Les nouveaux «experts» chargés de recueillir la parole des enfants
Depuis le mois d’avril quatre gendarmes spécialisés dans la prise en charge des mineurs victimes ont pris leur quartier au sein de la brigade de Sains-du-Nord. Avec une autre antenne basée à Cambrai, ces deux cellules sont uniques en France.
Mise à part l’enseigne tricolore extérieure à l’effigie de la gendarmerie nationale, bien malin le visiteur qui reconnaîtra des bureaux d’enquête une fois plongé à l’intérieur. Les locaux sont flambant-neuf. Dans un espace dédié, on découvre une petite salle de jeu où trônent peluches, poupées et autre garage. La salle d’audition à des allures de salon cosy. Un canapé douillet a été installé avec une table basse entourée de petits sofas. Bienvenue dans la cellule mineurs victimes de Sains-du-Nord la seule de France avec celle de Cambrai. Les quatre militaires qui la composent – l’adjudant-chef Houziaux, l’adjudant Gabelles, le maréchal des logis-chef Desramaut et la gendarme Chanu – travaillent en tenues civiles sans arme à la ceinture. « Si un enfant voit le pistolet, il va être perturbé », souligne Caroline Gabelles.
« Gamins terrifiés »
L’essence même de cette cellule est d’être au chevet d’un jeune public, touché par des affaires de violences familiales, de maltraitance ou d’abus sexuels. Pour les mettre en confiance et libérer leur parole, les gendarmes cherchent à les mettre dans les conditions les plus rassurantes. L’adjudant Gabelles se souvient d’un temps pas si lointain, où ce type d’auditions se déroulaient en milieu classique de gendarmerie. « Les gamins étaient terrifiés, ils me serraient la main si fort au point de la broyer. » Raison pour laquelle cet espace spécial a été créé.
Deux agents de la cellule ont été formés aux techniques d’auditions des mineurs. Dans le jargon, on l’appelle la méthode « PROGREAI » pour processus général de recueil des entretiens, auditions et interrogatoires. Le concept ? Laisser parler au maximum les victimes comme les suspects. « L’enfant est libre de s’exprimer, on l’invite à le faire de manière spontanée », analyse Caroline Gabelles. Si le mineur est taiseux, les enquêteurs ne vont pas hésiter à évoquer d’autres sujets, comme ses centres d’intérêt ou ses amis. « L’enfant ou même le mis en cause sera ainsi amené à nous donner des détails précieux sur sa personnalité », ajoute l’adjudant Gabelles.
Dans les années 90 (…) on ne savait pas par quel bout prendre le dossier. C’est bien de s’être spécialisé. »
Même si Marie Chanu prévient : « Nous ne sommes pas des psychologues. ». Au sein de la cellule, chaque détail a été pensé. Comme ne jamais contredire un enfant, même si les gendarmes savent qu’il ne dit pas la vérité, « il ne faut pas le frustrer au risque de briser la confiance qu’il nous accorde », dixit Marie Chanu. L’importance des heures de convocations est prise en compte « Si vous auditionnez un garçon un mercredi après-midi et qu’il rate son entraînement de foot, vous pouvez être sûr qu’il ne sera pas coopératif », sourit Caroline Gabelles.
Et la méthode fonctionne. Les enfants sont beaucoup plus à l’aise, ils finissent même par tutoyer les enquêteurs, les appeler par leur prénom, leur faire des bisous. Ce qui facilite la résolution des enquêtes. Gérard Houziaux peut en témoigner : « Da ns les années 90, on voyait ce type d’affaires se multiplier mais c’était compliqué, on ne savait pas par quel bout prendre le dossier. C’est bien de s’être spécialisé. »
Après les as de la police scientifique, la gendarmerie forme désormais des experts d’un nouveau genre.
À l’intérieur de la salle d’audition, on la distingue à peine. Une petite caméra nichée dans un coin dont le but est d’enregistrer chacune des conversations avec les mineurs. C’est la loi. De part et d’autres du canapé, sont dissimulés des micros, bien à l’abri derrière des objets de déco. Le matériel se fond dans la pièce, presque invisible. « Les enfants se savent filmés, prévient l’adjudant Gabelles. On leur explique le fonctionnement, souvent ça les amuse mais ils oublient vite la caméra. »
Au dos de la salle, au sein d’un local spécial, un autre enquêteur regarde en direct l’interrogatoire sur un moniteur, casque d’écoute fixé sur les oreilles. La vidéo a plusieurs avantages. D’abord, les gendarmes ne prennent aucune note durant l’audition ni ne tapent le PV en direct sur un ordinateur. L’enfant pourrait se croire négliger en voyant un agent vaquer à d’autres occupations alors qu’il se livre à lui. Second point, les images sont gravées sur un DVD transmis au magistrat en charge du dossier. « Il peut tout regarder, ça évite de reconvoquer l’enfant pour le faire parler de faits pénibles », selon Gérard Houzaux.
Les films sont aussi précieux en cas de procès aux Assises, dont la date peut intervenir plusieurs années après les faits. « Un accusé qui a eu des relations avec une mineure peut par exemple dire qu’il ne savait pas qu’elle était mineure, qu’elle était très développée pour son âge. Ça peut être vrai au moment du procès, mais si on regarde les images au moment des faits, on se rend compte que c’est un mensonge », glisse Caroline Gabelles. Mais la vidéo a aussi ses contraintes. Une fois les auditions achevées, les militaires doivent retranscrire par écrit l’ensemble de la conversation. Une activité chronophage.
Source : La Voix du Nord
Laisser un commentaire