Le Tribunal Administratif de Strasbourg vient de condamner l’État/Gendarmerie
Marc Rollang
Le Tribunal Administratif de Strasbourg vient de condamner l’Etat/Gendarmerie pour des faits de harcèlement moral commis à l’encontre d’un gendarme féminin de la brigade territoriale de Hochfelden en Alsace (GGD67).
Ce jugement du 19 octobre 2022 démonte littéralement l’enquête interne de l’IGGN qui a clôturé hâtivement et irrégulièrement ses investigations par l’absence d’éléments constitutifs de l’infraction de harcèlement.
Le juge administratif relève une volonté de nuire qui constitue un harcèlement moral. Échanges de mails entre deux officiers aux propos indignes, projets de notation humiliants, contexte professionnel dégradé et confirmé par des témoignages sont autant de preuves sous-évaluées ou écartées par l’inspection.
Le cabinet d’avocats MDMH, qui nous autorise à le citer, s’interroge désormais sur les suites qui devraient être données au comportement des deux militaires ayant failli dans leur commandement. Le volet pénal, classé une première fois , pourrait, à l’appui de ce jugement, être réouvert par une dénonciation visée à l’article 40 du CPP.
Source : Facebook
Le tribunal administratif de STRASBOURG condamne l’Etat pour le harcèlement moral subi par un gendarme de Hochfelden
Par Maître Elodie MAUMONT21 octobre 2022Actualités militaires, L’actu MDMH
La présomption de faits de harcèlement moral établie à l’égard des deux supérieurs hiérarchiques du gendarme de Hochfelden
Reprenant l’analyse à laquelle procèdent les juridictions administratives en matière de harcèlement moral, le Tribunal administratif de Strasbourg , après avoir rappelé les dispositions de l’article L 4123-10-2 du code de la défense relève dans un premier temps :
« D’une part, il appartient au militaire qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu’il entend contester le refus opposé par l’administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d’en faire présumer l’existence. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile. »
Mais immédiatement, ajoutant à ses critères habituels d’analyse et par une motivation qui nous apparait devoir être relevée, la juridiction strasbourgeoise relève ainsi que :
« D’autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs du militaire auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de celui qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement du militaire qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour la victime doit alors être intégralement réparé. »
Ainsi, si les comportements des uns ou des autres protagonistes, victime et auteurs, sont pris en considération pour apprécier ab initio le harcèlement moral, en revanche, le comportement de la victime ne peut lui être reproché une fois le constat du harcèlement moral établi.
Concrètement et dans le cas qui nous concerne, défendu par MDMH AVOCATS, la juridiction administrative strasbourgeoise retient que les faits suivants sont constitutifs de harcèlement moral :
« (…) En revanche, le requérant expose également que dans le cadre de la procédure disciplinaire dont il faisait l’objet, un gendarme adjoint volontaire avait émis le souhait d’être accompagné par M. …., qui était alors son tuteur, et qui s’était proposé pour l’aider à assurer sa défense devant le conseil de discipline, en application de l’article R. 4137-15 du code de la défense. Il résulte toutefois de l’instruction, et notamment de l’attestation très circonstanciée rédigée par ce gendarme adjoint volontaire, que les supérieurs hiérarchiques de M. … se sont opposés à son choix et lui ont déconseillé de se faire accompagner par ce dernier, qualifié de « trop revendicateur » et « nuisible pour sa carrière ». Alors même qu’il a néanmoins été proposé à M. …….. d’adresser au conseil de discipline une lettre de soutien à son tutoré, les propos tenus par sa hiérarchie tels que relatés dans cette attestation, révèlent une réelle volonté de mise à l’écart du requérant et excèdent l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il résulte également de l’instruction qu’en marge de l’incident du sens interdit emprunté à bicyclette, les deux supérieurs hiérarchiques de M. ………….. ont échangé, dans des courriels adressés l’un à l’autre sur leurs boîtes professionnels, des propos déplacés à l’encontre du requérant, qualifié de « jeune loup » qu’il convient de faire revenir « dans sa tanière » ou encore d’« Iznogoud » persuadé d’avoir toujours raison et qualifiant la lettre d’observations de « cadeau de Noël » déposé sur son bureau. Bien que ces propos n’aient été partagés ni avec l’intéressé ni avec aucune autre tierce personne, ils révèlent une réelle animosité et une intention de nuire à l’intéressé. Il ressort par ailleurs des attestations produites par le requérant que des propos dénigrants à l’égard de sa personne ont été régulièrement tenus par sa hiérarchie en présence d’autres militaires. Si l’attitude de M. est décrite en défense comme proche de l’insubordination, il ressort de ces mêmes attestations signées par ses collègues que, devant eux, M. …. ne s’est jamais départi d’une attitude respectueuse à l’égard de sa hiérarchie. Par ailleurs, il résulte de l’instruction que les appréciations littérales contenues dans les projets de notation au titre de 2016 et 2017 excèdent, par leur contenu et dans les termes employés, la critique professionnelle que tout chef de service peut adresser dans le cadre d’un entretien d’évaluation. La seule circonstance que les notations finales ont été largement remaniée et que les propos inadéquats initialement inscrits par le supérieur hiérarchique du requérant n’apparaissent plus in fine dans ses évaluations ne permet pas pour autant d’écarter l’impact de ces appréciations initiales sur les conditions de travail et l’état de santé du requérant. Enfin, il ressort des certificats médicaux produits par le requérant ainsi que des attestations concordantes de son entourage familial et dans le milieu associatif que la dégradation de ses conditions de travail et les relations conflictuelles vécues dans son environnement professionnel à compter du mois d’octobre 2015 ont eu un retentissement sur son état de santé et sa vie sociale et sont, au moins en partie, à l’origine de l’apparition d’un syndrome anxieux dépressif.
8. Pris dans leur ensemble, les faits exposés par M. ……………. sont de nature à établir une présomption de harcèlement moral à son encontre de la part de ses deux supérieurs hiérarchiques. »
Ainsi et pour résumer le harcèlement moral est constitué :
° du dénigrement opéré par les deux supérieurs hiérarchiques tant auprès d’un GAV que devant d’autres militaires alors que le dossier établi que le gendarme M. ne s’est jamais départi d’une attitude respectueuse à l’égard de sa hiérarchie malgré les agissement subis,
° de leur volonté de mettre à l’écart le gendarme M…..,
° de courriels adressés entre eux caractérisant une réelle animosité et une intention de nuire au gendarme M……..,
° d’appréciation littérales contenues dans des projets de notation excédant, par leur contenu et les termes employés, la critique professionnelle que peut exercer un chef de service,
° de la dégradation des conditions de travail et de l’état de santé du gendarme M… établie par des attestations concordantes produites aux débats et des certificats médicaux.
… présomption non renversée par l’administration …
Poursuivant sa motivation, le tribunal retient :
« 9. En défense, le ministre de l’intérieur conteste cette présomption en se prévalant de l’enquête administrative conduite par l’inspection générale de la gendarmerie nationale à la suite du signalement opéré par M. ……………, qui conclut à l’absence de faits constitutifs de harcèlement. Toutefois, en se bornant à invoquer l’absence d’intention de nuire de la part des supérieurs hiérarchiques de l’intéressé, l’absence d’impact des faits allégués sur la progression de carrière du requérant et l’absence de poursuites judiciaires intentées par le requérant à l’encontre de ses supérieurs hiérarchiques le ministre n’apporte pas d’élément de nature à établir que les agissements en cause seraient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. »
Ce faisant, la juridiction strasbourgeoise se départit des conclusions du signalement STOP DISCRI et de l’enquête IGGN largement critiquées par le requérant.
Le juge administratif retient ainsi et sans aucune ambiguïté que l’administration ne parvient pas à renverser la présomption et à démontrer l’intérêt du service gouvernant aux faits dénoncés.
La condamnation de l’Etat pour harcèlement moral
Le tribunal administratif en conclut ainsi que :
« 10. Compte tenu du caractère personnel et réitéré des agissements dénoncés par M. …………, excédant les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, le requérant est fondé à soutenir que la responsabilité de l’Etat est engagée en raison du harcèlement moral dont il a été victime dans l’exercice de ses fonctions. »
et analyse en suivant les préjudices subis par le requérant et condamne l’Etat pour le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence résultant de faits constitutifs de harcèlement moral.
Et après, quelle sera l’action de la Gendarmerie nationale à l’égard des deux supérieurs hiérarchiques mis en cause ?
MDMH AVOCATS se réjouit et se satisfait de cette décision de la juridiction strasbourgeoise qui vient reconnaitre le harcèlement moral subi par le Gendarme M. et ce faisant saluer le combat de ce gendarme, qui malgré les obstacles, a poursuivi et persévéré pour que soit reconnu ce qu’il a subi.
Mais après ? au delà de cette condamnation de l’Etat … MDMH AVOCATS s’interroge.
Quelle sera l’action de la Gendarmerie Nationale ?
Va t’elle mettre en œuvre une procédure disciplinaire à l’encontre des deux supérieurs hiérarchiques dont le tribunal juge, sans aucune ambiguïté, qu’ils ont agi avec animosité personnelle et surtout intention de nuire ?
Quelle sera l’action corrective de la Gendarmerie Nationale à l’encontre de l’IGGN dont les conclusions d’enquête sont manifestement erronées ?
Affaire à suivre donc …
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© MDMH – Publié le 21 octobre 2022
Source : MDMH-Avocats
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