»

Le gendarme Rabaudy, qui avait alors 24 ans, craignait qu’on le fasse «collaborer avec les troupes d’occupation contre les résistants», choisissant alors de combattre à leurs côtés. «Considéré comme déserteur par Vichy, s’il avait été pris, c’était le peloton d’exécution», avertit le président des anciens combattants, qui salue «un courage exceptionnel digne des héros de 14».

Le «regret» de Bernard Augé-Campo, c’est que la République n’a jamais «reconnu ces actes de bravoure. Il a eu la médaille du Corps franc de la Montagne noire, mais c’était une distinction entre résistants. Il n’a jamais rien reçu d’autre de plus officiel», déplore Bernard Augé-Campo, qui entend «proposer André Rabaudy à la Légion d’honneur à titre posthume» et «lui rendre sa dignité» en le réhabilitant. Car, pour aussi incroyable qu’il y paraisse, son départ pour la résistance a brisé sa carrière dans la gendarmerie, même après la guerre. «Il a certes été réintégré, à la brigade de gendarmerie de Monestiès, mais un jour, son chef l’a convoqué et lui a montré son dossier, rappelant son procès sous Vichy pour avoir déserté en temps de guerre avec emport d’armes, d’effets et de véhicules. Il y avait cette mention sans appel : Ne jamais proposer à l’avancement. Des quatre gendarmes, il fut le seul pénalisé, car c’était le meneur», relate son épouse, qui veut «réparer une injustice».

Comme si la gendarmerie ne lui avait jamais pardonné d’avoir désobéi, qu’au lieu d’un titre de gloire, cela restait une tâche sur son blason militaire, même si c’était sous l’occupation, même si, on l’a vu depuis, c’est ce qu’il fallait faire. Avec d’autant plus de panache, le gendarme Rabaudy a pris une décision individuelle, en conscience, comme le général de Gaulle en 1940.

«Exemple pour les jeunes»

«Très discret, André Rabaudy ne parlait jamais de cet épisode de la Résistance, sauf lors des repas de famille si on le lui demandait», dit sa petite-fille Marie-Pierre Granier, «fière de l’exemple qu’il a donné aux jeunes générations», en commençant par ses propres enfants. Il en va pour elle «d’un devoir de mémoire».

Son chef de brigade lui a conseillé «de quitter la gendarmerie. Sinon, tu seras toujours bloqué et tu ne progresseras jamais.» Conseil suivi en 1946 par André Rabaudy, devenu épicier 11, rue de Balzac à Albi, où vit toujours son épouse âgée de 92 ans. Décédé en octobre 2005 à 85 ans, André Rabaudy fut aussi marchand de télés, puis de machines à tricoter, spécialité qui a valu à cet homme avenant, jovial et positif la notoriété à Albi. «Il allait apprendre aux ménagères à s’en servir, le soir quand elles étaient plus tranquilles», dit une de ses trois filles : «Il était plus connu comme tricoteur que comme résistant!» Cela va peut-être changer.


«Un acte insuffisamment considéré»

Président de la section des anciens combattants d’Albi, Bernard Augé-Campo détaille ses démarches.

Comment avez-vous connu l’histoire d’André Rabaudy?

Par l’intermédiaire de Pauline Brau, présidente de l’Association des veuves de guerre, qui m’a présenté Mme Rabaudy.

Pourquoi vous êtes-vous mobilisé en sa faveur?

Concernant André Rabaudy, il y a un manque qu’il faut absolument rattraper. C’est aujourd’hui l’heure. Josèphe Rabaudy a 92 ans. Elle est en bonne santé, mais on n’est jamais à l’abri. C’est bien que du vivant de sa veuve, André Rabaudy soit réhabilité et médaillé. J’espère déclencher l’étincelle, sans prétention. Je me battrai autant que je pourrai.

Vous soutenez que sa désertion sous l’occupation l’a desservi après guerre dans la gendarmerie. André Rabaudy a tout de même été admis le 1er avril 1946 dans le corps des sous-officiers. Le 6 décembre 1946, le colonel de gendarmerie lui a aussi délivré «un témoignage authentique de l’estime et de la satisfaction de ses chefs», mettant en exergue «sa bonne manière de servir, le zèle et le dévouement par lesquels il s’est fait remarquer».

C’était juste un certificat de bonne conduite, un formulaire bateau délivré pour son départ. Le gendarme Rabaudy a été réintégré, c’est vrai. Il n’a pas été jeté, mais brimé pour ce jugement sous Vichy. Ses chefs lui ont fait comprendre que son avenir dans la gendarmerie était compromis. Militaire moi-même, je maintiens qu’ils ont manqué de courage et de panache. Ils ont réagi avec des œillères. André Rabaudy aurait pu comme d’autres engager des démarches pour la révision de son dossier, entaché par sa condamnation pour désertion par Vichy. Il ne l’a pas fait. C’était une période troublée. Ce n’était pas dans son tempérament joyeux et bon vivant. Il n’en parlait pas et ne se plaignait pas, comme beaucoup de résistants, estimant qu’ils avaient fait ce qu’ils devaient faire et ça s’arrêtait là. Ils n’avaient pas besoin de le faire savoir. Il est passé à autre chose, même si je reste persuadé qu’il en a conçu une amertume secrète. Rabaudy n’a pas mesuré ce qu’une réhabilitation pouvait avoir d’important. C’est pour cela que c’est à d’autres de la solliciter. Je l’ai dit à sa veuve : ce que je regrette, c’est d’être arrivé trop tard, à la fois pour l’obtenir de son vivant et avoir la chance de l’avoir connu.

Que dites-vous pour lui faire avoir la Légion d’honneur?

André Rabaudy a réalisé un acte de bravoure époustouflant, incroyable, quittant en 1944 la gendarmerie de Mazamet pour la Résistance avec collègues et matériel. Sa voiture a failli être pulvérisée par un bombardement. Son geste patriotique n’a pas été considéré à son juste titre. Si cela ne mérite pas la Légion d’honneur, quand on voit ce qu’ont fait réellement d’autres qui obtiennent le ruban rouge…

Pensez-vous aboutir?

Ce n’est pas facile si longtemps après. Mais ceux à qui j’en parle me disent que c’est incroyable que Rabaudy n’ait rien obtenu.


André Rabaudy rêvait d’être pilote

Né en 1920 à Rouffiac, André Rabaudy était le fils de métayers agricoles de Carlus. Passionné d’aviation, cet ancien élève de la Sup de Rascol à Albi rêvait de devenir pilote. Initié par l’Aéro-club de l’Albigeois au Séquestre, le jeune a réussi à intégrer l’Armée de l’air, mais une maladie et la guerre de 39-45 ont changé son destin. C’est pourquoi il a versé dans la gendarmerie, puis dans le commerce après l’épisode fameux de la Résistance.

C’est à Carlus qu’il a connu son épouse. «Nous étions à l’école ensemble», dit Josèphe, Albigeoise doublement orpheline. Son père est mort trois jours avant sa naissance et sa mère quand elle avait quatre ans. Jeune fille, elle est tombée sous le charme de son ancien camarade de classe, si beau dans son uniforme d’aviateur!

Recueilli par A.-M.D.

Source : La Dépêche

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *