Les eurodéputés déclarent-ils les cadeaux que leur offrent les lobbies ?
Les élus du Parlement européen sont censés consigner dans un registre tous les cadeaux reçus. Pourtant, bien peu d’entre eux respectent cette obligation.
La députée européenne Manon Aubry montre la bouteille de mousseux offerte par la diplomatie russe. (CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE)
Une bouteille de mousseux venue des rivages russes de la mer Noire, accompagnée d’un livret avec une photo du président Vladimir Poutine. C’est l’un des cadeaux reçus en cette période de fêtes par Manon Aubry, députée européenne La France insoumise (LFI) et coprésidente du groupe confédéral Gauche unitaire européenne-gauche verte nordique (GUE/NGL).
Pour mettre en lumière le poids des lobbies au sein des institutions européennes, l’eurodéputée l’a pris en exemple dans une vidéo diffusée le 22 décembre sur YouTube.
Une pratique qui, à en croire l’eurodéputée, serait répandue. Sylvie Guillaume, ancienne vice-présidente du Parlement européen entre 2014 et 2019, a raconté à franceinfo avoir elle aussi reçu des cadeaux : « J’ai souvenir d’un chargeur de téléphone, que j’ai déclaré. (…) Des invitations pour des repas de travail ou cocktails, des invitations à des projections de films arrivent, mais libre à chacun de les décliner, c’est le cas pour ma part. » Edouard Martin (PS) explique, de son côté, avoir refusé une invitation aux Etats-Unis pour « visiter » un parc photovoltaïque. En clair, les cadeaux offerts aux eurodéputés par les groupes d’influence sont courants.
Un registre public peu renseigné
Les cadeaux reçus sont censés être consignés dans un registre public. Pourtant, celui de la 8e législature (2014-2019) ne fait mention que de 74 déclarations : seuls 15 eurodéputés sur 751 ont rempli le registre, dont Sylvie Guillaume pour son chargeur de téléphone notamment. Plus étonnant encore, trois cadeaux seulement ont été renseignés depuis 2018. Et pour le tableau de la 7e législature (2009-2014) : 15 cadeaux inscrits par sept eurodéputés.
Qu’est-il inscrit exactement dans le règlement au sujet de ce registre ? Un « code de conduite des députés au Parlement européen en matière d’intérêts financiers et de conflits d’intérêts » a été adopté en 2011 en annexe du règlement intérieur. L’article 5 dispose que les eurodéputés ne doivent accepter de la part des lobbies que les cadeaux matériels ou immatériels d’une valeur inférieure à 150 euros « offerts par courtoisie », ainsi que ceux reçus « lorsqu’ils représentent le Parlement à titre officiel ».
Si le cadeau a une valeur supérieure à 150 euros, il doit être remis à un service compétent qui l’entreposera temporairement. Les eurodéputés doivent notifier les cadeaux reçus par le biais d’un formulaire à envoyer « au plus tard le dernier jour du mois suivant la date de réception ». Pourtant, parmi les rares cadeaux enregistrés lors de la huitième législature, plusieurs ont été déclarés près de huit ans après leur réception.
Le registre est rendu public et il est d’ailleurs censé « être aisément accessible » sur le site du Parlement – si vous ne voulez pas passer trop de temps à le chercher, cliquez ici. Ce document va de pair avec le « registre de la transparence », lui aussi créé en 2011 et qui permet de consulter la liste officielle des lobbies et de leurs accréditations au sein des institutions européennes. Au 30 décembre 2019 sont ainsi répertoriées officiellement 11 893 « organisations représentant des intérêts particuliers », qu’il s’agisse des cabinets de conseil, des ONG ou encore des sociétés. A noter que les participations à des événements organisés par des tiers, tels que des voyages « de travail », et les intérêts financiers des députés doivent également faire l’objet de déclarations.
« Ni surveillance ni sanctions »
Tous les députés sont-ils cependant soumis à la déclaration obligatoire de leurs cadeaux ? Dans les mesures d’application du code de conduite, il est inscrit que seuls les cadeaux reçus « à titre officiel » sont visés par l’obligation de déclaration. Le document concerne donc, dans l’exercice de leurs fonctions, le président du Parlement, ses représentants dans les relations internationales ou les cérémonies, les représentants d’une commission ou d’une délégation interparlementaire, ainsi que les députés exerçant « une fonction assimilée » au sein d’un groupe politique.
Reste qu’il est surprenant que les registres des deux précédentes législatures comportent aussi peu d’entrées. Oubli ? Négligence ? Complexité de la déclaration ? Pour Vitor Teixeira, responsable des questions d’intégrité de l’Union européenne au sein de l’organisation Transparency International, « le principal problème du système est qu’il n’y a aucun moyen de savoir si tous les eurodéputés respectent ces règles ou non. Il n’y a ni surveillance ni sanctions. Il existe certes un comité consultatif sur la conduite des députés [qui peut proposer des sanctions], mais il est dirigé par des eurodéputés qui peuvent être concernés eux-mêmes par ces cadeaux, et ce comité doit être saisi par le président du Parlement [pour enquêter sur une infraction présumée au règlement]. »
« C’est une des raisons pour lesquelles notre organisation milite pour la création d’un comité d’éthique indépendant qui serait commun à toutes les institutions de l’Union européenne. » Une position soutenue en juillet 2019 (lien en anglais) par celle qui est devenue présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen (PSE-PPE-ALDE-CRE).
Des infractions au code de conduite
Dans les deux derniers rapports du Comité consultatif, rien ne concerne les cadeaux faits aux eurodéputés. Le non-renseignement vraisemblablement répandu du registre n’était pas à l’ordre du jour. Cependant, en 2019, cinq députés ont été concernés par des infractions éventuelles au code de conduite. Si un élu a certes « commis une infraction grave [méritant] un examen plus poussé » selon le comité en omettant de déclarer des intérêts financiers entrepreneuriaux et une participation à une manifestation organisée par un tiers, les quatre autres n’ont pas été sanctionnés pour non-déclaration d’« une participation non-rémunérée à un comité ou conseil d’administration ».
Cette absence de sanctions dans les faits créerait, selon Vitor Teixeira, des conditions défavorables au respect de la transparence dans les relations entre groupes d’influence et eurodéputés. Car au-delà des corbeilles de Noël « offertes par courtoisie », ce sont bien les conflits d’intérêts qui menacent le fonctionnement démocratique des institutions européennes.
Source : France TV Info
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