Lettre ouverte à Mélenchon : « Dimanche, le souvenir de ton ami Charb t’a-t-il glacé le sang ?
Alors, Jean-Luc, comment ça va ?
Tu permets que je te tutoie, Camarade. Après tout, « camarade », nous l’avons été, nous « peuple de gauche », et même si ce n’était plus trop le cas depuis longtemps, je continuais à nourrir une certaine forme de tendresse pour toi. Un peu comme avec un ex que l’on n’arrive pas à détester complètement et qu’on regarde toujours avec une pointe de nostalgie, même si on sait que c’est bel et bien terminé.
Et donc, alors, Camarade, c’était comment cette manifestation ? Raconte. Tu étais à l’aise au milieu des pires entrepreneurs identitaires et des intégristes ?
Il faut dire que tu as su m’en donner, des frissons… Ton magnifique discours lors de l’enterrement de ton ami Charb, vois-tu, encore aujourd’hui je ne peux y repenser sans pleurer.
Et donc, alors, Camarade, c’était comment cette manifestation ? Raconte. Tu étais à l’aise au milieu des pires entrepreneurs identitaires et des intégristes ? Tu as serré des paluches ? J’ai vu qu’il y avait dans la manif des jeunes enfants à qui on a fait porter une étoile jaune. Tu as trouvé ça mignon, qu’on compare le sort réservé aux enfants juifs séparés de leurs parents, déportés, exécutés, gazés, à celui des enfants de confession musulmane qui ont à subir… quoi, en fait ? Concrètement ?
Et Madjid Messaoudene, tu l’as vu alors ? Il est sympa ? T’as fait un selfie ? Tu sais, ce grand type rigolo, élu de Saint-Denis qui, au lendemain de la tuerie de Toulouse, tweetait en rafale des blagues et des jeux de mots sur Mohamed Merah (je n’oublie pas merah cine / qu’est ce que tu merah-conte etc). Mort de rire. Enfin mort, oui, surtout les enfants de l’école maternelle.
Bon, et à part ça… Il y avait du beau monde ? Tu l’as vu Nader Abou Anas ? Mais si, enfin, le salafiste qui dit qu’une femme doit être obéissante à son mari et qu’elle ne doit sortir de chez elle qu’avec sa permission ! Il était là ?
Et l’autre, tu sais le rigolo qui explique aux enfants qu’ils vont finir en cochon s’ils écoutent de la musique, il est venu aussi ? Celui qui dit dans ses prêches qu’une femme non voilée n’a pas de pudeur et pas d’honneur et qu’elle ne doit pas s’étonner de subir des agressions, tu vois de qui je parle ?
N’empêche, ça a dû te faire drôle, toi le progressiste, le laïque passionné, l’universaliste…
Et les gens de l’association « participation et spiritualité musulmane », tu les as croisés ? Mais si, souviens-toi, les homophobes, les anti-avortement excités de la « Manif pour Tous », les potes de Civitas quoi. Ça y est, tu les remets ? Ils devaient être tout près des pancartes demandant l’abrogation des lois de 2004.
N’empêche, ça a dû te faire drôle, toi le progressiste, le laïque passionné, l’universaliste, toi qui expliquais en 2010 que les femmes voilées se stigmatisaient toutes seules, toi qui récusais le terme même d’islamophobie en défendant le droit à critiquer les religions, toi qui déplorais en 2018 que la religion devienne de plus en plus ostentatoire dans notre société…
Alors dis-moi, Camarade, ça t’a fait quoi quand Marwan Muhamad, du CCIF, l’officine officieuse des Frères musulmans, a fait scander à la foule « Allahou Akbar » ? Ça t’a pas un peu terrifié d’écouter ce cri qui aura été le dernier qu’auront entendu tes amis de Charlie Hebdo juste avant de s’écrouler ?
Et quand ils ont fait huer le nom des opposants qui sont déjà menacés, Mohamed Sifaoui, Bouvet, Zineb etc, qu’as-tu fais Jean-Luc ? Tu as tapé dans tes mains en rythme aussi ou tu t’es discrètement bouché les oreilles ?
Je voudrais juste savoir, Camarade. J’ai besoin de comprendre.
Est-ce qu’il y a un moment, même fugace, où le souvenir de Charb, de son poing crânement levé, de son sourire malicieux, de son testament, « Lettre ouverte aux escrocs de l’islamophobie », t’a glacé le sang ?
Je voudrais juste savoir, Camarade. Cela fait quoi de renier ses valeurs dans l’espoir de glaner des voix communautaires ?
Est-ce qu’à un moment t’est revenu le souvenir de tes mots, si beaux, si forts, à l’enterrement de ton ami : « La mort est passée. Elle rôde encore autour de nous et nous sentons son souffle froid (…) Tremblants de peine et sidérés, nous sommes venus nous réchauffer une fois de plus auprès de lui. Car Charb tisonnait si bien pour nous la braise rouge ! Rouge ! Contre la cendre des convenances boursouflées et des certitudes aveuglées, nos rires étaient ses incendies du vieux monde ! (…) Charb, tu as été assassiné comme tu le pressentais par nos plus anciens, nos plus cruels, nos plus constants, nos plus bornés ennemis : les fanatiques religieux, crétins sanglants qui vocifèrent de tous temps. Charb, ils n’auront jamais le dernier mot tant qu’il s’en trouvera pour continuer notre inépuisable rébellion »
Je voudrais juste savoir, Camarade. Cela fait quoi de renier ses valeurs dans l’espoir de glaner des voix communautaires ? Ça fait quoi de trahir ses amis ?
Je voudrais juste savoir, Camarade. Est-ce que ce soir, comme nous, tu te prends la tête entre tes mains ? Est-ce que, au moins, maintenant, tout seul, dans le secret de ton cœur, tu as honte, « Camarade » ?
Source : Marianne
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