Macron, la forfaiture permanente
En évoquant la souveraineté européenne, Emmanuel Macron commet une véritable forfaiture, en vidant de sa substance un terme qui forme la clé de voûte de nos institutions.
En France, le seul souverain, c’est le peuple. La Constitution de 1793 le définissait comme « l’universalité des citoyens français ». Depuis 1877, associer le peuple et la nation tombe sous le sens et la volonté de les défaire sous le coup de la loi.
À cet égard, le souverainisme ne devrait pas constituer une sensibilité politique, encore moins une idéologie mais un bien commun juridique et une évidence morale.
« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » précise notre Constitution.
En République, la défense de la souveraineté nationale ne devrait donc souffrir aucune contestation. Jusqu’en 1877, la monarchie a menacé la République. Jusqu’en 1991, le marxisme a contesté la nation.
Depuis 1992, l’européisme a pris la suite de ce révisionnisme institutionnel. C’est celui d’Emmanuel Macron qui invoque une légitimité nulle et non avenue (la souveraineté européenne). C’est l’opinion du journaliste Éric le Boucher qui veut nous « projeter dans la complexité post-étatique, en dépassant la chaîne Identité-Nation-État-politique selon laquelle « il n’est d’identité que nationale, il n’est de nation que par l’État, de politique que par la souveraineté, conception rouillée par le temps[1]. » Quelle involution !
Les Romains parlaient de populus pour désigner l’intérêt général tandis que le terme plèbe correspondait à la partie la plus démunie mais aussi la plus nombreuse de la population romaine divisée en classes. Alors que les Romains étaient sociologiquement divisés en « gens » parfois constituées de « clientes » placées sous l’égide de « patrones », la République n’a jamais cessé de célébrer l’unité du peuple. Personne, pas même les empereurs n’oseront imposer des décisions contraires à la volonté du peuple. Et cette volonté, pour être légale, devait avoir été exprimée par une majorité de citoyens dûment convoquée par un magistrat. C’est cette conception romaine qui inspira notre Révolution et notre République.
En janvier 1789, Sieyès publie « Qu’est-ce que le Tiers État ? ». Les revendications de ce célèbre pamphlet consistaient à exiger que les représentants du peuple lui appartiennent vraiment et que l’on vote par tête et non par ordre. Le Tiers représentait alors vingt-cinq millions d’âmes contre trois cent mille nobles et clercs. Cette majorité devait devenir la nation. Cette idée que le peuple est la nation, que la plèbe dicte l’intérêt général se retrouve sous la plume de Michelet :
La terre de France appartient à quinze ou vingt millions de paysans qui la cultivent ; la terre d’Angleterre a une aristocratie de trente-deux mille personnes qui la font cultiver. Les Anglais n’ayant pas les mêmes racines dans le sol, émigrent où il y a profit. Ils disent le pays ; nous disons la patrie.[2]
Dans un autre passage, Michelet exprime cette idée puissante et juste qui sera reprise par Jaurès : la patrie est le bien de ceux qui n’ont rien :
En nationalité, c’est tout comme en géologie, la chaleur est en bas. Descendez, vous trouverez qu’elle augmente ; aux couches inférieures, elle brûle. Les pauvres aiment la France, comme lui ayant obligation, ayant des devoirs envers elle. Les riches l’aiment comme leur appartenant, leur étant obligée. Le patriotisme des premiers, c’est le sentiment du devoir ; celui des autres, l’exigence, la prétention d’un droit. Le paysan (…) a épousé la France en mariage ; c’est sa femme, à toujours ; il est un avec elle. Pour l’ouvrier, c’est sa belle maîtresse ; il n’a rien, mais il a la France, son noble passé, sa gloire. Libre d’idées locales, il adore la grande unité. Il faut qu’il soit bien misérable, asservi par la faim, le travail, lorsque ce sentiment faiblit en lui ; jamais il ne s’éteint.[3]
Ce lien indissociable entre peuple, nation et territoire est essentiel pour comprendre les Gilets Jaunes. Leur condition matérielle est infiniment préférable à celle de nos ancêtres. Ils ne sont pas tout le peuple mais ils sont assurément du peuple comme aurait dit Michelet. Au-delà de la révolte face aux impôts et à cet effet goutte de gasoil taxé en plus, le soulèvement spontané des Français les plus modestes fut d’abord un soulèvement pour la dignité. En France, avec le mouvement des ronds- points, l’équivalent de ceux qu’Hillary Clinton avait rangé dans son « basket of deplorables » ont pris soudain consciences qu’ils étaient à la fois majoritaires et méprisés.
Pendant sept mois, chaque samedi, partout en France, des grappes de citoyens ont battu le pavé. Ils n’ont pas marché d’un pas de start-upeur pressé de sauter dans l’inconnu de la post démocratie européiste. Les Gilets Jaunes ont défilé d’un pas lourd et grave. Celui d’un peuple qui a déjà livré tant de combats et accompli tant de révolutions. Le pas décidé de ceux qui ne veulent plus se laisser marcher sur les pieds. Tout ce que la France compte d’universitaires et d’éditorialistes a scruté cette foule que le chef de l’État a qualifié d’haineuse, comme s’il s’agissait de souris de laboratoire.
Avant d’interpréter, il était peut-être sage d’observer. Les gilets jaunes brandissent un drapeau : le tricolore. Depuis 1944 d’ailleurs, aucun autre n’avait flotté sur nos bâtiments publics. Ses trois couleurs ne sont pas un étendard idéologique comme la bannière à swastika, le drapeau rouge ou comme l’étendard bruxellois. Le drapeau européen ne représente aucun État, aucun peuple, aucun affectio societatismais symbolise le renoncement des élites à protéger leur peuples des chocs de l’économie mondiale et leur volonté de délier l’appartenance culturelle et l’appartenance politique. Un conseil : conservez vos drapeaux européens, un jour, les brocanteurs vous les rachèteront.
[1] Les Échos, 16 mai 2014
[2] Jules Michelet, Le peuple, Paris, Flammarion, 1974, p. 80.
[3] Ibid., p. 141.
Guillaume BIGOT Politologue
Source : Front Populaire
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