L’histoire dans l’Histoire – 16 février 1899
16 février 1899
La mort heureuse de Félix Faure
Il a été élu à la présidence de la République par une coalition de modérés et de monarchistes le 17 janvier 1895 suite à la démission de Jean Casimir-Périer. Ses contemporains le surnomment affectueusement le « Président Soleil » en raison de son amour du faste.
On raconte que, recevant à l’Élysée une grand-duchesse russe, il s’était fait servir à table avant elle. La grand-duchesse ayant protesté, le président répondit sans réfléchir : « C’est l’usage à la cour de France ! ».
Imprudente galanterie
La rumeur publique croit d’abord que sa compagne des derniers instants est Cécile Sorel, une actrice célèbre du moment. On saura seulement dix ans après qu’il s’agissait d’une demi-mondaine plantureuse d’à peine trente ans, Marguerite (Meg) Steinheil.
Appartenant à une célèbre dynastie industrielle de l’Est, les Japy-Peugeot, elle était l’épouse d’un peintre en vogue, Adolphe Steinheil. En récompense des services particuliers de sa femme, celui-ci avait reçu quelques commandes officielles grassement rémunérées de sorte que ses oeuvres ornent encore aujourd’hui les murs de certains palais de la République.
Très vite, on se raconte de bonnes histoires sur la fin heureuse de Félix Faure, comme celle-ci :
Tandis que la dame s’est dégagée et esquivée, les domestiques transportent le président inconscient dans son lit. Le curé de l’église voisine de la Madeleine, appelé d’extrême urgence, demande en arrivant :
– Le président a-t-il toujours sa connaissance ?
– Non, on l’a faite sortir par derrière.
Les initiés chuchotent que le président aurait succombé à un excès de zèle.
Avant de recevoir ses amies, Félix Faure avait coutume d’absorber une dragée Yse à base de phosphure de zinc. Ce médicament, le Viagra de l’époque, avait la vertu d’exciter les virilités défaillantes mais il avait aussi pour effet de bloquer la circulation rénale.
Le jour de sa mort, comme le président attendait Mme Steinheil, il avait demandé à l’huissier de sonner deux coups à son arrivée. Voilà que sonnent les deux coups : il avale en hâte une dragée Yse. Mais l’huissier a fait une erreur. C’est le cardinal Richard, archevêque de Paris, qui entre dans le bureau élyséen. Et après lui arrive le prince Albert 1er de Monaco, venu plaider la cause du capitaine Dreyfus, ce qui met en fureur le président.
Quand enfin l’huissier sonne pour de bon les deux coups, le président congédie son visiteur. En gagnant le salon bleu réservé à ses « audiences très particulières », il a encore le temps d’avaler une deuxième dragée. Celle-ci lui sera fatale… Survolté par l’entretien orageux avec le prince, par la prise médicamenteuse et l’impatience d’honorer sa compagne, Félix Faure succombe sur le canapé.
Georges Clemenceau ne sera pas en reste de bons mots. « Il a voulu vivre César, il est mort Pompée », dit-il du président en guise d’oraison funèbre. Il dit aussi : « Félix Faure est retourné au néant, il a dû se sentir chez lui ».
Conséquences d’une mort impromptue
Félix Faure possède une belle avenue parisienne, une station de métro et une rue à son nom bien qu’il n’ait rien accompli de marquant… comme la plupart des autres Présidents de la IIIe République.
On retient seulement qu’il ébaucha une alliance avec la Russie en recevant le tsar Nicolas II, qu’il s’opposa à la révision du procès de Dreyfus et que son gouvernement dut céder aux Anglais le Soudan après le bras de fer de Fachoda.
Deux jours après sa mort, les députés et les sénateurs réunis en Congrès à Versailles élisent Émile Loubet pour lui succéder à la présidence de la République. Cette élection sème la consternation chez les antidreyfusards. Il est conspué dans la rue aux cris de « Élu des Juifs ! »
Le 23 février, pendant les funérailles de l’ancien président, le journaliste Paul Déroulède tente d’entraîner un général dans un coup d’État parlementaire en vue de préparer la guerre de revanche contre l’Allemagne. Le polémiste est banni. Mais, de retour en France en 1905, il n’aura de cesse d’exciter les esprits contre l’Allemagne… Il n’y réussira que trop bien.
Quant à Meg Steinheil, son histoire ne s’arrête pas là. Le 31 mai 1908, son mari et sa mère sont découverts assassinés au domicile conjugal, elle-même n’étant que ligotée.
Soupçonnée du double crime, elle est acquittée cependant le 13 novembre 1909 et s’installe à Londres, où elle épouse en 1917 le baron Abinger. Elle finira sa vie dans le luxe et la paix, à un âge avancé.
L’aventure du président Félix Faure n’a guère scandalisé ses contemporains de la « Belle Époque ». Il était admis à la fin du XIXe siècle que les bourgeois mènent grand train et ne s’embarrassent pas des principes moraux qu’ils imposaient à leur épouse. Ainsi, on se moquait gentiment du leader républicain Georges Clemenceau qui affichait partout ses innombrables conquêtes. Mais l’on trouvait normal qu’il divorce de son épouse américaine, mère de trois enfants, et la renvoie aux États-Unis en 3e et dernière classe après qu’il l’a surprise dans les bras d’un soupirant.
Le vieux Ferdinand de Lesseps, qui épousa à 64 ans une jeunette de 22 et lui fit 12 enfants, n’en continua pas moins de papillonner dans les maisons closes comme le voulaient les coutumes de l’époque. Un policier affecté à sa surveillance rapporte sa visite à trois jeunes prostituées, à 85 ans sonnés. Outre-Manche, David Lloyd George, Premier ministre britannique aux heures sombres de la Grande Guerre, était connu pour être « incapable de fidélité ». Ainsi lui arrivait-il d’avoir six maîtresses en même temps. Cette performance devait sans doute paraître modeste au roi Édouard VII, fils de l’austère Victoria, dont les frasques faisaient le bonheur des gazettes et lui valaient une immense popularité.
Mais ces moeurs n’étaient pas générales. On ne connaît par exemple aucune maîtresse au chef socialiste Jean Jaurès. Pas davantage à Winston Churchill.
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