Le suicide d’un policier est imputable à son service
Le tribunal administratif de Poitiers a reconnu mercredi le lien entre le suicide d’un policier, survenu en 2004, et son travail, une décision rarissime s’agissant d’un fonctionnaire de police, une profession qui enregistre des taux supérieurs à la moyenne.
« C’est l’une des premières décisions qui reconnaît l’imputabilité du suicide au service, voire la première, je n’en ai pas trouvé d’autre dans la jurisprudence », a déclaré à l’AFP Me François Gaborit, le défenseur de la veuve du policier.
C’est « une décision très satisfaisante ». « L’Intérieur ne pourra plus désormais écarter systématiquement tout lien avec le service lors de suicide de policiers », a réagi Nicolas Comte, porte-parole Unité POLICE SGP-FO, premier syndicat des gardiens de la paix. Un avis partagé par Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint d’Alliance (deuxième syndicat), pour qui c’est « un arrêt important », ainsi que pour l’Unsa (troisième syndicat).
Dans son jugement, la juridiction s’est rangée aux arguments du rapporteur public qui le 7 mai avait conclu qu’il existait bel et bien un lien entre le travail et le suicide de ce fonctionnaire à son domicile en juillet 2004.
« Bien que le suicide soit un acte volontaire, il peut ouvrir droit à la rente si la veuve établit que cet acte a eu pour cause déterminante un état maladif se rattachant au service », écrit le tribunal avant d’estimer, au vu des expertises, que le suicide « n’a pu intervenir qu’à raison des fonctions qu’il exerçait ».
L’arrêt invalide un avis du préfet de la zone de défense Sud-Ouest rendu en 2012 et excluant ce lien.
Le tribunal s’est fondé notamment sur les conclusions d’un expert qui a pu accéder aux pièces médicales du dossier, considérant que le policier n’avait jamais eu de problèmes auparavant, et aucun autre souci d’ordre personnel au moment de son suicide.
– « Ambiance délétère » –
Ilotier à Poitiers, le brigadier s’était plaint des méthodes de management de son chef, un commissaire parti depuis de la ville. Il avait mal vécu une mutation qui l’avait éloigné du terrain, annoncée, selon Me Gaborit, le 11 décembre 2003, soit quatre jours avant que cette mutation soit effective. Du jour au lendemain, le policier de 46 ans avait été contraint de travailler dans un service au sein de l’hôtel de police, avec parfois des horaires nocturnes, selon l’avocat.
« C’était à l’époque où l’on supprimait la police de proximité et (l’époque) de la politique du chiffre. L’ambiance dans le service était délétère », a-t-il détaillé.
« Je ne voulais pas que ça arrive à quelqu’un d’autre », a déclaré sa veuve à l’AFP. Ce combat « c’était une façon de dire +ça ne doit pas se reproduire+ ».
L’épouse devrait toucher une pension majorée de manière rétroactive. Le ministère de l’Intérieur a deux mois pour faire appel.
Après l’audience, des représentants syndicaux d’Alliance Police Nationale et de Unité SGP Police FO avaient déploré que l’on parle des suicides « chez France Télécom, chez Renault » et jamais au sein de la police.
Les suicides sont un problème récurrent dans la police et leur taux est un peu plus élevé que celui de la moyenne de la fonction publique et la moyenne nationale, selon les études réalisées à ce sujet.
Interpellant le ministère de l’Intérieur sur le sujet en 2013, la sénatrice socialiste de l’Essonne, Claire-Lise Campion, avait évoqué un taux de 35 pour 100.000 parmi les policiers contre 16,5 au niveau national. Après un pic en 1996 de 71 suicides de policiers, leur nombre varie depuis entre 40 et 50 par an.
Depuis début 2013, des « pôles de vigilance » destinés à prévenir ces actes ont été mis en place dans chaque département.
Pour l’Unsa Police, le jugement conforte sa propre analyse sur les « conditions de plus en plus difficiles d’exercice » du métier, « la responsabilité » et le « rôle » de la « hiérarchie », « exigeant toujours plus de ses fonctionnaires tout en rognant chaque jour des acquis défendus de haute lutte ». Pour M. Lagache, du syndicat Alliance, « l’amélioration (des conditions de travail et de vie) est nécessaire pour éviter de tels drames ».
Dans l’affaire de Poitiers, le commissaire mis en cause avait réfuté toute faute, démentant tout propos désobligeant.
Source : Le Point
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