Les mauvais souvenirs du couvre-feu
VIDÉO. Guerre d’Algérie, occupation allemande… Cette mesure très symbolique, appliquée aussi plus récemment, renvoie à la rhétorique de l’ennemi à contrôler.
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Entre la solution espagnole, le confinement local, et la solution allemande, le couvre-feu dans les métropoles (Berlin, Francfort), Paris a tranché. Pour une fois, nous ferons comme les Allemands, même si cette imitation nous rappelle que le couvre-feu est entré justement dans notre imaginaire à l’occasion de l’occupation… allemande.
Localement, cette mesure, qui doit justifier de « l’existence de risques particuliers », avait été prise récemment, comme à Étampes, Fréjus, La Seyne-sur-Mer, surtout à l’égard de la circulation de mineurs. Cette décision est rare, mais par définition circonscrite et presque banale, car relevant des pouvoirs d’un seul maire. Cette fois, elle est imposée d’en haut et ressuscite le vocabulaire martial agité en mars par Emmanuel Macron. Nous sommes de nouveau en « guerre ». Une guerre déclarée à l’incivilité des Français qui contournent les fermetures de bars et autres locaux en s’invitant chez eux. Désormais, certains métropolitains oscilleront entre Le Dernier Métro et Viens chez moi, j’habite chez une copine. À moins que les habitants ne se rabattent sur des fêtes entre voisins encore autorisées.
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Les émeutes de Clichy-sous-Bois
La dernière fois que le pays a eu recours à une telle mesure sur le plan national, c’était en novembre 2005. Un autre virus flambait alors, celui de la violence, dans quelques cités de banlieue, après la mort de deux adolescents à Clichy-sous-Bois. À l’époque, après que la télévision a relayé plusieurs jours des images de guérilla, les trois quarts des Français avaient approuvé le choix de Dominique de Villepin de prendre l’arrêté de couvre-feu prévu par la loi sur l’état d’urgence. Mais la mesure avait été appliquée avec parcimonie, dans plusieurs grandes villes : Nice, Rouen, Le Havre… Aucune, en revanche, en Île-de-France, d’où étaient parties les émeutes. Vingt ans auparavant, le gouvernement avait agi de même, non en métropole, mais en Nouvelle-Calédonie, après les heurts entre indépendantistes et non-indépendantistes.
Mise en place avec la guerre d’Algérie
Légalement, cette loi référence renvoie à l’une de nos cicatrices endolories : la guerre d’Algérie. Elle avait été votée le 3 avril 1955, sous le gouvernement d’Edgar Faure, pour faire face aux événements insurrectionnels qui gagnaient ce département six mois après la première vague d’attentats du 1er novembre 1954. Il s’agissait de ramener le calme, mais surtout de contrôler une population où se glissaient des éléments du FLN. La mesure, levée en février 1956, fut reprise après le retour du général de Gaulle, appliquée en métropole à l’intention des Nord-Africains. C’est à cette occasion que se met en place le fameux « contrôle au faciès » appelé à perdurer. Le harcèlement de cette population fut tel que, instrumentalisés par le FLN, des milliers de ces Nord-Africains convergèrent de Nanterre vers Paris pour protester contre la mesure. On est le 17 octobre 1961. Il y aura plusieurs centaines de morts. Une des pages les plus sombres de la capitale depuis la guerre. Si nos politiques connaissent leur histoire, ce dont il n’est pas interdit de désespérer, ils sauront se souvenir d’une possible pente fatale.
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Une mesure imposée par les Allemands aux Français
Sur l’échelle des mauvais souvenirs, le barreau supérieur est atteint, bien entendu, avec la Seconde Guerre mondiale. Pour schématiser, couvre-feu égale occupation allemande. À partir de la fin 1941, les forces d’occupation l’imposent de manière variable, selon les régions et les tensions qui y règnent. La première décision a été dictée par l’assassinat à Nantes, le 19 octobre 1941, du lieutenant-colonel Hotz. L’objectif est le même : surveiller la population, ses allées et venues et les éventuelles actions clandestines rendues propices par la nuit. L’un des interdits les moins connus qui ont frappé les juifs fut le couvre-feu très sévère qui les concerna, de manière globale, dès le 7 février 1942, entre 8 heures du soir et 6 heures du matin. Pour le reste de la population, des laissez-passer provisoires, comme ce serait le cas aujourd’hui si la mesure était renouvelée, étaient délivrés pour les personnes dans l’obligation de se déplacer après 10 heures du soir.
Le couvre-feu suggère toujours un ennemi à combattre. Jadis, au Moyen Âge, époque à laquelle on rapporte les premières mesures de ce genre, c’était le « feu » si contagieux, si imprévisible, qu’on voulait contrôler : feux et bougies devaient être rapportés dans les maisons. Aujourd’hui, l’ennemi n’est plus le Français, ni l’Algérien, ni le mineur, ni le feu, il a pour nom coronavirus. Mais il s’agit toujours de contrôler les mouvements des populations.
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Source : Le Point
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