L’Éducation nationale a-t-elle distribué des masques toxiques aux enseignants ?
L’enquête de Reporterre, publiée mardi matin (voir ci-dessous), a suscité de nombreuses réactions :
. le syndicat des enseignants du second degré SNES-FSU a demandé mercredi une expertise indépendante sur les masques concernés : analyse précise des masques fournis aux enseignants et explication de la chaîne de décision ayant conduit à la fourniture des masques DIM ;
. Interpellé à l’Assemblée nationale sur les « masques toxiques » révélés par Reporterre, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a refusé de répondre. Cependant, interrogé de nouveau mardi soir sur RTL, le ministre a dit : « C’est une information surprenante qui mérite vérification » ;
. un collectif d’enseignants, Les Stylos rouges, a annoncé qu’il porterait plainte ;
. d’autres enseignants proposent à leurs collègues de renvoyer les masques à l’Elysée ;
. le syndicat Snudi-Force ouvrière de la Mayenne indique lancer une procédure d’alerte
Le 8 septembre dernier, Emmanuel Macron prenait le micro devant les étudiants d’un lycée professionnel de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) dans le cadre de « L’égalité des chances ». Derrière son masque, il déroulait son texte quand, soudain, ce fut le drame : « Pardon je m’étrangle », toussa-t-il. Il tenta de reprendre son discours, mais sa voix tangua et la quinte de toux revint : « Donnez-moi un masque peut-être plus léger. Je vais mettre un masque plus léger parce que j’ai dû absorber un truc du masque. »
Le masque qui a failli étouffer M. Macron était un de ceux distribués au corps enseignant par l’Éducation nationale pour la rentrée scolaire. Une manne pour la marque DIM qui les fabrique. L’entreprise DIM, née en France en 1953, a été une filiale du fonds d’investissement étasunien Sun Capital Partners — qui possède Playtex et Wonderbra — entre 2005 et 2014. Elle est depuis une filiale de la société étasunienne HanesBrands. Le fonds de pension BlackRock possède 2,66 % de HanesBrands. Les masques sont par ailleurs fabriqués en Roumanie, selon l’étiquette de ceux que Reporterre s’est procurés.
DIM ne cache pas — c’est écrit sur l’emballage, voir photo ci-dessous — que ses masques ne sont « ni un dispositif médical au sens du règlement (UE) 2017/745 (masques chirurgicaux), ni un équipement de protection individuelle au sens du règlement (UE) 2016/425 (masques filtrants de type FFP2) ». Malgré tout ils gardent leur utilité si les gestes barrière sont respectés scrupuleusement. Or, dans une école maternelle, les gestes barrière sont impossibles à tenir. « Le protocole sanitaire change tout le temps, il est de plus en plus allégé. Le brassage des élèves est de nouveau autorisé depuis jeudi 8 octobre, par exemple », affirme Chloé, professeur des écoles à Paris. Pourtant, les établissements scolaires sont parmi les premiers foyers épidémiques du pays. D’après Santé publique France, 35,9 % des 1.001 foyers épidémiques en cours d’investigation étaient localisés en milieu scolaire au lundi 28 septembre [1].
« Dans le cas présent, les zéolithes sont traitées avec un sel d’argent, afin de leur conférer une propriété biocide »
Par ailleurs, les masques en tissus n’ont pas été distribués en nombre suffisant dans les écoles. « Nous avons seulement cinq masques par personne de ce type pour toute l’année scolaire », indique Chloé. « Comme il est écrit que nous devons les porter 4 heures maximum, cela devrait faire neuf masques par semaine minimum (car les élèves ont encore classe le mercredi matin à Paris). » De plus, les masques doivent être lavés 30 fois maximum. En deux mois, ils ne sont donc plus officiellement viables.
Au-delà de leur rareté et de leur efficacité toute relative, c’est une molécule qui agite les esprits des plus rétifs. Claire, professeur des écoles en Île-de-France, explique non sans sarcasme : « Comme j’aime bien les masques, j’ai remarqué que ceux-ci sont faits de tissus traités à la zéolithe d’argent et de cuivre. Curieuse de cette nouveauté, je me suis renseignée et je me suis aperçue que ces atomes ne sont pas très sains pour l’environnement. » Sur les paquets d’emballage, il est en effet indiqué « traité au zeolite (sic) d’argent et de cuivre, et au zeolite (sic) d’argent ». Pierre Bauduin, chercheur en physique chimie à l’université de Montpellier, nous donne une définition des zéolithes : « Les zéolithes sont des structures minérales d’origine naturelle ou artificielle, synthétisées par l’homme, permettant de capter et piéger des molécules dans leur structure. Parmi les exemples les plus connus, les litières pour chat en contiennent. Dans le cas présent, les zéolithes sont traitées avec un sel d’argent, afin de leur conférer une propriété biocide et ainsi augmenter la durée d’utilisation des masques. »
Mais la présence de cet argent intrigue. Nous avons contacté par courriel l’entreprise DIM, qui a d’abord expliqué qu’il n’y avait rien d’écrit sur son site internet et terminé par « Nous pouvons donc en conclure à une absence [de zéolithe d’argent] sur nos masques ». Après l’envoi d’une photo du paquet d’emballage au service client, ce dernier est revenu sur ses propos et a assumé le fait que les masques sont bel et bien traités à la zéolithe d’argent et de cuivre, précisant qu’il « ne s’agit pas de nanoparticules mais d’un traitement antimicrobien appliqué sur le tissu », c’est-à-dire sous forme d’argent ionique.
Quels effets pour la santé alors ? « Le risque de porter ces masques n’est pas inexistant, les ions argents sont en général plus toxiques que les équivalents nanoparticules d’argent métallique. Par ailleurs, on a ici un haut niveau d’exposition, très “intime” avec une durée de contact et d’inhalation longue (8 heures quotidiennes) et chronique (quasi tous les jours de la semaine). »
« Des superbactéries (résistantes à la plupart des antibiotiques) pourraient être créées en cas de mauvaise utilisation excessive »
Une étude menée en 2012 de l’Université de Rouen indique que « (…) lorsque l’argent ionique est appliqué sur une lésion corporelle sous forme de crème ou de pansements, il se lie à la sueur, au sébum et aux protéines présentes. Il peut ensuite passer dans la circulation sanguine, ce qui se traduit par une augmentation de la concentration en argent dans le sérum. Selon certains auteurs, il est alors excrété dans les urines en 2 à 5 jours, alors que d’autres chercheurs ont montré une bio-accumulation de granules métalliques dans différents organes : le foie, les reins, l’intestin, les glandes surrénales et, dans de rares cas, la moelle épinière ». Le comité des produits biocides de l’Agence européenne des produits chimiques a de son côté rendu en 2017 une note à ce propos estimant que la zéolite d’argent est « susceptible de nuire à la fertilité » et qu’elle est également « très toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme ».
Car, au-delà des dangers potentiels sur le corps humain, les particules d’argent sont aussi néfastes pour l’environnement. On estime que 60 % des particules d’argent ont été libérées après dix lavages de masques. Cet été, trois organisations belges de textile ont tiré le signal d’alarme sur la présence d’ions d’argent dans les 15 millions de masques distribués en Belgique par la marque Avrox [2]. Ils dénoncent le fait que « des superbactéries (résistantes à la plupart des antibiotiques) pourraient être créées en cas de mauvaise utilisation excessive », et que « les stations d’épuration risquent de ne plus fonctionner », car les biocides ne font pas la distinction entre les bonnes et les mauvaises bactéries. Le ministère de la Défense belge a rétorqué que « la technique utilisée, mieux connue sous le nom de traitement antimicrobien Silvadur 930 ou traitement au nitrate d’argent, est une technologie reconnue, bien documentée, parfaitement sûre pour la santé et très répandue. » Pourtant le problème demeure : le nitrate d’argent est dangereux en cas de durée prolongée sur la peau et néfaste pour l’environnement. En France, une entreprise vient de breveter une technique à base d’ions d’argent qui élimine le virus en une heure à peine. Mais, là encore, rien n’informe les utilisateurs sur la brochure d’une quelconque dangerosité des particules d’argent.
En attendant, dans nos écoles, plusieurs enseignants ont déjà refusé de porter le masque DIM. « Notre inspectrice nous a dit qu’il n’était de toute façon pas efficace et qu’il fallait qu’on prenne des masques chirurgicaux », dit l’une d’entre elles.
[1] Ils représentaient alors 19,5 % des 2.830 foyers identifiés, en deuxième position après les entreprises privées et publiques, hors établissements de santé.
[2] La société Avrox, décrite comme « mystérieuse » par la RTBF a réagi en attaquant en justice.
Source : Reporterre
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