Loi de programmation 2024-2030, un espoir contrarié.
Le plan de communication voulu et calibré par le ministère des armées et le gouvernement à propos de la future loi de programmation militaire de 2014 à 2030 a parfaitement fonctionné.
Après avoir habilement laissé filtrer le fait que la Première ministre pencherait pour une enveloppe budgétaire étalée de 2024 à 2030 de l’ordre des 370 milliards, puis qu’elle plaiderait pour que les paliers budgétaires ne dépassent pas 2 milliards supplémentaires par an, pour un saut quantitatif conséquent reporté après 2027, c’est-à-dire après la mandature, Bercy s’est affiché avec Brienne pour démontrer que tout était encore possible et que l’entente régnait.
Au tout dernier instant, le président dans sa majesté aura donc tranché et libéré du suspense. Le pire ayant été annoncé, le meilleur ne pouvait qu’advenir et le soulagement des Etats-majors fut palpable avec les médias qui applaudirent pour un tel effort exceptionnel !
Si j’avais un esprit taquin, je dirais que dans un monde de plus en plus incertain, faire semblant de revenir de loin pour aller quelque part fait partie du jeu des communicants.
La France tend à devenir désormais une « puissance d’équilibre à l’échelle mondiale » (à défaut de n’être plus une grande puissance ?), et se donne « les moyens de sa souveraineté et de son indépendance en métropole et outre-mer dans les champs matériel et immatériels », le volet militaire en est la pierre angulaire écrit le ministre de la défense dans le livret de présentation. Dont acte, cette loi permettra « de faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur elle et maintiendra son rang parmi les plus grandes puissance du monde ».
Les Armées se satisferont donc des 413 milliards étalés sur 7 ans, dont 13 de recettes exceptionnelles, dont l’origine reste douteuse et le budget des armées en 2030, c’est promis et juré, atteindra les 69 milliards, soit plus d’une dizaine de plus qu’aujourd’hui. Alléluia !
Bien évidemment, il reste à trouver une majorité à l’Assemblée nationale, mais le gouvernement a de l’expertise en la matière.
Après avoir réparé les Armées, de 2017 à 2023, la future loi de programmation militaire de 2024-2030, devra donc les transformer. Durant ses deux mandatures, le Président de la République, chef des Armées, aura donc marqué sa volonté de reconstruire nos Armées après « plusieurs décennies de coupes budgétaires », (1) puis de les transformer pour répondre aux nouvelles menaces. C’est ce qu’il convient de dire dans les hautes sphères et de reprendre en cœur. Mais le diable se cache dans les détails, et nous allons nous y contraindre.
En préalable, l’objectivité impose cependant de souligner que cet effort est néanmoins réel, même si certains choix sont discutables et si l’intention apparait a minima sincère, de nombreux obstacles se dressent. De l’intention à la réalisation, la marche est haute.
Cette somme, tout autant considérable, pose cependant question, et ce n’est pas le moindre des paradoxes. Avec un tel investissement, en insistant sur les reports des livraisons, les baisses de cibles d’acquisitions qui touchent les trois armées, on pourra me reprocher de regarder le verre à demi vide…
En réalité, la masse nécessaire, sans laquelle toute armée ne peut raisonnablement prétendre à une certaine résilience, ne sera pas au rendez-vous.
La faute est probablement due au fait que des pans entiers de notre défense ont été laissés en totale déshérence durant des dizaines d’années. Pour retrouver un certain niveau, il faudra évoluer et transformer profondément notre politique du flux tendu à celui des stocks et passer d’une industrie de temps de paix à une industrie de temps de guerre.
Le Président Macron a eu le mérite d’en poser les principes, mais l’industrie ne peut se mener à la baguette, celle-ci a besoin de perspectives claires, mais surtout de commandes étatiques qui tardent encore à venir.
Cela est vrai pour les munitions, l’effort sera de 16 milliards, mais il faudra aussi 5 milliards d’euros pour le renseignement et la contre-ingérence, 5 milliards pour les drones, 6 milliards pour le spatial, 4 milliards pour le cyber, sans compter les 49 milliards d’euros dédiés au maintien en condition opérationnelle. En effet, à quoi cela sert-il de posséder 300 hélicoptères si un tiers seulement est apte au vol ?
Il ne faut pas se mentir, la future loi de programmation est encore une loi de réparation, et cela ne pouvait en être autrement. La transformation réelle sera pour plus tard, probablement pour la prochaine loi de programmation.
Construire une armée, c’est compter sur le temps long.
La conception du premier sous-marin nucléaire d’attaque de la série Barracuda a été lancée en 1998, les essais étaient alors prévus en 2008 avec une entrée en service du premier navire de la série en 2010. En 2015, l’entrée en service du premier exemplaire est reportée à 2018 à la suite de difficultés budgétaires, puis en 2016, cette date est repoussée à 2019.
Finalement, il a rejoint la flotte en cette année 2023. Coût estimé en raison de l’allongement et des reports, et ce n’est qu’une estimation, 9,1 milliards d’euros ! Ce n’est qu’un exemple, le surcoût pour les FREMM en est un autre.
C’est dire à quel point et dans quel état nos armées se trouvent, en allongeant les délais et les séries nous atteignons des coûts d’acquisition exponentiels. Pour se consoler, on peut toujours dire qu’ailleurs cela peut être pire, mais en sommes-nous si sûrs ?
Cependant, il faut le souligner, en dépit de tout ce qui vient d’être décri et contrairement à d’autres Nations européennes, qui achètent sur étagère, la France maintient une industrie de défense autonome, sauvée par les exportations et ou les subsides étatiques, ce qui fut le cas du Rafale qui, durant des années a été maintenu sous perfusion par l’état.
Or, chaque euro dépensé par le budget des armées irrigue la BITD et l’industrie. C’est pourquoi cet effort dit « considérable » est un effort qui profite aussi à l’ensemble de la Nation. Cela va sans dire, mais encore mieux en le disant.
Mais le paradoxe de ce budget exceptionnel est d’autant plus surprenant, puisqu’aucun des objectifs prévus pour 2030 lors de la précédente loi de programmation 2015-2030 ne sera atteint. Les trois armées, Armée de l’Air et de l’Espace, Marine, Terre sont concernées par des restrictions cachées qui vont à l’encontre de toute logique, alors que les menaces n’ont jamais été aussi prégnantes.
Notre Marine, dont tout semblait indiquer qu’elle allait être renforcée, restera figée en dessous de ce qui devrait être nécessaire pour remplir ses missions qui n’ont pas changées.
Le nombre de frégates de premier rang (aptes au combat de haute intensité) reste fixé à 15, dont trois qui ne sont pas à la hauteur des enjeux, alors que la marine en espérait 18, 3 ravitailleurs en 2030 au lieu de 4, 3 FDI au lieu de 5, les sous-marins d’attaque semblent maintenus à 6, il en faudrait 8.
Le successeur du CDG Charles de Gaulle l’est aussi, mais il restera unique. Il faudra encore compter sur la mansuétude de nos adversaires, au cas où ceux-ci auraient la mauvaise idée de déclencher une action sur nos Outre-mer ou menacer nos voies de communication vitales par exemple, juste au moment où celui-ci serait en révision ou en carénage longue durée. Ce serait vraiment leur prêter des idées malsaines.
L’armée de l’air et de l’espace n’est pas mieux lotie. La LPM votée en 2018 prévoyait 185 Rafale pour l’armée de l’air en 2030. En réalité, seuls 137 auront été livrés à cette échéance. Quant aux derniers Mirage 2000D, ils risquent de sortir du service qu’après 2035 avec une cible revue à la baisse, on se demande bien pourquoi ? Serait-ce pour en donner quelques-uns à l’Ukraine ? Leur conception remonte aux années 70 du siècle dernier, cela s’entend ! Il en est de même pour l’A400M, dont la cible retenue sera de 35 ( au mieux, nous dit le ministre) au lieu de 50.
Le tout Rafale, promis à Mont de Marsan par le président Macron, n’est pas un mensonge, il avait simplement omis de préciser « quand » ? Il est vrai que personne ne lui avait posé la question.
La défense sol-air qui devrait être, on le voit en Ukraine, la priorité des priorités, restera en l’état : 9 systèmes VL Mica (courte portée) et 8 SAMP NG (moyenne portée), 12 après 2035 ? Rien ne change par rapport à ce qui existe aujourd’hui, c’est à dire12 Crotale et 8 SAMP/T (avant les transferts à l’Ukraine).
Or, les besoins évoqués par les députés Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, dans l’un de leur rapport d’information en 2022, évoquaient la nécessité de 16 systèmes sol-air moyenne portée/terrestre (SAMP/T) Mamba afin de pouvoir « tenir l’ensemble des contrats » fixés à l’armée de l’air et de l’espace. L’espace n’est pas oublié mais orienté vers des capacités offensives nouvelles et la cybersécurité devenue indispensable est enfin prise en compte.
Quant à l’Armée de terre, la cible Scorpion resterait la même, mais avec cinq ans de retard, 2035 au lieu de 2030. Ce projet de loi devrait changer d’appellation, elle devrait se nommer 2014-2035. En réalité, tout ce qui ne peut être promis pour 2030 est reporté au calendes grecs…
Une fois de plus, les industriels devront étaler leur production et donc assumer les surcoûts, alors qu’on leur demande d’entrer dans une économie de guerre, c’est à dire de produire plus pour un coût moindre. Mais de qui se moque-t-on ?
La réalité aujourd’hui est que les régiments vont maigrir, de 5 compagnies dans les régiments d’Infanterie on est passé à 4 puis à 3 ! Il faut bien trouver des effectifs eux aussi bloqués (5000 seulement de plus en prévision) pour alimenter les nouvelles unités drones et anti-drones (Arlad), renseignement, cyberdéfense et robots etc…
Quant à l’artillerie, on se contentera de l’existant en volume, 109 Caesar, 12 LRU ou son successeur inconnu à ce jour puisque toutes les solutions sont envisagées (24 en 2035 ?). Heureusement pour nous, la Pologne s’équipe. Lorsque que nous aurons au mieux une dizaine de lanceurs, la Pologne et l’Allemagne en auront plusieurs centaines.
Une centaine de Jaguar (engin blindé de reconnaissance et de combat) seront (si tout va bien) livrés au-delà de 2030, soit 200 au lieu de 300. Quelques centaines de Griffon et de Serval subiront le même sort. Les AMX-10RC et les VAB, promis il y a peu de temps à la casse ou à l’Ukraine (est-ce la même chose ?), seront donc prolongés et devront le cas échéant faire le job.
Pour les chars de combat en remplacement du Leclerc, on attendra 2040 ou plus. Après cela, on aura beau jeu de se moquer des Russes qui ressortent leurs vieux T 62 et T55 en Ukraine pour faire masse !
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2023 2030 2035
Chars | Chars de combat | 200 dont 19 rénovés | 200 dont 160 rénovés | 200 rénovés |
Blindés | Blindés médians | 60 Jaguar | 200 Jaguar | 300 Jaguar |
Griffon | 575 | 1345 | 1818 | |
Serval | 189 | 1405 | 2038 | |
VBCI | 628 | 628 | 628 | |
Artillerie | Canons | 58 CAESAR + 33 AUF1 | 109 CAESAR NG | 109 CAESAR NG |
Alors pourquoi avec autant de moyens financiers, nous voilà peu ou prou au même niveau que nous étions avant, excepté le renseignement, les forces spéciales et la cybersécurité ?
Trois raisons essentielles en sont la cause :
– La première est que nous avons engagé des dépenses non encore payées sur la précédente loi de programmation. Cette bosse budgétaire est estimée à plus de 50 milliards (2). En réalité, il faut assumer les nombreux engagements pris, dont les paiements qui n’avaient pas encore été enclenchés, mais pour lesquels on ne peut plus surseoir.
– La seconde est le coût du programme nucléaire évalué à 6 milliards d’euros par an. En réalité, 13% de l’enveloppe globale, charge que n’ont pas les autres pays européens, Royaume-Uni exclu. Mais à tort ou à raison, nous devons défendre ce modèle, seul élément certain de ce qui reste de notre souveraineté exclusive et de notre assurance ultime.
Il faut financer le futur sous-marin lanceur d’engin de troisième génération (SNLE 3G), prévu pour 2035 et ses missiles M51, le Rafale 5N avec ses missiles ASN-4G, ainsi que le PANG (porte-avions nouvelle génération) avec la FANu (force aéronavale nucléaire qui est une composante possédée par la seule marine française.
Sans le dire, nous considérons que la Force de dissuasion nucléaire est désormais notre seule parade, c’est une erreur fondamentale, une force nucléaire ne peut être considérée comme la seule assurance vie. Il faut relire « Dissuasion et Stratégie » du Général Beaufre.
– La troisième raison est rarement évoquée, c’est le coût exponentiel des coopérations européennes passées : l’A400M (3), le NH90 (4), le Tigre (5), les FREMM (6), sans oublier les projets futurs qui pour la plupart sont maintenus pour des raisons politiques, voire idéologiques, dont le SCAF et le MGCS, qui auront tous une qualité indéniable, celle d’arriver top tard et de coûter « un pognon de dingue » comme le dit si bien notre président dont la lucidité dans beaucoup de domaine est indéniable.
Ces trois raisons, mais ce ne sont pas les seules, concourent au constat de notre difficulté à réellement changer de posture en vue de notre renforcement pour se préparer aux conflits d’aujourd’hui comme de demain, à moins d’abandonner, ce qui semble progressivement se dessiner, notre place chèrement acquise de membre permanent du Conseil de sécurité.
Le voyage du président Macron en Chine, flanqué d’une fonctionnaire non élue Ursula von der Leyen, est révélateur d’une décadence programmée, alors que la Chine n’en demandait pas tant !
En réalité, il faut se rendre à l’évidence, l’effondrement de notre souveraineté, qui a été un choix assumé depuis Maastricht, est flagrant. Notre dette est abyssale, notre société est fracturée, nous sommes la seule Nation européenne à regarder le monde comme si nous pouvions encore influencer sa marche.
Nous sommes devenus une nation de second rang. Cela est cruel, mais seule une profonde remise en cause de notre projet d’avenir et des moyens à mettre en œuvre pourrait y remédier.
Les Armées ne sont que le reflet de la Nation mais franchement, que reste-il à défendre ?
À suivre
Roland Pietrini
(1) Propos du ministre.
(2) La Défense aurait bien besoin d’une bulle pour financer sa bosse budgétaire (usinenouvelle.com)
(3) Le coût du programme dépasse les 30 milliards et a été remis en cause à plusieurs reprises, tout comme la cible de 50 dans cette loi de programmation. *
(4) L’hélicoptère va connaître de nombreux retards et surcoûts. En effet, la plus grande difficulté du programme consiste à regrouper sur une seule machine les caractéristiques d’un hélicoptère marine, le Lynx et celles d’un hélicoptère tactique de transport terrestre, l’AS 532 Cougar.
(5) Le coût total du programme avec la transformation des HAP en HAD se monte à 6,588 milliards d’euros, en dehors de l’investissement consenti lors de sa conception, le prix unitaire d’un Tigre HAP est de 28,2 M€ et celui d’un Tigre HAD est lui de 37,2 M€. Un Apache américain est estimé à 13,9 millions d’euros.
(6) Avec le doublement de coût initial, une frégate Fremm coûte environ 850 millions d’euros et une excellente frégate Horizon environ 950 millions d’euros. L’immense gâchis des frégates françaises | Fondation IFRAP
(7) l’Eurodrone dont la taille (plus de 30m d’envergure) et le coût (118 millions d’euros par drone, soit le prix d’un Rafale sans rapport avec l’intérêt tactique réel et dont les normes civiles afin qu’il puisse voler en temps de paix, sont abracadabrantesque
Source : Athena-Vostok
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